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Full text of "Alain de Lille. Études de philosophie scholastique"

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ALAIN DE LILLE. 


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ALAIN DE LILLE, 


ÉTUDES 
DE PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE 


(EXTRAIT DES MÉMOIRE DFE JA CCCIÈTÉ DES SCIENCES DE LILLE .‘ 


LILLE 
IMPRIMERIE DE L. DANEL. 


1859 


INTRODUCTION. 


Tendances Parmi les philosophes scholastiques qu'on nous représente 
d'Alain 


nes sans cesse comme si arides et si secs, les poètes se sont tou- 
e Lie. 


jours trouvés en grand nombre. Entre bien d'autres il suffit de 
citer Milon deSaint-Amand, Odon de Tournai, Abélard, Bernard 
de Chartres. Mais Alain de Lille est le type le plus remarquable 
de cette heureuse alliance des études profanes et des études 
sacrées. En lui, c'est le philosophe évidemment qui domine, 
en quoi qu'il écrive : sermons, théologie, poèmes, commentaires 
des écritures, c’est toujours la préoccupation philosophique 
qui le guide et reparaît, mais, grâce à ses habitudes littéraires, 
il peut donner à la philosophie une allure hardie et brillante, 
comme à la poésie une richesse de fonds et de pensée qu'elle 
n'est pas habituée à recevoir. 

Alain est en effet beaucoup plus versé dans l'étude des 

sciences et des arts que ne le sont les théologiens de son temps. 
Jl a reçu des siècles postérieurs le nom de grand, Alanus 
Magnus, qui suflit à montrer la considération dont il a joui, 
mais il avait auparavant reçu de ses contemporains le titre de 
docteur universel, et en effet, il n'est aucune des connais- 
sances de son époque à laquelle il soit resté étranger. 
Le Docteur On sait qu'au moyen-âge les sciences humaines se divisaient 
universel. On deux enseignements qui étaient le trivium et le quadri- 
vium. Le trivium comprenait trois branches , ainsi que son 
cetitre. nom l'indique : la grammaire , la rhétorique , la logique. Ce 
sont les trois sciences dela méthode et de la connaissance, de 
la pensée et du moi. Parler, persuader, raisonner, étant évi- 
demment les trois opérations capitales de l'intelligence. Ge sont 
les lettres comme nous dirions aujourd'hui. 


ee 


Le quadrivium comprenait : l'arithmétique , la géométrie, 
la musique, l'astronomie. Ce sont les applications diverses de 
la mesure, du nombre, au monde extérieur. Ce sont donc les 
lois de la nature ou du non moi. Il ne s’agit plus comme dans 
le trivium , d'étudier la manière de connaître, mais de s'atta- 
cher à la matière même de la connaissance. Au-dessus de ces 
deux enseignements s'en tenait un troisième : la théologie qui 
était la science du monde spirituel. On la divisait en deux par- 
ties (spéculative et morale) qui comprenaient, l’une, l'étude de 
l’homme envisagé comme étre moral, l’autre l'étude des êtres 
spirituels supérieurs à l'homme. 

Cette division nous paraît très-élevée, et avec ses dévelop- 
pements naturels elle en vaudroit beaucoup d’autres. Elle avait 
cependant un grand défaut: c'est qu’elle manquait de bases, 
elle n'embrassait que les lois et non les faits. La grammaire 
règle notre langage, la rhétorique détermine les limites dans 
lesquelles s’exercent nos sentiments , la logique le champ de 
nos raisonnements , l’arithmétique arrête les lois de la numéra- 
tion , la théologie les articles de notre foi, la morale les règles 
de notre conduite, tout est règle, chiffre, formule. Mais le fait 
qui peut seul vivifier ces abstractions, on l'ignore, et cela ex- 
plique pourquoi la science du moyen-âge a été inféconde, mal- 
gré sa profonde et habile dialectique, elle n'a rien pu trouver 
au-delà de ce que l'antiquité profane ou chrétienne lui avait 
légué. 

C'est qu'au dessous des formules par lesquelles on con- 
state les lois de l'esprit, 11 y a les faits de l'esprit qui en- 
gendrent ces lois. Les philosophes modernes nous ont appris à 
les étudier. Aussi depuis leurs études la logique et la gram- 
maire ont été refaites. La rhétorique ne l'a pas été théorique- 
ment , mais elle a été évidemment remaniée dans la pratique ; il 
suffit pour s'en convaincre de lire Bossuet. De même, sous les 
formules numériques se trouvent les phénomènes de la nature, 


—— 7 


et de là procède la nécessité des sciences physiques et natu- 
relles pour le développement des mathématiques elles-mêmes. 
L'expérience l'a prouvé. Enfin, les lois morales s'éclairent 
aussi à mesure qu'on étudie mieux les faits sociaux. 

Ces réflexions étaient indispensables pour montrer de quel 
point de vue il faut étudier Alain et comment il faut entendre 
son titre de docteur universel. Si l’on s'attend à y trouver des 
faits curieux et nouveaux (nouveaux pour son époque, bien 
entendu), on sera déçu ; mais si l’on y cherche une belle ordon- 
nance d'une certaine somme de connaissances acquises, on ne 
peut trouver mieux. Le malheur est qu’on est toujours tenté de 
demander au moven-âge autre chose que ce qu'il a ; il n°y faut 
chercher que l'ensemble, la façon dont on enchatne, l'on con- 
ürme et l’on expose le peu de connaissances possédées à cette 
époque. 

Alain est un modèle en ce genre , il n’est resté étranger à 
aucune des branches des sept arts libéraux, pas même à 
quelque science que ce soit en dehors d'eux. Ainsi l’on sera 
étonné de remarquer des passages où le droit, la médecine ; 
l’alchimie , l'histoire sont citées à l'appui d’une thèse philoso-. 
phique en termes qui en révèlent une connaissance approfondie, 
car, sur chaque branche , il sait complètement ce qui se savait 
alors. Il a écrit une sorte de poème didactique (l'Anticlaudien) 
dont on trouvera plus loin l'analyse et qui est une véritable 
Encyclopédie comme le porte un second titre. On pourrait 
d’après.cet ouvrage, complété par les autres écrits d'Alain, 
se faire une idée nette de l’état de la science à la fin du XII° 
siècle. Mais ce sujet est trop vaste pour que nous le traitions 
_incidemment ici. On le trouvera du reste suffisamment indiqué 
dans les dissertations célèbres de l'abbé Lebeuf (1), jointes à 
son histoire de Paris. | 


(4) Etat des lettres et des arts au XIT° siècle. 


Union 
intime 


de la poésie 


et de 
la 


— À 


On conçoit, d’après ce qui vient d’être dit, combien une 
pareille universalité peut jeter d'intérêt sur les ouvrages 
d'Alain, non seulement par les allusions continuelles qu’il fait 
d'une branche de l’art à l'autre , mais par les grandes exposi- 


philosophie tions scientifiques dont il a semé ses écrits, notamment dans 


Le poète, 


les applications qu'il entendait faire de la forme poétique aux 
déductions philosophiques. La tentative n'était pas neuve, 
Martianus Capella et Boècé en avaient donné l’exemple. Mais 
Alain y attache une importance toute particulière, y donne 
l'essor à toute sa pensée . de sorte que pour bien connaître le 
philosophe, il faut d’abord étudier en lui le poète. 

Peu d'auteurs ont autant d'imagination que lui. Ingénieux à 
l'excès dans l'explication des allégories qui forment le fond et 
les personnages de ses œuvres poétiques, il sait aussi les 


‘grouper dans un cadre intéressant et amener sans effort l'oc- 


casion de ses vastes expositions scientifiques. S’il mêle la rel- 
gion à la fable, s’il met Alecto et Vénus près de la Trinité et 
de la Vierge, c'est avec une extrême modération et de sorte 
quil n’y ait de païen que le vice. 

Quant à la forme , Alain est également loin de la latinité 
molle et élégante de la décadence latine et de la latinité co- 
quette et prétentieuse de la Renaissance. Il n’a, il est vrai, 
ni la gracieuse légèreté de Claudien , ni l'élégance piquante de 
Jean Second. Mais si l'on accepte le latin du moyen-âge comme 
une langue faite et forcément admise, on s’étonnera de la s0- 
briété, du goût et de la correction d'Alain. Sans doute il y a 
des taches , mais s’il est porté aux rapprochements subtils , le 
plus souvent il s’en tire avec une habileté remarquable. Ce qui 
se rencontre au contraire à chaque pas, ce qui dépare ses 
ouvrages, ce sont ces entassements d'oppositions auprès des- 
quelles les antithèses tant reprochées à Claudien ne sont rien. 
Mais le mérite de notre poète, ce qui le fait lire surtout avec 
intérêt, c'est la richesse de sa pensée, la fermeté de son style 


L'Anti- 
claudien, 
poème. 


Exposition. 


SR NE 


et l'énergique simplicité de son hexamètre. Jamais les Latins 
n'ont rempli leurs vers avec tant d'idées. Aussi cette versifica- 
tion , quoique lourde , est si pleine , si solidement assise qu'on 
y reconnaît la vigueur des races nouvelles. Il est malheureux 
que celles-ci n'aient plus guère pris pour modèles que des 
œuvres de la décadence. 

Le poème le plus célèbre d'Alain est l’Anticlaudien. 

Il s'y agit d'un homme parfait luttant contre les vices. 
Or Claudien a fait un poème sur une donnée toute contraire, 
où l’on voit Rufin , le plus vicieux des hommes, combattre le 
brave et noble Stilicon. Cet ouvrage est donc intitulé : Anti- 
Claudien, non comme l'entend Demster, dans le sens d’imita- 
tion de Claudien, ce qui ne peut être admis , bien que l'auteur 
ait certainement boaucoup imité le poète latin, mais en ce 
sens : œuvre opposée à celle de Claudien. C'est aussi l'expli- 
cation qu’en donne le sommaire qu'on trouve dans l’édition de 
Visch. (1) 

Voici l'analyse de cet ouvrage remarquable comme compo- 
sition poétique et devenu classique au moyen-âge. La Nature 
s'aperçoit que s'étant jusqu'alors bornée à donner à chaque 
individu des qualités spéciales , elle n’est arrivée qu'à des créa- 
tions incomplètes, et se décide en conséquence à réunir sur 
une seule tête toutes ses faveurs : jeunesse , pudeur, modestie, 
raison, etc. Elle rassemhle donc toutes ces divinités allégori . 
ques dans son palais et leur expose son plan. La Prudence (Pru- 
dentia, Phronesis) et la Raison (Ratio) font remarquer qu'aucune 


: d'elles ne peut donner à l'homme ce qu'il a de principal : l'âme, 


et que celle-ci, il faut la demander à Dieu. L'assemblée leur 
décerne cette mission qu’elles refusent d’abord, mais que la 


— 


(4) Demster. Historia gentis Scotiæ. Bologne, 1697.— De Visch. Alani 
opera. 


= 


Concorde les détermine à accepter. Elles montent donc sur un 
char que les Sciences et et les Arts ont construit et que traînent 
cinq chevaux qui représentent les cinq Sens. 

Les champs de l'espace, l'air et l'éther , les nuages, tout cet 
espace que peuplent lesmauvais génies est franchi, les sphères des 
différents astres elles-mêmes sont traversées, puis le firmament ; 
alors les coursiers s'égarent et refusent d'avancer , le guide se 
perd. Mais la Théologie s’offre à conduire la Sagesse à travers 
les profondeurs du ciel, pourvu qu'elle abandonne la direction 
de la Raison et qu'elle délaisse ses chevaux, sauf le second. On 
se rappelle que ces chevaux sont la personnification des sens 
el le second représente l'ouïe, instrument de la foi (fides ex 
auditu.) 

Au moment d'aborder cette partie de son poème, l'auteur 
s'effraie : ce n’est plus le poète qui doit parler, mais les pro- 
phète. il adresse à la Divinité une très-belle invocation. 

Alors il peint les eaux cristallines du firmament, ce ciel de 
cristal mêlé d’eau et de feu que l'antiquité supposait au-dessus 
des étoiles. La Prudence visite ensuite les délices de l’empyrée, 
le séjour des anges, des saints et de la Mère de Dieu. À cet 
aspect elle tombe en extase, mais la Foi vient à son secours. 
Elle se ranime et contempte les secrets de la Divinité : la géné- 
ration du monde, les lois de la destinée humaine, la grâce, etc. 

Dieu, après avoir écouté favorablement la requête, ordonne 
à l’Intelligence de lui préparer le modele d'une âme telle qu'on 
la demande. Le texte montre comment Alain entendait le rôle 
des formes et des idées platoniciennes : 


Lise (Deus ) vocat ergo Noym(1) quæ preparet illi 
Numinis exemplar, humanæ mentis ideam. 

Ad cujus formam formetur spiritus, omni 

Mupere virtutum dives.... 


ER, 


Tunc Noys ad regis præceptum singula rerum 
Vestigans exempla novam perquirit ideam ; 
Inter tot Species speciem vix invenit illam 
Quam petit. . . .. 


Hanc formam Noys ipsa Deo præsentat, ut ejus 
Formet ad exemplar animam : tuncille sigillum 
Sumit , ad ipsius formæ vestigia formam 

Dans animæ, vultum qualem deposcit Idea , 
Imprimit exemplo. 

M. Haureau a fait sentir combien il est bizarre de supposer 
Dieu réalisant une âme sur un modèle formé par l'Intelligence 
(Noys)(1). Il croit qu’Alain a subi ici l'influence de la glose de 
Chalcidius et du De causis, mais il ne faut pas prendre à la lettre 
ce passage poétique. 

Ayant obtenu l'âme qu’elle désirait, la Nature lui fait un 
corps modèle que la Concorde, la Musique et l'Arithmétique 
lient au moral. Toutes les divinités lui fontun don : pudeur, 
modestie, raison, honnêteté, etc., etc., celui de la Faveur est 
remarquable, c'est par lui que les autres pourront plaire. 

.... donans ut dona placere 

Possint.…. 

La Noblesse et la Fortune elles-mêmes viennent apporter 
leurs présents que la Sagesse modère. | 

Mais voilà que l'Enfer, apprenant cette nouvelle création 
vole pour l’anéantir. Alecto réunit tous les vices qui se pré- 
sentent bientôt au combat: la Discorde, la Colère, la Terreur, 
la Pauvreté , l’Infamie, la Vieillesse, Vénus, l'Excès, le Luxe, la 
Sottise, l'Impiété, etc., etc. Après un long combat, l’homme 
nouveau les met tous en déroute et amène sur la terre le règne 
de la Justice et du Bonheur. Dans cette description du globe 
régénéré 8e trouvent des traits saillants des Millenaires et 
même des utopistes modernes, tels que Ch. Fourier. 


= 


(1} De la Philosophie scholastique, ci-aprts. 


ee 


Nous généralisons trop en disant que le poète parle ici des 
vices et des vertus. A-t-on jamais pu dire que la jeunesse fut 
une vertu ? la vieillesse, le travail, la pauvreté, des vices? Quoi- 
qu’il emploie souvent ces mots: virtutes, vitta, l'auteur a plu- 
tôt entendu faire d'un côté le dénombrement des biens, de l’au- 
tre celui des maux, comme l’entendait Aristote. 

Ce qu'il faut noter dans cette œuvre comme nous l'avons 
dit, c'en est l'esprit didactique, ce sont ces grandes expositions 
scientifiques qui en font une véritable encyclopédie. Les per- 
sonnages du poème sont des allégories, chacune d'elles tient à 
la sctence et donne occasion d'en ouvrir les trésors. Ainsi quand 
le poète parle de la Nature, il en décrit toutes les qualités comme 
étant figurées sur ses vêtements. De même pour la Raison, la 
Foi, la Théologie, et aussi pour la Grammaire, ainsi que les 
autres sciences. Elles portent toutes sur leurs robes la descrip- 
tion de leurs règles, de leurs principes et les portraits des 
hommes qui les ont cultivées. Les sept Arts libéraux qui forgent 
commsg nous Île disions, les roues et lesessieux, offrent ainsi des 
descriptions complètes de l'état de l’enseignement à cette 
époque. 

A propos de la Fortune, dont il décrit longuement le séjour et 
le palais, se trouvent une foule d'allusions morales aussi bien ex- 
primées que senties. Tout le dénombrement des vertus et des 
vices , Lout le combat de ces puissances diverses est plein éga- 
lement de ces peintures de mœurs et de ces enseignements mo- 
raux. On peut bien y trouver la critique de son temps, comme 
on a voulu trouver dans le même poème des épigrammies contre 
divers poèles contemporains, notamment contre Gauthier de 
Châtillon , caché sous le nom de Mævius, “mais les portraits 
sont trop abstraits pour être d’une grande valeur historique. 

Relevons un trait cependant. La Fortune a deux enfants, l'un 
est la Noblesse, qui lui doit tout, et qui est parente du Hasard: 


—— 9 


Post alias sua dona libens et læta dedisset 

Filia Fortunæ, casus cognata propinqui 
Nobilitas, si quid proprium cessisset in ejus 
Sortem , quod posset Naturæ lege tueri; 

Sed quia nulla potest nisi quæ Fortuna ministrat, 
Nil nisi consilio Eortunæ perfcit. 


L'autre est l'Avarice, que la mère commence à préférer, et 
songe à avantager au détriment de l'aînée : 


(Avaritia) Quæ quamwis onerosa foret , dejecta , malignans, 
Plus sibi concilians Fortunæ matris amorem 
Plusque placet matri , tanto remissior alget 
Nobilitatis amor ; et jam mutare priora 
Facta cupit Fortuna parens , prolique secundæ 
Tota favet. . . . 


On voit qu'au XIT° siècle le clergé séculier n'avait pas grande 
opinion ni de la noblesse de race , ni de la noblesse d'argent. 

La Pauvreté est bien dépeinte , et nous pouvons encore au- 
jourd’hui reconnaître son rôle dans les guerres civiles : 


Sed post arma rapit humili de plebe creata 
Pauperies , facie dejecta , et paupere cultu, 
Incessu tristi gradiens ; sed prodiga vitæ, 

Nec mortis concussa metu, nec fracta timore 
Irruit et vendens in multo funere vitam 

Plus audet , dum nescit inops pauperque timerc. 


C'est bien là l'insouciance héroïque et le désespoir sombre 
du peuple ; voici bien aussi le résultat de ses insurrections, 
lorsque l'homme nouveau l’écrase sans pitié et ne croit pas 
même lui devoir l'honneur du glaive : 


Nec inebriat arma cruore, 
Funere famoso dedignans claudere vitam 
Hostis et insigni leto pensare ruinam, 
Sed conculcat eam , confundens ora jacentis 
Dejectamque solo pedibus triturat equinis. 


Théorie 
de 
la nature 
des 
universaux. 


— 10 — 


Les œuvres de ces philosophes scholastiques sont tellement 
abstraites que l'on doit recueillir avec soin tout ce qui a trait 
à la vie des hommes parmi lesquels ils vivaient. 

Au contraire , il est impossible de relever tout ce qui se 
trouve dans un tel livre, d'indications utiles, de renseignements 
précieux sur l'histoire des sciences ; l’astronomie , la météoro- 
logie par exemple y sont plusieurs fois traitées avec assez de 
détail. | 

Pour la philosophie l'ouvrage est naturellement bien plus 
riche encore. Il est notamment un passage sur lequel tous les 
lecteurs se sont arrêtés, parce que c’est le seul où se trouve 
discutée dans Alain la théorie de la nature des idées générales 
(universaux). Cette question, du reste, avait été bien plus am- 
plement agitée auparavant par Roscelin et Abélard; elle devait 
l'être plus encore ensuite par Duns Scot et Occam. 

L'Eternel, dit-il, crée le monde sensible à l'image du 
monde intelligible qu'il porte dans l'esprit. 


ss ct mundi sensilis umbram 
Ducis ab exemplo mundi mentalis. 


ce qui peut rappeler l'Alexandrinisme ou seulement Scot 
Erigène, 

Du reste les traces de l'école d'Alexandrie ne sont pas rares ; 
ainsi par exemple il est parlé dans ce même poème de l'influence 
exercée sur l’âme par chaque sphère astrologique qu'elle par- 
court en tombant sur la terre, doctrine que Proclus a consa: 
crée, et qui, toute spéciale, a dù exiger une étude attentive 
des maîtres. 

La nature est créée d'un seul jet, mais les formes ne lui 
sont communiquées que successivement {{). Quant à ces formes, 
à ces espèces inengendrées : 


(1) Liber sententiarum, sur cetexte : Creavit omnia simul. 


—. À] — 


Pr ingenitas species , speculantur ideas 
Cœlestes, hominum formas, primordia rerum, 
Causarum causas, rationum semina, leges 
Parcarum, fati seriem. 


Leur rôle se trouve ingénieusement exposé dans une allé. 
gorie. La Raison est représentée tenant en main trois miroirs. 
Dans le premier, elle voit les deux éléments de la substance : 
la matière et la forme , ainsi que leur union {connubium) et les 
êtres particuliers qui en résultent. 


Quid sit, vel quanta, qualis vel quomodo sese 
Res habeat, reliquosque status perquirit in illa 


+ 


Quæ generat , quæ mutat, eamque servat in esse. 


Dans le second , elle voit encore ces deux éléments, mais 
séparés , la matière retournant au chaos primitif, et les formes 
pures , existant par elles-mêmes , indifférentes à la mutabilité 
de leurs sujets. 


Nec sua degeneris subjecti tædia flere. 


Dans le troisième elle apprend comment l’idée, l'exemplaire, 
peut , à l'aide de ces deux éléments , créer le monde que nous 
voyons, l'être fragile , terrestre et borné qui vient cependant 
d'un principe éternel et immuable. 


Instabilis, genitus , fluitans, mutabilis iste 

Mundus ab ingenito , stabili, certoque, figuram, 
Esse. statum , speciem, vitamque contexit et ortum. 
Quomodo terrestrem formam cœlestis idea 

Gignit. 


Nous aurons encore à parler plus loin de passages relatifs à 
la logique et aux plus célèbres philosophes de l'antiquité. 


= 


me 


Du Deuil Un autre poème d'Alain est intitulé : Du Deuil de la Nature. 
e . Il a pour sujet l'affliction que cause à cette déesse le vice in 
poème  diqué dans ce développement du titre : Libellus contra vitium 
Sodomitiæ. Etrange sujet! Comment un religieux a-t-il pu 
écrire des vers et de la prose, mettre un grand talent et un sa- 
voir varié au service d’une telle matière ? S'il a eu un but 
moral , se dit-on tout d’abord, il ne peut que l'avoir manqué, 
car ce n'est pas avec des poésies sur les fleurs , la musique , le 
printemps , ou des dissertations sur la psychologie et l’astrono- 
mie , qu'on guérit les hommes de cette brutalité. Si son but a 
été purement poétique, n’y avait-il pas assez d’autres sujets ? 
Mais une fois la lecture entamée on se sent entraîné par 
un charme invincible. Cette idée dégoûtante s’efface ou ne se 
montre plus que comme repoussoir, et l'on voit se développer 
mille études habiles qui justifient ce titre audacieux : De la 
nature des choses, et mille peintures charmantes qui ne justi- 
fient pas moins cet autre titre poétique : Du Deuil de la 
Nature. 
Exposition, C'est un mélange de prose et de vers dans lequel l’auteur, 
saisi de douleur à l'aspect du vice honteux qui désole le monde 
(il était donc bien répandu alors), veut faire partager à chacun 
sa tristesse. Tandis qu'il repose en ces pensées, lui apparaît 
une femme charmante d'abandon et de fraîcheur, dont il fait 
un long et brillant portrait, c'est la Nature. À son aspect le 
monde se sent transporté, les nymphes, les oiseaux, les 
plantes mêmes célèbrent sa bien-venue. Le poète seul tombe en 
extase. Elle le lui reproche. Comment lui est-elle devenue tel- 
lement étrangère que son aspect lui semble un prodige ? Pensée 
aussi délicate que profonde. Elle vient à lui pour qu'il écrive ses 
plaintes. L'univers lui est soumis tout entier; depuis l'astre 
jusqu’à la brute , tout, hormis l'homme, suit ses lois. Il faut 
donc mettre un frein ‘aux passions qui égarent celui-ci, et de 
l'avis de toutes les vertus , elle fait excommunier les intempé- 
rants par le Génie qui remplit près d'elle les fonctions sacerdo- 
tales (Sacerdotali ancillatur officio). 


Théorie 
des 
facultés 
de 
l’intelli- 
gence. 


Ce squelette d'analyse ne peut donner l'idée de là richesse 
du poème. À chaque instant, sous le moindre prétexte, s'ouvre 
une exposition de grammaire , de logique , d'histoire naturelle, 
d'astronomie, un peu pédante mais pleine de hautes idées et de 
grandes images. La théorie de l'amour, de l'attrait et du rôle 
qu'il remplit dans le monde entier, est vraiment grandiose, Au 
point de vue philosophique , nous allons nous borner à extraire 
de ce poème un aperçu de l'intelligence humaine. 

L'auteur compte et distingue tout d'abord trois facultés spi- 
rituelles qui sont : 1.° Une puissance naturelle et innée de 
connaître qui s'applique à la partie abstraite des choses , et 
les porte , rendues intelligibles, dans le domaine de l’entende- 
ment fingenialis potentia quæ rerum venatrix subtilium 
in notitiæ indagine easdem intellectas concluderet). N'est- 
ce pas bien la raison qui procède hors du domaine des sens en 
verlu d’une puissance naturelle et innée? 2.° une faculté qui 
induit , déduit et discerne la vérité du sophisme / potestas lo- 
gica, rationis signaculum, quæ suæ discretionis ventilabro 
falsitatis inania a seriis veritatis discernat). Voilà le raison- 
nement bien distingué de la raison; 3.° une faculté de con- 
server le souvenir du passé et d’entasser dans l'esprit tous les 
trésors de la science, c'est la mémoire { virtus recordativa 
quæ in suo recordationis armario nobilem scientiæ censum 
thesaurisat ). Toutes trois habitent dans la tête , mais en dif- 
férents siéges {diversis capitis thalamis habitantes), ce qui 
pressent la localisation cérébrale des facultés. Dans le cœur, au 
contraire , habite la générosité qui s’éclaire de la prudence , et 
dans les reins les voluptés avides. La liberté de l'homme, pré- 
cieuse en ce qu'elle lui rend sa victoire plus chère , décide dans 
la lutte qui s'élève entre la raison et la sensualité. 

Cette division de l’âme en trois parties fixées dans trois 
siéges, peut s'appliquer à l'univers tout entier, car le corps 
humain en général représente le monde. Au sommet se trouve 


Alain 
polémiste. 


Traité 
De la Foi 
contre les 

héretiques. 


Tableau 
des 
hérésies 
albigeoises 
et 
vaudoises 
d’après 
Alain. 


= jh 2e 

la raison divine qui gouverne {imperat); au milieu l'ange qui 
administre (operat); au plus bas la créature proprement dite 
qui, comme la sensualité, doit obéir (obtemperat), proposition 
que de Bonald a répété de nos jours et dans les mêmes 
termes (1). | 

Dans le traité des vertus et des vices que nous avons re: 
trouvé , Alain définit l'intelligence : intellectus est compre- 
hensio generorum (usque ei competit genera concipere)— et 
la raison : ratio est potentia animæ quæ intellecta compre- 
hensa discernit. Ge n'est pas tout-à-fait le même point de vue. 

Ce mélange de littérature facile , élégante, et de dialectique 
profonde devait faire d'Alain un polémiste redoutable. On en 
peut juger par le Traité de la foi contre les hérétiques, une 
des œuvres les plus curieuses du moyen-âge , en ce qu’elle nous 
montre comme l’histoire de mes malheurs, d'Abélard, comme 
les livres de Jean de Salisbury, les premiers exemples de cette 
critique pleine de simplicité , de finesse et de laisser aller qui 
n'exclut nila vigueur, ni la profondeur ; apanage glorieux de la 
France , et qui fait lire nos auteurs avec tant d'intérèt. 

Ces qualités sont surtout remarquables dans les deux pre- 
miers livres où l'auteur combat les Albigeois et les Vaudois. 
Divers historiens, tels que Bossuet chez les catholiques, et 
Schmidt chez les protestants . ont beaucoup insisté sur la dis- 
tinction de ces deux hérésies. Alain l'établit très-bien. Sans 
parler de leurs différences doctrinales si profondes, les uns étant 
monothéistes et les autres généralement dualistes, on trouve 
chez les Vaudois , dont le nom, dit notre docteur , vient de 
Valdus , philosophe sans raison, prophète sans vision, 
apôtre sans mission, docteur sans instruction, un caractère 
plus tranché. Les Albigeois , dont le nom vient d'Albi, leur 


(1) Essais de législation primitive, deuxième volume, 


= —— 


— 15 — 


quartier-général, formaient au contraire un chaos d’hérésies 
souvent contradictoires (ex diversis monstris unum monstrum ). 
C'était un mouvemeut universel vers la liberté d'interprétation, 
mais entraînant les dissidences les plus profondes de secte à 
secte; l'une est timide et près de l’orthodoxie, l'autre est ra- 
dicalement déiste, ou même comme on le voit à propos de 
certaines doctrines sur la nature de l'âme , va jusqu’au corpo- 
ralisme saducéen (4). 

On a dit que ces hérésies étaient la restauration du gnosti- 
cisme et du manichéisme. C'est à ce point de vue que se sont 


“arrêtés presque tous les historiens modernes. Il y a en effet 


beaucoup de souvenirs de Saturnin , de Basilide et de Manës, 
comme les deux principes , le dédain de l'ancien Testament , la 
réhabilitation de Lucifer, etc., etc. Mais des études récentes 
ont montré en quoi les Cathares différaient des Albigeois (2). 
On ne peut pas non plus les assimiler aux Protestants , et ce- 
pendant on y retrouve bien des traits du premier élan de la ré- 
forme, avec son audace. ses variations, sa fécondité et sa 
rapide propagation ; une réforme méridionale , il est vrai, plus 
polie et moins austère , plus poétique et moins morale ; c'est, 
qu'on me passe l'expression , le girondinisme des révolutions 
religieuses. Qui ne reconnaîtrait les ancètres des Protestants 
dans ces hérétiques dont parle Alain, et qui ne voulaient de 
confession qu'à Dieu seul; les Hussites dans ceux qui pré- 
tendent qu on doit adorer partout la Divinité sans qu’il soit be- 
soin d'églises matérielles; les fanatiques soldats de Cromwell 


(4) D. Brial , dans l'Histoire littéraire de France, croit avec les Bénédic- 
tins que le nom d’Albigeois est postérieur à Alain. Cet auteur, il est vrai, ne 
l’emploie jamais. Albéric de Trois-Fontaines dans sa chronique cite sous ce 
titre : Contra Albigenses, l'ouvrage du docteur universel, mais il est d’un 
demi-siècle postérieur. 


(2) Schmidt, Hist. des Cathares. 


16 


dans ceux qui rejettent les prières des mauvais prêtres et 
donnent le droit de prêcher à quiconque se sent inspiré ; le 
Quakers dans ceux qui défendent absolument de mentir, de 
prêter serment, de mettre à mort; les Lollards dans ceux qui 
regardent nos âmes comme des prisons où les anges déchus 
subissent leur châtiment jusqu’à ce que le repentir les ramène 
au ciel ? 

Ne se croirait-on pas entre Bucer et OEcolampade , entre 
Zwingle et Luther, lorsqu on voit apparaître sur la question de 
la transsubstantiation tous les arguments du XV[° siècle : qu on 
ne peut broyer le corps du Christ sous les dents , que ce corps 
divin ne peut devenir du pain, qu’on le briserait donc alors 
qu'on rompt l'hostie , jusqu'à la discussion du sens du mot hoc 
dans cette phrase célèbre : hoc est corpus meum/ N'y a-t-il 
pas même un pressentiment des mordantes attaques de Voltaire 
dans la critique de la Bible, lorsque ces héréliques disaient par 
exemple que Dieu n'avait pu répudier Saul, dont le crime 
était d’avoir fat grâce au roi des Amalécites , ni choisir le 
cruel, l’adultère David ; qu'il n’avait pu commander à Abraham 
de tuer son fils , etc., etc., objections familières au Diction- 
naître philosophique. 

Pour combattre les hérésies qui reproduisent les anciennes 
doctrines des Gnostiques et des Manichéens , Alain reprend les 
arguments favoris des pères de l'Eglise; il convient franchement 
de ces emprunts souvent d'une exactitude littérale ; on ne peut 
prendre , dit-il en commençant , de meilleurs guides que ces 
premiers docteurs chrétiens , bien que coupant sans cesse les 
têtes sans cesse renaissantes de l'hydre de l'hérésie, îls 
n'aient pas réussi à tuer le monstre terrassé. 

Quand l’hétérodoxie prend au contraire un caractère de nou- 
veauté , et qu’Alain n'a plus les pères pour l'inspirer, il faiblit 
et ne brille plus que par les qualités de son style. C'est ce qui 
arrive principalement quand les hérétiques , unanimes sur ce 


— 17 — 


point , fétrissent la fortune , le luxe et les scandales du clergé. 
On sait qu'une partie progressive dans le catholicisme entreprit 
d'opérer sur elle-même la réforme en se réduisant à la pau- 
* vreté, à Ja vie la plus active et la plus austère; telle fut l’ori- 
gine des ordres mendiants , sorte de transaction entre les ré- 
clamations des novateurs et l'esprit stationnaire d'une grande 
partie du clergé, On sait aussi que ces ordres approchèrent 
quelquefois tellement près des hérésies, qu'ils se firent con- 
damner à diverses reprises. Alain pense tout différemment. Il 
ne connut pas précisément ces ordres, qui datent pour la plu- 
part de 4210 à 1220 maisil s'élève très-chaleureusement 
contre cette prétention des hérétiques : que le prédicateur 
doit étre noùrri par les fidèles. I] n’en trouve aucune bonne 
raison. L'apôtre des gentils (doctor gentium) a gagné sa vie en 
travaillant ; et il est mieux , suivant lui, de le faire ainsi que 
de l’exiger ignominieusement (inverecunde) d'autrui. Du reste, 
dans ses ouvrages , il semble peu favorable au clergé régulier ; 
ainsi il prend parti contre lui dans cette question qui a tant 
agité le moyen-âge , lorsqu'il s'agissait de savoir si les fidèles 
d'une paroisse pouvaient se confesser à d’autres qu'à leurs 
prêtres séculiers (1). 

Nous avons cru devoir nous étendre un peu plus sur la partie 
historique du livre : De la Foi contre les hérétiques,. parce 
qu'il nous a semblé y trouver une peinture vivante du temps 
qui a vu fleurir Alain et du rôle que cet écrivain a dû y Jouer. 
C’est d'ailleurs le seul renseignement que nous ayons sur ce 
point, car on ne voit pas que notre philosophe se soit mêlé à 
la vie publique, Il ne manque aucune occasion de flétrir, parmi 
les vices de son temps , la soif de l'argent et des honneurs , et 


(4) Alani opera. Edition de Visch. De pœnitentia, p. 194. 


Théories 
de la 
persécution 
religieuse 
rejetées 
par Âlain. 


semble s'être tenu à l'écart, dans l'obscurité. Avant donc 
d'entrer dans l'examen philosophique de ce livre, nous citerons 
encore un trait historique qui honore le caractère de notre doc- 
teur. Il recommande par-dessus tout de traiter les hérétiques 
avec charité , et il consacre quelques pages fort curieuses à ce 
sujet. 

Nous disons fort curieuses parce qu'on y trouve de singu- 
lières propositions dans la bouche des hérétiques mêmes et sous 
la plume d'Alain également. 

Certains Albigeois prétendaient que les hérétiques étaient des 
brebis égarées (oves errabundæ) que l’on doit seulement rame- 
ner au bercail par des exhortations et des châtiments {verbis et 
verberibus), mais qu'on ne peut punir de mort dans aucun 
cas. Notre philosophe , qui vient de précher la charité, pense 
qu’on ne peut punir de mort les hérétiques à ce titre seule- 
ment , mais il estime qu'on peut le faire pour les faits prévus 
par la loi civile (si tamen illis peccatis laborant quibus mors 
temporalis debetur, a judice sæculari puniri possunt). 
Frapper un criminel, dit-il, ce n'est pas répandre le sang, 
mais appliquer la loi (non est sanguinis effusio sed legum mi- 
nisterium). Vaines distinctions! Puisqu’à cette même époque la 
manifestation la plus intime des croyances hérétiques fut sou- 
vent déférée au juge séculier et punie de mort. 

On remarquera encore que les Albigeois , tout en écartant la 
peine de mort, admettent la légitimité des châtiments (verbe- 
ribus), pour les principes qu'ils reconnaissent eux-mêmes 
comme des hérésies. Îs admettaient donc que des peines fussent 
nécessaires, pourvu qu'elles ne pesassent pas sur eux. On a vu 
du reste assez souvent les persécutés devenir persécuteurs à 
leur tour, pour ne pas s'étonner de pareilles inconséquences. 
Constatons seulement que M. Henri Martin s’est trompé, lorsque 
d’après M. Schmidt et contrairement à M. Michelet, qui était 


Réfutation 
du 
dualisme. 


= 0 = 


dans le vrai, il affirme que les hérétiques du douzième siècle 
n'ont pas approuvé doctrinalement la persécution (1). 

Du reste, quand ce livre a été écrit, la période rigoureuse 
avait à peine commencé. Les hérétiques se propageaient sous 
la protection de la plupart des seigneurs méridionaux. Ce n'est 
qu'en 1206 , après la mort d'Alain, que saint Dominique en- 
treprit sa mission , el ce n'est qu'après encore que la croisade 
fut prêchée et la guerre d'extermination résolue. 

Les matières sont trop confuses dans le Traité de la Foi 
contre les hérétiques pour prêter à l'analyse. Nous avons in- 
diqué plus haut les principales propositions qui y sont signalées, 
cet ouvrage en offre successivement la réfutation. 

Les questions religieuses , comme dans tout le moyen-âge, y 
sont sans cesse mêélées à la métaphysique. Il n’est guères que 
deux discussions qui portent un caractère vraiment philoso- 
phique : l'unité ou la dualité des principes du monde et la na- 
ture de l'âme. 

La première n'offre plus l'intérêt qu'elle offrait alors que les 
Albigeois ressuscitaient les doctrines gnostiques. Leur premier 
dogme était qu'il faut reconnaître deux principes , le principe 
de lumière , qui est Dieu, duquel émanent les êtres spirituels , 
et le principe des ténèbres, qui est Lucifer, duquel émanent 
les êtres temporels. Les principaux arguments philosophiques 
de cette thèse, en-dehors des textes sacrés , les voici : 


3.° Le monde est corruptible; or, si Dieu l'eût fait tel, c'est 
qu'il n'eût pu le faire autrement , ce qui le supposerait impuis- 
sant, ou qu'il ne l'aurait pas voulu, ce qui le ferait juger mé- 
chant (invidus); 2.° Immuable, Dieu n’a pu créer un monde 
si fragile, car le semblable s’engendre du semblable ; 3.° La 


(4) H.Martin Hist de France, tome IV, p 15. — Schmidt, Hist. des 
Cathares. 


Providence ne peut régner seule en ce monde , où le hasard se 
révèle à nous en tant de cas ; 4.° Enfin, ne voyons-nous pas 
des êtres évidemment et exclusivement créés pour le mal , les 
serpents par exemple. 

La théologie catholique répond que si Dieu a créé le monde, 
c'est par pure bonté, et qu’il n’était pas tenu de le créer de 
telle ou telle façon ; que s’il l’a fait corruptible , c'est par sa- 
gesse , se conformant à la raison d'après laquelle tout étre créé 
ne pouvant manquer d’avoir un commencement et une fin, se 
trouve par suite essentiellement corruptible ; 2.° Que Dieu n'é- 
tant que la cause efficiente et non la cause formelle du monde, 
a très-bien pu le faire différent de lui-même, ainsi qu'un ou- 
vrier, survivant à peine à son occupation, crée par fois une 
œuvre immortelle ; 3.° Nous appelons hasard ce que nous ne 
connaissons pas, mais comme le dit très-bien Aristote { que le 
texte latin appelle Philosophus suivant l'usage ), il n'y a rien 
qui n'ait une cause légitime ; 4.° Enfin , toute cause créée l'est 
pour quelque bien, elle peut abuser des dons de Dieu ou bien 
son utilité peut être méconnue par nous, mais celle-ci n'en 
existe pas moins ; les serpents n’eussent-ils pour mission que de 
punir l’homme ou de l’humilier, en lui prouvant sa faiblesse, 
ont leur raison d’être. Cette théorie , qui fait disparaître le mal 
dans l'ensemble de Ja création, en le regardant comme une 
imperfection relative qui contribue à la perfection du tout, est, 
comme on sait , celle que St.-Augustin a précisée mieux que 
tout autre , celle que Leibnitz devait populariser un jour. 

Non contente de ces réfutations, la philosophie catholique 
prend l'offensive, disant que, s'il y a deux principes.fl’un est im- 
parfait ou l’autre superflu ; si l’un est imparfait, il dépend ma- 
nifestement de l’autre; si l’un est superflu, quelle est sa raison 
d’être ? S'appuyant ensuite sur l’ordre qui règne si manifeste- 
ment dans certaines parties de l'univers, ne fût-ce que dans le 
cours des astres, par exemple , la doctrine chrétienne enseigne 


— 2% — 


que si c'est l'esprit des ténèbres qui a créé ce monde temporel, 
il n’a pu Île créer pour le bien , et que s'il l'a créé pour le mal, 
l'ordre n'y peut subsister sans contradiction. Il y avait en outre 
ici une difficulté palpable : D'où venait l'homme? Si Dieu a 
créé seul cet être double, Dieu a donc aussi créé le temporel. 
De même si Lucifer l'a créé , Lucifer a donc créé du spirituel. 
L'auraient-ils créé ensemble et d’un commun accord ? Non, le 
Christ a déclaré qu'il ne peut y avoir rien de commun entre 
Bolial et lui , la raison confirme ces paroles. 

Pour répondre à cette objection , certains hérétiques , que le 
texte ne nomme pas , pensent que nos âmes sont des anges dé- 
chus, enfermés momentanément dans les corps humains, comme 
dans une prison , afin qu’ils puissent s’y repentir, car la justice 
de Dieu a dû leur laisser le libre arbitre et le pouvoir de revenir 
au bien. Mais les orthodoxes demandent si ces anges déchus, 
qui tout spirituels ne peuvent être l’œuvre de Satan , lui sont 
au moins co-éternels , ce qui multiplierait indéfiniment les pre- 
miers principes. Ils demandent encore pourquoi , dans ce sys- 
tème , l'esprit du mal chercherait à perdre les âmes , ses sem- 
blables, ses sœurs. Si les démons sont damnés éternellement et 
ne peuvent se repentir, c'est leur propre malice qu'il en faut 
seule accuser ; ils ne le peuvent pas, parce qu’ils sont trop mé- 
chants pour le vouloir. | 

Dans cette idée que Satan peut revenir au bien , dans cet in- 
térêt porté aux anges des ténèbres , on reconnaît tout à la fois 
le souvenir de certaines doctrines indo-persanes ou gnostiqués , 
et le pressentiment de ces opinions qui devaient renaître plus 
tard chez les Lollards, et qu'un illustre romancier de nos jours 
a popularisées dans la plus étrange et la plus brûlante pein- 
ture (1). 


(4) Consuelo, Deuxième volume, Les hérésiarques s'appuyaient notam- 
ment sur ce texte singulier de S. Mathieu, que pour aller au ciel il faut en 


Théorie 
d'Alain 
sur 
la nature 
de l’âme, 


À l'opposé de ces hérétiques s'en trouvent d’autres qui 
cherchent à mettre en doute la spiritualité de l’âme, en mon- 
trant que celle des bêtes a les mêmes propriétés que la nôtre, la 
même nature invisible, impalpable , et que par suite ou celle-ci 
est matérielle et mortelle, ou celle des bêtes est immatérielle et 
immortelle. 

sain répond que l’âme des animaux est corporelle et a son 
origine dans la seconde digestion qui se fait dans le foie (ut na- 
turalis ratio tesiatur,spiritus bruti animalis originem habet 
ex secunda digestione quæ fit in hepate\. Ce n’est autre chose 
qu'une vapeur légère (tenuis fumus) qu'on nomme naturelle 
dans le foie, vitale dans le cœur, animale dans la tête. Cette 
âme corporelle existe dans l’homme , elle y joue un rôle inter- 
médiaire entre la substance raisonnable et le corps, tenant de 
celle-là par sa ténuité, de celui-ci par sa nature matérielle {cor- 
poreitas). On a donc tort de prétendre que l’âme des bêtes a les 
propriétés de l'esprit immatériel , elle n’a que les propriétés 
communes à toute espèce de spirilus, c'est-à-dire le sens el 
l'imagination , facultés relatives au corps. (Quæ circa corpo- 
ralia versantur). Spiritus , en effet, doit s'entendre en deux 
sens ; il se dit a spirare dans l'animal , il se dit a spiritua- 
litate dans l'homme, et dans cette dernière acception , l'esprit 
a des facultés particulières qui sont : l’entendement fintel- 
lectus), l'intelligence {intelligentia), et la raison (ratio), ex- 
pressions qui montrent qu’Alain n'était pas étranger aux théo- 
ries alexandrines. 

Si donc l'âme des bêtes ne tombe pas sous les sens, c'est 


être descendu: Nemo ascendet in cœlum, nisi qui de cœlo lapsus. Notre 
docteur veut qu'on ne l’entende que de Jésus-Christ, remontant au ciel et 
entraînant avec lui son corps spirituel, qui est l'Église, comprenant tous les 
élus. Evidemment les hérétiques abusaient du texte, mais cette réfutation le 
fait-elle moins ? 


Compa- 
raison 
avec 
la théorie 


de 
Descartes.’ 


— 93 


grâce à son extrême ténuité seulement. Si elle est répandue 
dans tous les membres , ce n’est que confusément (per infu- 
sionem). Tout prouve au contraire que notre âme à nous est 
incorporelle. La voit-on croître en proportion du corps ? Com- 
ment concevrait-elle l’immatériel si elle était matérielle ? Quelle 
puissance pourrait maintenir l'harmonie entre les parties du 
corps, toujours prêtes à se diviser ? Quelle pourrait être la 
source du mouvement et de la volonté? Si c'était la matière, 
on la rencontrerait toujours et partout avec les mêmes pro- 
priétés : voulant et se mouvant sans raison de jamais s’arréter? 
Enfin la source de l'existence ne la comprenons-nous pas sans 
penser aux choses corporelles, et comment pourrions-nous la 
comprendre sans penser à la matière, si elle en participait. 
Est-il besoin de faire sentir combien cette argumentation est 
serrée el élevée. Sans doute certains points ont été bien dé- 
battus, bien éclaircis depuis lors. Le défaut de proportion entre 
la croissance de l'âme et l'amplitude du corps, est un argument 
que Gassendi et d'autres ont ruiné. Au contraire, cette idée à 
peine indiquée, de la nécessité d'une âme pour maintenir la 
composition des parties toujours prêtes, d'après les lois du 
monde physique, à se séparer, est devenue le germe des belles 
théories de l'archée , du vitalisme , où Bichat a puisé sa célèbre 
définition. Mais ce qu'il faut surtout remarquer, c'est l'argu- 
ment tiré d'une part de l'impossibilité pour le fini de com- 
prendre l'infini, et de l'autre de la possibilité de prouver l'exis- 
tence de l’âme sans penser à la matière. Descartes a conclu de 
même de ce qu'il pouvait acquérir la certitude qu'il existait , 
tout en supposant l'anéantissement général des corps, quil 
était nécessairement autre chose qu'un corps (1). Que l’on com- 


(1) Discours de la méthode. Quatrième partie au commencement. — Médi- 
tation deuxième au milieu, 


pare sa théorie sur ce point avec le texte d'Alain /possumus 
intelligere id quod vegetat, non intellecta corporeitate, ergo 
non est corpus; si enim substantialiter esset corpus, sine 
corporeitate intelligi non posset), et l'on restera étonné de 
la similitude. Mais en la constatant on remarquera que , d'un 
autre côté, Descartes prend pour base de sa théorie ce principe 
que l'esprit est essentiellement immatériel, que l'immatéria- 
lité , s’il est permis de parler ainsi, esf constitutive du genre 
esprit, tandis qu' Alain combat très-vivement ce même prin- 
cipe , avancé par les hérétiques. Voici comment ceux-ci argu- 
mentaient : Le genre substance comporte deux différences ou 
espèces, corps et esprit. Gette différence : corporel , jointe à 
ce même genre : substance, constitue donc le corps, comme 
cette différence : incorporel , jointe à ce genre: substance, 
constitue l'esprit. Donc cette différence : incorporel étant con- 
stitutive de ce genre : esprit, tout esprit est incorporel. Alain 
répond comme nous l'avons dit ci-dessus, que c'est l'esprit lui- 
même qui comporte deux différences : corporel et incorporel ; 
qu'il s'entend en deux sens , a spirare ou a spiritualitate.. 

Descartes , on le voit, a été plus fidèle à son principe, mais 
il a heurté la réalité des faits quand, pour refuser aux bêtes 
toute espèce d'âme, il s’est trouvé forcé d'en faire des machines 
insensibles et inintelligentes. Notre docteur, au contraire , qui 
leur concède une âme corporelle, n'est pas réduit à la même 
nécessité , et se range ici du côté du sens commun. 

Les autres questions agitées par le Traité de la Foi contre 
les Hérétiques n'ont pas assez de portée philosophique pour 
que nous Îles analysions ici. | 

Alain Les autres ouvrages d'Alain nous le montrent sous un aspect 
scholastique tout différent , ce n'est plus le poète pompeux et élégant , le 

polémiste vif et spirituel, c’est l'homme de son temps, le scho- 
lastique faisant de ses doctrines un exposé systématique et mé- 
thodique , apportant dans les divisions un ordre minutieux, 


Mélange 
de foi 
et 
d’indépen- 
dance. 


— 25 - 


dans les déductions unerigueur extrême , dans le style une sé- 
cheresse impitoyable. 

Ces sortes d'ouvrages sont naturellement aussi et même plus 
théologiques que philosophiques. Il y règne cependant un mé- 
lange de foi et d'indépendance qui est fort commun dans ce 
siècle, mais qui n'en est pas moins curieux. C'est cette ten- 
dance qui a fait dire très-justement à M. de Rémusat : que a 
scholastique n'a jamais cessé d’être une science rationnelle, 
même lorsqu'elle s'est le plus attachée à demeurer ortho- 
doxe (1). Hegel , se plaçant à un point de vue différent , a dit 
de même : le caractère général de la philosophie scholastique 
est un effort de comprendre une doctrine supposée vraie. 

Ainsi , dans le Traité de l'Art de la Foi, dont nous allons 
parler immédiatement, Alain, voulant se disculper d’avoir com- 
posé un ouvrage purement dogmatique, dit en son prologue que, 
pour combattre l'incrédulité, les Pères avaient des miracles et 
des textes , mais qu'il faut aujourd'hui se contenter de recourir 
aux arguments de la raison. Ceux qui dédaignent de se sou- 
mettre aux prophéties et aux évangiles seront ainsi condamnés 
par une argumentation rationnelle, bien que la foi n'ait pas de 
mérite lorsque la raison humaine la confirme pleinement. 
(Fides non habet meritum cui humana ratio præbet experi- 
mentum (2). Et à côté de cette maxime de saint Grégoire, dans 
ce même ouvrage, un peu plus loin, opposant à cette profession 
d'une croyance aveugle, une appréciation d’une liberté d'esprit 
extraordinaire , surtout dans un écrit dédié à un pape, Alain 
va dire que la foi vient de preuves insuffisantes pour la 
science, et qu’elle est au-dessous de celle-ci, comme elle est 
au-dessus de l'opinion. { Fides enim est ex certis rationibus 


(1) De Rémusat. Abeilard. — Hegel, Hist. de la Phil, 
(2) Homeliæ Sancti Gregorii magni, t. VI, Opera, t, II. 


Traité 
de l'Art 


de la Foi, 


]x position. 


Proposi- 
tions 
fonda- 
mentales, 


= 96. == 


ad scientiam non sufficientibus orta præsumptio ; fides 
igitur utique super opinionem sed infra scientiam.) 

Puis encore il ajoutera que, pour combattre les hérétiques 
enclins à l'étudede la philosophie/philosophicis speculationibus 
deditos) (1), il va les réfuter sur leur propre terrain {cogor di- 
sertis rationibus de fide rationem reddere). Rendre raison 
de la foi / a-t-on jamais rien dit de plus fort? 

Ailleurs cependant , dans ses Règles théologiques, il avance 
que toutes les sciences ont des règles qui leur servent de base 
|'omnis scientia suis nititur regulis). Mais tandis que les 
autres connaissances ne sæ fondent que sur le cours contingent 
des choses {in consuetudine sola consistens penes consuetum 
naturæ decursum), ce qui est presque le langage de Hume, 
la théologie seule a des bases nécessaires et absolues , sur les- 
quelles se fonde une foi que ni les événements ni la naturene 
peuvent changer. 

On voit par ces citations quel singulier mélange d’audace et 
de timidité se trouvait dans ces clercs du moyen-âge. 

Dans le traité de l'Art de la Foi, qui n’a rien de commun 
avec le traité de la Foi contre les Hérétiques , malgré la res- 
semblance des titres , l’auteur reconnaît d'abord des principes 
indémontrables, nécessaires, qu'il nomme pétitions (petitiones 
sic dictæ quia probari per alia non possunt), puis des notions 
communes (communes animi conceptiones) tellement claires, 
que l'esprit les tient pour vraies sitôt qu il les entend énoncer 
( quam quisque intellectus probat auditam), dit-il ailleurs, 
dans ses Régles théologiques. Il embrasse ainsi deux points de 
vue que se sont partagés les modernes (école allemande et école 
écossaise) , sous les noms de concepts nécessaires et d'idées du 
sens commun. C'était se conformer à la nature , car il y a des 


(4) Philosophari nos provocant hæretici, disait de mème Tertullien 


De la 


substance. 


— 27 


idées tellement nécessaires que tout homme les a par cela 
seul qu'il est homme et qu'il ne peut pas ne pas les avoir. Il y 
en a qui ne sont pas nécessaires au même chef, mais qui sont 
si naturelles qu'il est commun à tous les hommes de les admettre 
aussitôt qu ils les entendent énoncer. 

L'auteur s'attache encore à poser un certain nombre de dé- 
finitions et de ces prémisses voici les conséquences qu'il tire : 

Ce qui est la cause de la cause est la cause de l'effet, 
car si À est cause de B et B de GC, C est évidemment 
causé par À (1). La cause du sujet est aussi la cause de l’acci- 
dent , puisque d’après la définition de celui-ci il n'existe que 
par le sujet (2). Il est encore évident que rien ne se fait de soi- 
même , car rien ne peut être supérieur à soi-même , or la cause 
est supérieure à l'effet (3). 

Cela posé , la matière sans forme ou la forme sans matière ne 
peuvent exister. Si en effet elles existaient isolément, ce se- 
raient des sujets , elles seraient donc discrètes, c'est-à-dire 
qu'elles différeraient ou qu'elles différencieraient (4). Mais pour 
différencier, il faudrait qu’elles fussent des propriétés et non des 


_ sujets ; pour différer, il faudrait qu'elles fussent modifiées (in- 


formées diversement) par des propriétés, ce qui suppose la 


(1) Pétition 3 : ce que nous attribuons à des causes créées n’en vient pas 
en effet, mais provient d’autres causes qu'il faut déterminer, C'est du moins 
ainsi que nous traduisons cette phrase louche et évidemment altérée : Quæ 
creatorum causis attribuimus nec insunt per effectum et causam illius 
attribui. 


(2) Définition : L'accident est une proprieté qui n'existe que grâce au su- 
jet (per subjectum existit) qui ne lui donne pas l'être (esse non conferens) 
mais la différence (differre facit). 

(3) Notions communes 2 et 3 : Toute cause est antérieure et supérieure à 
ce qu’elle produit (causato); rien n'est antérieur ou supérieur à soi-même. 


(&) Résultat de diyerses définitions données par l'auteur, ° 


De Dieu, 
cause 
de la 

substance, 


forme (1). Donc celle-ci existe toujours unie à la matière , et la 
substance n'est que l'union de ces deux éléments. Comme le dit 
scholastiquement l'auteur, l'existence de l’une et de l’autre est 
la cause de la substance, et leur réunion est la cause de leur 
existence réciproque, puisqu isolées elles n'en peuvent jouir. 
Donc cette réunion est la cause de la cause , la cause de la 
substance. 

Mais cette union elle-même a une cause, puisque rien n'est 
cause de soi-même, une cause infinie, puisque tout ce qui 
tombe sous le nombre est discret , par suite diffère ou diffé- 
rencie , Ce qui ne peut convenir à la cause première ; une cause 
supérieure, puisque la cause l’est toujours ; une cause unique, 
puisqu'il ne peut y avoir une série de causes infinie (2); une 
cause simple , par suite, puisque toute composition a elle-même 
sa cause (3). 

Cette cause, c'est Dieu , qui ne peut avoir d'accident, l'acci- 
dent faisant différer ; qui ne peut conséquemment subir de mo- 
difications , de destruction , pas plus qu'il n'a pu étre produit, 
puisque ce sont là des mouvements , et que tout mouvement est 
un accident (4). Il est donc inengendré , immuable, éternel, 
imcompréhensible , ineffable , car il n’a pas de forme , et notre 
intelligence ne peut comprendre qu'à l’aide de la forme {intel- 
lectus : potentia animi adminiculo formæ rem comprehen- 
dens). Il ne peut donc être que l'objet de la foi, non de la 
science. 


(4) Définition : la forme est ce qui modifie le sujet par un concours de 
propriétés provenant d’une substance extérieure : Quæ ex concursu proprie- 
tatum adveniens a qualibet alia substantia facit suum subjectum aliud 
esse. 


(2) Pétition 2 : Nullius rei causam in infinitum ascendere. 
(3) Pétit 4 : Toute composition a une cause composante. 


(&) L'auteur comme Aristote en reconnaît six espèces : génération, cor- 
ruption, augmentation , diminution , changement de lieu , altération. 


2 0: = 
Quant à la bonté, à la justice et aux autres attributs de 
Dieu , ils se prouvent par le spectacle de la création, là où nous 
trouvons des créatures portant le cachet du bien et de la puis- 
sance , nous Concevons un créateur bon et puissant. 
Dans l'Anticlaudien , Alain avait déjà étudié assez profondé- 
ment les attributs de Dieu, les noms divins , cette question 
qui, à la suite du pseudo-Denys, a tant préoccupé le moyen-âge. 


Qualiter ipse Deus in se capit omnia rerum 
Nomina , quæ non ipsa Dei natura recusat, 
Cuncta tamen mediante tropo, dictante figura 
Sustinet et voces puras sine rebus adoptat. 

Ens justum sine justitia , vivens sine vita 
Absque loco loca cuncta replens, sine tempore durans, 
Absque situ residens.... 

Nec solum justus vera ratione, sed ipsa 
Justitia est, non solum lucidus ipse, sed ipsa 
Lux est nocte carens.... 

Nec solum loca cuncta replet. sed singula solus 
Infra se claudit. quasi meta locusque locorum. 


Ge qui se rapproche beaucoup de la célèbre théorie de Clarke, 
voyant dans Dieu l'espace même. 
De Le livre de L’Art de la Foi passe de l'étude de Dieu à celle 
l’homme. de l'homme’et des êtres supérieurs (anges). Tout ce qui pro- 
— . vient, dit-il, d’une cause excellente, ne peut manquer d’être 
Pourquoi ,., ; À +. 
la matière Pien , or tout vient de Dieu , qui n’a pu créer quelque chose de 
se trouve mauvais (1). La charité de Dieu {divina charitas) a même dû 
jointe je porter à faire participer la créature à sa sagesse et à sa 
en lui $ | | 2 ; 
,  &loire. Dans cette vue, il a créé les esprits {spiritus rationales) 
l'intelli- qui doivent se soumettre à la Divinité, puisqu'ils lui sont in- 
gence. | | 


(4) Bunum. Definition : quod utile habet esse. 


Déductions 
théolo- 
giques. 


Règles 
théolo- 
giques. 


Exposition. 


— 39) — 


férieurs, comme l'effet l’est à la cause (1). Et puisque la jus- 
tice, d'après sa définition même est la récompense des bons et 
le châtiment des méchants , il a fallu donner à ces esprits le 
libre arbitre. 

Au-dessous des esprits célestes se place l'homme. L’Art de 
la Foë pour montrer combien cette créature est faible, à com- 
bien de chutes elle est exposée et de combien de secours elle a 
besoin , fait remarquer que la charité en portant Dieu, comme 
il vient d'être dit, à faire participer la créature à sa sagesse, a 
dû lui inspirer d'étendre ce Lienfait sur tout , jusque sur la plus 
vile matière. C’est dans ce but qu'il l'a jointe dans l’homme à 
l'esprit même. De sorte que l humanité possède en elle, à côté 
de la raison, l'élément le plus vil et le plus porté à la corruption. 
Cette explication est certainement l’une des plus ingénieuses et 
des plus frappantes que la philosophie ait créée. 

Une fois l'homme déchu, il a fallu que Dieu le secourût pour 
le rendre de nouveau apte à la béatitude céleste; aussi d'un 
côté c'était évidemment à l'homme à réparer sa faute, de l’autre 
il était trop borné pour suffire à une réparation infinie devenue 
nécessaire, puisque l'être suprême avait été outragé (2). De là 
la nécessité de l'incarnation d'une victime Dieu et homme 
tout à la fois qui souffrit pour nous la peine suprême. Nous ne 
pousserons pas plus loin cet examen du livre qui entre de plus 
en plus dans le domaine des questions purement religieuses. 
Nous en avons assez dit pour en faire connaître la méthode. 

Les Règles théologiques sont conçues sur un plan analogue. 

Alain y expose d’abord que toute science se fonde sur cer- 
taines règles , les lieux communs des rhétoriciens , les sentences 


(1) Notion & : Si aliquis major possidet minorem in se, minor se et ea 
que penes ipsum sunt in honorem majoris tenetur convertere. 


(3) Les notions 5 et 6 appuient cette idée que la satisfaction se mesure au 
rang de l'offensé, 


Unité 
de Dieu, 


— 31 — 

de la morale, les aphorismes de la physique, les théorèmes de 
la géométrie. Mais tous ces principes ne sont fondés que sur 
l'ordre de la nature ; la théologie au contraire fonde les siens 
bien plus solidement sur la foi qui est au-dessus de l'ordre des 
choses et de ces changements. Comme dans le traité précédent il 
appelle ces règles des notions communes (communis animi con- 
ceptio est enarratio quam quisque intellectam probat) ou 
même notions du sens commun {communis animi, id est, multo- 
rumanimorum)que chacun admetaussitôt qu'illes entend énon- 
cer. Mais les unes sont propres à être saisies par tous ou par beau- 
coup , telle est cette proposition : il y a un premier principe ; 
les autres ne peuvent être saisies que par un petit nombre d'in- 
telligences cultivées, {sapientum) comme : tout ce qui est simple 
n’a pas d'attributs distincts de sa substance {omne simplex esse 
suum et id quod est unum habet). 

Aprè cette introduction viennent les règles successives que 
nous ne pouvons ni énumérer ni analyser ; à peine en pouvons- 
nous donner une idée générale. Dieu n’est pas seulement un, 
c'est l’unité même {monus) et toute unité vient de lui. Quant à 
ce qui est créésur terre {subcæleste), on n’y trouve que la va- 
riété (pluralitas). Enfin ce qui est créé, mais qui lient du ciel 
(cæleste) présente non l'unité réservée à Dieu, ni la variété, 
propre à ce monde, mais une simple diversité (alteritas), de 
sorte que l'unité semble n'y être rompue qu'une fois. L'unité 
{monas) est le commencement et la fin (alpha et omega) de 
toute chose ; la brute, l’herbe inanimée elles-mêmes tendent à 
l'unité et répugnent à la division de leurs parties ; mais elle n'a 
elle-même ni commencement ni fin ; sans quoi elle perdrait son 
caractère propre. Il s'en suit que tout être fini tient de ce qu'il 
y a de bon de son principe ou de sa fin , l'être irraisonnable de 
son commencement seulement ayant la Divinité pour auteur ; 
l'être raisonnable du commencement et de la fin puisqu'il vient 
de Dieu et cherche à rentrer dans sein. Il s'en suit encore que 


= 19 


l'unité n'ayant point commencé et ne pouvant finir, Dieu peut 
être défini une sphère (sphæra) intelligible dont le centre est 
partout la circonférence nulle part , pensée très-élevée qui re- 
monte comme on sait jusqu’à Timée et probablement bien plus 
haut encore. 
Nature Une autre conséquence encore que l'on tire des vérités pré- 
des  cédentes c’est qu'en Dieu les attributs ne sont pas distincts de 
Fo la substance, c'est-à-dire que la justice de Dieu , sa bonté , ne 
peuvent pas être séparées de lui-même. Les Allemands de ces 
derniers temps ont beaucoup développé cette théorie, et M. 
Cousin en a fait grand usage dans son livre Du Fondement des 
idées du Vrai , du Bien et du Beau. En effet Dieu étant simple 
et universel, dit fort bien Alain, tout ce qui est en lui est lui, et 
rien ne peut être en lui qui ne soit lui-même (nihil in eo, 
præter id quod ipse est), puisque l'unité n’admet ni exclu- 
sions , ni distinctions. 
Arrivé à ce point l'auteur entrant tout-à-fait dans l'esprit 
scholastique après avoir étudié ainsi comment les attributs de 
Dieu Jui sont applicables, passe à l'examen de ces attributs gé- 
néraux {prédicats) et se demande en quelle façon le sujet , la 
substance, la forme, l'affirmation, la négation , le nom et les 
diverses espèces de noms, l'adjectif, le pronom, le verbe et ses 
temps , les adverbes, les prépositions peuvent se dire (prædi- 
cari) de Dieu, s'appliquer à la divinité. 
Prédomi- C'est de tous les écrits d'Alain celui dans lequel cet esprit 
LL scholastique règne le plus : les distinctions subtiles, les divisions 
scholastique Minutieuses , les abstractions vides et creuses y abondent. On 
dans y trouve cependant une foule de propositions judicieuses , de 
cet écrit Loints de vue ingénieux, de réflexions profondes qui en rendent 
l'étude intéressante. Aucune doctrine ne paraît nouvelle, ni 
propre à Alain, mais sur beaucoup de points il a devancé 
saint Thomas et saint Bonaventure , qui n'ont guères fait que 
développer davantage les mêmes opinions. 


Alain 
se distingue 
par 
quelques 
tendances 
des 
scholas- 
tiques. 
Sa facon 
d'envisager 


la 
logique. 


see 


Nous ne croyons donc pas pouvoir prolonger indéfiniment 
cet examen. L'auteur rentre bieutôt dans des études plus posi- 
tives sur la puissance de Dieu , le mal, le péché, et descend 
par une déduction serrée des questions les plus vastes, telles 
que celles qui viennent d’être énoncées, jusqu'aux applica- 
tions les plus spéciales : l'efficacité de chaque sacrement , par 
exemple. Ces formules ne sont pas susceptibles d'analyse , elles 
sont exposées et parfois confirmées en quelques phrases très- 
courtes et très-nettes. Les plus étendues ne le sont guères et ce 
sont les plus serrées d'argumentation. 

Nous bornerons donc ici notre examen de la méthode philo- 
sophique d'Alain, telle qu’elle nous est révélée par ses ouvrages 
mêmes. 

Résumant nos observations nous pouvons conclure que les 
tendances du docteur universel , considérées en général, ne pa- 
raissent pas être tout-à-fait celles de la scholastique. Ainsi lors- 
qu'il traite de la rhétorique et de la dialectique dans l'Anti- 
claudien, il proclame qu'on peut très-bien raisonner sans 
avoir appris la logique , faire un excellent usage des lieux sans 
en connaître la théorie (capiatque locos ignara locorum), 
opinion que Port-Royal devait mettre en vogue chez nous. Il 
semble encore avancer que la logique n'est pas une science 
d'invention , et l'on sait que souvent le moyen-âge s'est égaré 
en la considérant comme telle , en négligeant les sciences d'ob 
servation , parce qu'il croyait avoir un instrument supérieur. 
Ainsi les réalistes, et Duns Scot surtout, ne voulaient pas qu'on, 
appelât la logique un art; c'était pour eux une science posi- 
tive , erreur que l’art combinatoire allait un siècle après porter 
à ses dernières limites. 

Alain ne la considère au contraire que comme une voie, une 
clé, une méthode pour pénétrer dans les secrets de la philoso- 
phie (tanquam via, janua, clavis ostendit, reserat, aperit 
secreta sophiæ). Elle a pour but de donner aux autres con- 


Son 
appré- 


ciation 
d'Aristote 
et 


de Platon 


Res 


naissances des forces, des instruments, des armes, des moyens 
en un mot, mais non des résultats. 


Le ie ditat egentes, 
Roborat infirmas, elingues instruit, ornat 
Incomptas , torpenies excitat, armat inermes. 


Mais ce qui est surtout digne d'observation, c’est l'apprécia- 
tion d'Aristote et de Platon. Alain se plaint de l'obscurité du 
premier, abîme où Porphyre seul nous aide à pénétrer {monstrat 
callem quo lector abyssum intrat Aristotelis); sphinx dont 
le même alexandrin est l'OEdipe (ut alter OEdipodes nostræ 
solvens ænigmata sphingos); homme qui se joue des mots 
(verborum turbator); qui se plait à se cacher (quz gaudet 
latere); à voiler la pensée de telle façon qu’une laborieuse 
étude puisse à peine soulever ce voile et cela pour ne pas com- 
promettre ses secrets, pour ne pas livrer au vulgaire les trésors 
de la science. 


| . . . qui velamine verbi 
Omnia sic velat, quod vix labor ista revelet. 


+ + 


Ne sua prosternat secreta, suum que relinquens 
Arcanum, vulgo tandem viliscere cogat. 


Cette dernière pensée est à noter : dire qu'Aristote cachait 
ses pensées à dessein pour ne pas les vulgariser, les avilir, 
c'est impliquer la connaissance de la célèbre discussion sur les 
livres acroamatiques du Stagyrite ; mais celle-ci avait assez oc- 
cupé l'antiquité pour qu’on en sût encore quelque chose. Jean 
de Salisbury, qui étudiait à Paris bien avant Alain , la signalait 
déjà. Précédemment le poète avait représenté Aristote circon- 
scrivant le champ de la logique, heureuse expression (logicæ pa- 
læstram) et avait dit de Platon qu'il avait rêvé les secrets de la 
nature, qu'il avait cherché à saisir la pensée de Dieu (sensum 


Ce qu'il 


es 


que Dei perquirere tentat... somniat arcana rerum) ; termes 
qui apprécient fort bien le caractère de ces deux philosophes, 
l'un si partisan de la réverie et si curieux de la partie secrète 
des choses ; l’autre si sévère dans ses divisions et ses défini- 
tions. Il est à remarquer que dans ce même passage Platon est 
mis au-dessus d'Aristote (eo divinius). La domination de ce 
dernier était encore à naître à l'époque d'Alain. Scot Erigène 
avait dû porter très-haut l'estime du platonisme , saint Anselme 
et Abeilard s’attachaient de préférence à saint Augustin ; Alex- 
andre de Halles commençait à peine à professer ; les travaux 
des Arabes étaient peu connus, et la scholastique n’en était pas 
encore venue à oublier le disciple infidèle de Socrate pour 
écouter exclusivement la disciple ingrat de Platon. 

Ou ne connaissait pas encore d'ailleurs la métaphysique 
d'Aristote comme l'ont démontré les travaux modernes. Ni le 
mot, ni la chose ne se trouvent, que je sache, dans Alain. Nous 
venons de voir que le Stagyrite n'y est vanté que comme logi- 


_cien, Buhle s’est donc trompé quand il a placé nommément 


notre docteur parmi les simples commentateurs d'Aris- 
Lote cherchant à concilier la métaphysique de cet auteur 
avec la théologie dogmatique. 

Alain cite de Platon des maximes morales qu'il a pu puiser 


connaissait dans ces sortes d’ana que l'antiquité avait légués en foule au 


de Platon. 


moyen-âge, et qui n’impliquaient nullement la lecture du texte. 
C’est sans doute à une source pareille que notre docteur a 
trouvé la légende d'origine gréco-alexandrine, si je ne me 
trompe , qui rapporte que Platon poussé par une tempête avait 
abordé en Egypte et s’y était fait enseigner la Genèse (4). Mais 
ailleurs il est parlé du Thimée et du Phrédon, ce qui semble 
indiquer, malgré la faute des copistes , une certaine connais- 


(4) Summa de arte prædicatoria, cap. 36. 


Ce qu'il 
connaissait 
d'Aristote. 


Et 
des autres 
écrivains 
de 
l'antiquité. 


— 36 — 


sance des œuvres de Platon (1). On pourrait dire cependant 
qu’Alain les a cités d'après Cicéron, mais on pense générale- 
ment que ces deux dialogues étaient connus au moyen-âge et le 
Docteur universel avait certainement lu tout ce que son 
époque possédait. Son savoir littéraire est on effet très- 
étendu (2). 

Quant à Aristote, les scules citations que j'ai rencontrées 
sont tirées du livre sur le choix de deux prémisses, du traité de 
l'interprétation, des dernières analytiques et des catégories (3). 

Alain cite en outre souvent Cicéron sous le nom de Tullius , 
Sénèque , Macrobe (songe de Scipion), Porphyre, Boèce, le 
pseudo-Mercurius-Trismégiste, les Pères de l'Église qu'il pos- 
sédait en grande partie, et parmi les modernes seulement : Ra- 
banus (Raban-Maur sans doute), Adamus (Adam de St.-Victor 


(4) De fide contra hæreticos, lib 4, cap. 30. 


(2) Jourdain. Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions 
latines d’Aristote, en a donné un aperçu incomplet, mais suffisant. 


(3) Le Liber de duobus propositis eligendis est cité au De fide contra 
hæreticos : lib. T, cap. 31. Ce livre , dit Jourdain, est perdu et était inconnu 
des anciens; je vois cependant qu’Aristote lui-même en parle au chap. 30 du 
livre I des Analytiques. 1] dit qu’il avait traité ce sujet (l’art de trouver les 
deux premières propositions du syllogisme), dans sa Dialectique avec détail. 
— Le livre De interpretatione ou peri hermeneias, car il emploie ces deux 
titres, est cité à la 37€ et à la 850 des regulæ theologicæ et au Liber sen- 
tentiarum. Les Analyticæ posteriores le sont à la règle 68. Les Categoriæ 
encore à la 856, Enfin voici deux passages, le premier au De Arte prædica- 
toria, cap. 15, et le second au De planctu naturæ, p. 292 (édit. de Visch), 
dont nous ne pouvons trouver la source : quis habens aliquid humani pudoris, 
roluptates cum sue et asino communes se habere gratulatur ? (sans doute 
des Ethiques), et : i/le majestatem minuit secretorum qui indignis secreta 
revelat ou divulgat 

Nous avons vainement cherché à savoir si Alain savait le grec; les citations 
étymologiques que contienuent ses écrits sont peu concluantes et peu exactes. 
A plus forte raison ne peut. n rien dire de l’hébreu et du syriaque, dont il 
fait parfeis mention. 


probablement) et le : {iber de essentia summæ bonitatis, que 
Jourdain assure être le célèbre : De Causis (1). 

C'est avec des ressources aussi bornées que notre philosophe 
s'est élevé si haut. 

Comment Sous ce rapport il n'a pas encore été complètement apprécié. 

arr. Brucker l'a parfaitement caractérisé en l'appelant le choryphée 

apprécié (chorum ducens) des philosophes de son temps, car 1l est en 
ue as . effet le docteur scholastique le plus renommé de la génération 
— qui suit Abeilard (2). Buhle, comme nous l'avons dit plus haut, 

— prouve seulement qu’il ne le connaît nullement, puisqu'il croit 

la plupart de ses productions perdues (3). 

Tennemann Tennemann dit qu'Alain a fait aux matières philosophiques 
l'application d'une rigoureuse mathématique, ce qui s'ap- 
plique bien particulièrement au De Arte fidei, et semble indi- 
quer que l'auteur ne connaissait guères ses autres ouvrages (4). 

De Gérando De Gérando a très-bien caractérisé l'esprit du De fide qu'il 
avait sans doute étudié d'après T'ennemann , et il a fait remar- 
quer à bon droit combien l'auteur a mis le péripatétisme à con- 
tribution, pour la méthode surtout, aurait-il dû ajouter (5). 

Mais il a eu tort suivant nous d'affirmer que le Docteur uui- 


(1) Jourdain, 1. c — De fide contra hæreticos, chap. 30 : Zn aphorismis 
etiam de essentia summæ bonitatis legitur quod anima est in horizonte 
æternitatis. De Visch, dans une note, dit qu'un manuscrit consulté par lui 
attribue ce passage à Cicéron (Tullius). 

(2) Histoire de France, par M. Henri Märtin, t. II], p. 368. Conferer 
Brucker. Historia critica philosophiæ, tomeNt, p. 780. 


(3) Buhle, 1. c. Histoire de la philosophie moderne. Traduction de 
Jourdain. 


(4) Manuel de l’histoire de la philosophie traduit par M. Cousin, Le tra- 
ducteur comme celui de Buhle a laissé à Alain le nom de Ryssel qui ne si- 
gnifie cependant rien autre chose que Lille. Conf. Tennemann. Geschichte 
der Philosophie. 


(5) Histoire comparée des systèmes philosophiques, tome IV, p. 427. 


— 38 — 


versel s'était également beaucoup inspiré du De Causis; Alain 
connaissait sans doute ce livre célèbre, mais le caractère vague, 
idéaliste, panthéistique qu'il porte est loin du De Arte (1). 
Du reste De Gérando connaissait peu notre docteur, il le prouve 
lorsqu'il fait des Six ailes des Chérubins, une œuvre platoni- 
cienne , tandis qu'elle n’est qu'un traité de dévotion (2). 
Jourdain. Jourdain avait beaucoup plus étudié Alain , mais il n'y avait 
cherché que des renseignements historiques pour le sujet qui 
l’occupait, et n'avait d'ailleurs guères vu que les poèmes (3). 
Les historiens modernes de la scholastique ont procédé de 
même. 
M. M. de Caraman a surtout apprécié le philosophe-poète et (4) 
nr atrès-bien montré combien Alain avait imité Bernard de Char- 
tres , auteur qui lui était d'un siècle environ antérieur, et qui 
dans un poème allégorique avait également appliqué la poésie 
à la science. Les traces d'imitation sont en effet poussées jus- 
qu'aux détails. Mais il faut dire que tous deux suivaient pour 
modèle Claudien , Boèce et Martianus Capella. 
M. M. Rousselot a plus profondément étudié le philosophe, mais 
Rousset. en se servant surtout de ses œuvres poétiques, ce qui ne peut, 
comme nous l'avons vu, en donner une idée tout-à-fait exacte (5). 
M.Haureau M. Haureau a rectifié dans son grand travail scholastique 
plusieurs idées qu'il avait énoncées dans une première étude (6). 


— 


(1) Voir ci-dessus, page 26. 

(2) Voir ci-après, page 84. 

(3) Jourdain , 1, c. 

(&) Hist, des révolut. de la Phil. en France pendant le moyen-âge jus- 
qu'au XVI® siècle, par M. le duc de Caraman. Paris, Ladrange. 3 vol. 
in-80, 1845 | 

(5) Etudes sur la philosophie du moyen-âge. Paris, 1840, 3 vol. in-8°. 


(6) En premier lieu l’article : Scholastique, dans l'Encyclopédie nouvelle 
(4844) ; en dernier lieu : De la Philosophie scholastique, mémoire cou- 
ronné par l’Académie, Paris, Pagnerre, 2 vol, in-8° (1850). 


Sa 
naissance , 
le lieu. 


Discussion. 


— 39 — 


Son appréciation d'Alain de Lille est très-remarquable, quoi- 
qu'il ait peut-être aussi pris trop au sérieux les inventions poé- 
tiques de l'Anticlaudien. 

Quant aux biographies et aux encyclopédies, elles n'ont parlé 
de notre auteur que d'une façon très-superficielle. M. Jourdain, 
dans le Dictionnaire des Sciences philosophiques, est très- 
concis (1). 

Nous croyons en avoir dit assez pour montrer l'esprit philo- 
sophique d'Alain de Lille, nous allons entrer maintenant dans 
le détail de sa vie et de ses écrits. 


BIOGRAPHIE. 


Alain est né à Lille en Flandres. C’est ce qu'affirment tous 
les historiens les moins éloignés de l'époque à laquelle il vivait 
depuis Albéric deTrois-Fontaines{2) jusqu'à Trithème. Il est vrai 
que ce dernier, comme Voss (3) après lui, fait d'Alain un Teuton 
(teutonicus), qualification que Sixte de Sienne et Giraldus ont 
remplacée par celle d'allemand (alemannus, germanicus), et 
Possevin par celle de belge ( belgius), mais c'est que le pays 
flamand avait avec l'Allemagne assez de rapports pour qu'un 
Allemand s'y trompât à son avantage. 


(4) Dict. des sciences phitosoph. Paris, Hachette, tome 1. 


(2) Alberici trium fontium chronica, éditée par Leibnitz. Conférez Othon 
de S. Blaise, continuateur d'Othon de Frysingue (Sa chronique est insérée 
dans plusieurs recueils notamment dans la Bibliotheca Patrum cisterciens. 
de Teissier). Henri de Gand et Hartmann Schedell dans sa Chronica Mundi, 
la Chronica belgica; Trithème, de Script. ecclesiasticis. 


(3) Gr.Vossius. de poetis latinis.—Sixte de Sienne, Bibliotheca sancta. 
— Giraldus. dialog. ” de poetis. — Possevinus, apparatus sacer. 


De 


Manriquez et D'Ionghelle ont contesté l'authenticité de cette 
origine , en prétendant que de Lille (de insula, de insulis, 
insulensis) n'était qu'un surnom (1). Il est vrai qu'il en fut 
souvent ainsi et que l’auteur de l'Homme des Champs, pas plus 
que l’auteur de la Marseillaise n'était né à Lille. Il est vrai en- 
core que saint Anselme n'était pas de Cantorbéry, ni Roscelin 
de Compiègne , et qu'ils ont dù ces noms, l'un au siége qu'il a 
occupé, l’autre au lieu où il a enseigné ; mais ici les témoi- 
gnages sont trop nembreux et trop précis pour qu'il y ait doute. 
La tradition a établi une possession d'état qui n’a pas été sé- 
rieusement contestée (2). 

Cependant au XVIIL.* siècle l'abbé Lebœuf reprit cette dis- 
cussion (3). Ce n'est pas qu'il niât que le nom d'Insulensis fût 
relatif à une ville, mais il l’entendait de tout autre que Lille 
en Flandres ; c'était L'Île en Médoc, L'Ile dans Je comtat Ve- 
naissin ; l'Isle-Adam, près Paris, sous prétexte qu'il y avait au- 
près de ce dernier lieu un couvent de Citeaux, ordre auquel 
était voué Je Docteur universel — que l'île de Médoc était dans 
le ressort d'un seigneur de Montpellier auquel Alain a dédié l'un 
de ses ouvrages : Le De fide contra hæreticos (4) — que le 
comtat Venaisin doit être la patrie d'un écrivain qui fait preuve 


(1) Manriquez. Annales cistercienses seu verius ecclesiæ annal. a con- 
dit. cisterc.— Jongelinus : Purpura sancti Bernardi et notitia abbatorum 
ordinis cisterc. 


(2) On a voulu s'appuyer encore sur un passage d’un des ouvrages attri- 
bués à Alain : les Prophéties de Merlin, dans lequel cet auteur déclare être 
né à Lille. Mais comme nous le verrons p. 102, cet ouvrage est très suspect. 
—Dans les T'heologiæ regulæ, Alain prend un exemple dans la fabrication 
de l’hydromel ; n'est-ce pas bien encore un homme du nord ? 


(3) Lebeuf. Dissertations, dans l’histoire de Paris, tome 1], part. 2, page 
293, et avant lui Gariel : Series prefect et episcop. Magalon. Bossuct. 
Hist. des variations de l’Église protestante. 


(&) Voir page 64, ce qui est dit au sujet de la dédicace de ce livre. 


= 11 = 


dans ce même ouvrage d'une si grande connaissance du mouve- 
ment et des opinions hérétiques du midi de la France. Ce sont 
là, on le voit, des inductions bien légères, des suppositions gra- 
tuites opposées sans nécessité à une tradition constante. M. 
Schmidt s'attachant à la même dédicace du De Fide et aux 
mêmes observations, en a. conclu tout différemment que le 
De Fide contra hæreticos était l'œuvre d'un autre Alain ; 
nous verrons plus loin sur le livre même si cette explication est 
plus admissible (1). | 

On s’est , il est vrai, souvent trompé sur la patrie d'Alain en 
le confondant avec un de ses nombreux homonymes. Demster 
l'a cru allemand en le prenant pour un Alain ou Alleyn, abbé 
de St. - Jacques , près de Wurtzbourg. ( Herbipolensis) (2). 
Mais celui-ci n était pas même allemand, c'était un écossais, 
comme le prouve ce vers de son épitaphe : 


Scotia me genuit, Germania condit Alanum. 


_J. Trithème , qui fut ensuite abbé du même couvent, le cite 
comme originaire de l'île de Man et comme étant mort en 
4455 (3). L'erreur de Demster est donc bien singulière. 

Drexell a fait du Docteur universel un abbé sicilien , en s'ap- 
puyant de cette dénomination des îles (de insulis) (4). Manri- 
quez en a fait un espagnol, le confondant sans doute avec un 
religieux ami de Saint Bernard , qui vécut dans la Péninsule et 
porta aussi le nom d'Alain (5). 


(4) Schmidt. Histoire et doctrine des Cathares. Voyez plus luin page 66. 
(2) Demsterius. Historia ecclesiastica gentis scotiæ. 


(3) J. Trithème. Chronica monasterii sancti Jacobt herbipolensis. Voyez 
Niceron sur Trithème. 


(&) Drexelius. Commentaire in Daniele. 


(5) Manriquez, |. c, 


La date. 


Alain 
professeur 
à Paris. 


Discussion, 


es Ad 


Rien ne peut aider à préciser la date de la naissance de 
notre philosophe. Les événements de sa vie sont aussi fort peu 
connus. 

Si on lui attribue les Commentaires sur les prophéties de 
Merlin, œuvre assez problématique, ainsi que nous le verrons 
plus loin , il était tout petit enfant en 1128 (4). 

Faut-il, en prenant à la lettre un distique de ses Paraboles, 
croire qu'il ait été élevé par une belle-mère très-dure qui em- 
péchait son père de lui venir en aide : 


Aufert sæpe solo nigra nubes lumina solis 
Et patris auxilium sæva noverca mihi. 


Mihi pout être mis ici pour nobis, hominibus , comme en 
divers passages de ses poésies, mais d'un autre côté Alain y 
fait souvent aussi allusion à sa personne, comme dans ces vers 
fréquemment cités : 


Simpliciter cæcus prohibetur ducere cæcum, 
Ne cæcus cæcum ducat in antra suum ; 

Sed tamen insanum prohibere nequimus Alanum 
Quin dubio cæcos ducere calle velit. . . . 


Aucun fait ne se présente donc dans cette biographie avant 
qu'on trouve notre docteur professeur et l'un des plus célèbres 
professeurs de Paris, au rapport d'Henri de Gand et de Tri- 
thème (2). D. Brial l’a contesté (3). Il s'étonne que ni Jean 


(1) Ci-après, page 101. 
(2) Henricus Gandavensis. Descriptoribus ecclesiasticis. Voyez l'édi- 


tion de Lemire (Mirœus) dans ses Nomenclatores septem. — Trithème, 
de Scriptoribus ecclesiasticis. 


(3) Histoire littéraire de France, ouvrage commencé par les Bénédictins 
de S. Maur et continué par l'académie des inscriptions et belles-lettres, tome 
XVI, p. 396. Notice très-étendue de D. Brial sur Alain de Lille. 


TR 


de Salisbury, qui nomme tous les professénrs de son temps, ni 
Guillaume-le-Breton , qui cite les poètes célèbres qui l'ont pré- 
cédé, n'en aient pas fait mention (1). Il s étonne plus encore 
que les manuscrits d'Alain ne lui donnent pas cette qualité. Il 
est facile de répondre que les manuscrits du XIIL.e siècle joi- 
gnent plus souvent au nom de l’auteur la qualité de magister 
ou de chanoine , d’abbé , d'évêque, que le titre de professeur. 

Quant à Jean de Salisbury, de l'aveu même de don Brial , il 
parle des professeurs qui ont brillé de 1136 à 4148. Or le 
Docteur universel était très-jeune à cette époque, puisqu'il est 
mort en 4202. Guillaume-le Breton a composé son poème vers 
1220. À cette époque Alain était mort depuis dix-huit ans et 
peut-être retiré du monde depuis trente. Il n’est donc pas éton- 
nant qu il ne soit pas question de lui. Enfin on ne peut pas 
prétendre, comme on l'a fait, que le professeur célèbre à Paris 
fut Alain de Bencliff (Becolinus) et non Alain de Lille, car le 
premier, au rapport de Mathieu Paris enseignait , en 1230, 
et à cette époque le Docteur universel n'existait plus. 

Il faut donc admettre avec une tradition constante que 
celui-ci enseignait à Paris (2). Henri de Gand nous apprend 
qu'il le faisait dans l’école ecclésiastique (præfuit ecclesias- 
ticæ scholæ). On appelait ainsi l'école établie originairement 
près de l'évêché de Paris (cloître Notre-Dame), et auprès de 
laquelle bien d'autres étaient venues se grouper, avant la con- 
stitution de l'Université. C'est dans celle-là même que Guillaume 
de Champeaux avait donné ses leçons lors de ses premières 


(1) Jean de Salisbury, le célèbre ami de S. Thomas de Cantorbéry. Voyez 
son Metalogicum, et son Policratus et ses épitres. —Willelmus Brito, dans 
sa Philippéide et sa chronique en prose. 

(2) Henricus gandavensis, de script. eccles. 1. c, Trithème, idem. On 


voit même dans les T’heologicæ regulæ Alain prendre la Seine pour sujet 
d'un exemple. 


Enseigna- 
t-il à 
Montpel- 


lier ? 


it 


luttes avec Abeilard (1). Le mot præfuit semble indiquer 
qu’Alain eut la qualité de régent ou de maître des études , quel- 
quefois cependant, ce terme ne désigne que la simple occu- 
pation d'une chaire (2). Quant à Sander, qui fait de notre 
docteur un maître de Sorbonne, et à Sixte de Sienne qui en 
fait un modérateur de l'Académie, ils emploient des expres- 
sions vicieuses qui, prises au pied de la lettre, seraient des 
anachronismes, puisqu'elles désignent des fonctions toutes ré- 
centes (3). 

Etienne de Borbon, frère prêcheur du XIIIe siècle, auteur 
d'un traité estimé sur les Sept Dons du Saint-Esprit, parle 
d'Alain comme ayant enseigné la théologie à Montpellier (4). 

On a rejeté cette allégation en s'appuyant sur ce que l’ensei- 
gnement de Montpellier s'était borné au droit et à la médecine 
jusqu'en 1422, époque à laquelle le pape Martin V y institua 
une chaire de théologie. 


(4) Confèrez Duboulay. historia universit. parisiens, M. de Réwusat : 
Âbeilard. — Est-ce parce qu'il était pourvu d'une chaire officielle qu’Alain 
parle avec tant de dédain de ces pauvres écoles dont la détresse nous a été 
peinte par les chroniqueurs ? 


In sterili steriles aratrum facit aggere sulcos, 
Et labor in miseris est sine fruge scholis (Parabolæ). 


{ 2) Conférez Duboulay, 1. c. Crevier. Histoire de l'Université de Paris. 
—Valet de Vireville, De l’instructiou publique au moyen-âge. 


(3) Ant. Sanderus, Descriptoribus F landriæ, Sixte de Sienne. Biblioth. 
sancta, 


(4) Stephanus de Borbone, né à Bellavilla, mort en 1261. Son grand 
ouvrage intitulé : De septem donis Sancti Spiritus est resté manuscrit. Ce- 
pendant différents passages en ont été édités par Quetif et Echard dans 
leur recueil : Scriptores ordinis prædicatorum. 1 faut en remarquer un où 
il est parlé en détail des Cathares et un autre cité ci-après dans lequel il 
s'agit d'Alain. | 


Sa 
vocation 
religieuse. 


Légendes. 


— 45 —— 


La raison paraît décisive, cependant Etienne de Borbon, 
auteur grave et très instruit, dans lequel Vincent de Beauvais 
déclare avoir tant puisé, devait être bien informé. Ne pourrait- 
on pas supposer qu'Alain à été chargé d'enseigner la théo- 
logie à Montpellier, sans titre officiel, mais seulement pour 
combattre la propagande albigeoise (1). Tant de membres de 
l'ordre de Citeaux ont été, à cette époque, chargés de la même 
mission comme prédicateurs, que notre savant docteur a bien 
pu y être employé comme théologien. Ainsi se trouveraient ex- 
pliqués bien des faits de sa vie : ses études sur les hérésies du 
Midi, ses relations avec les seigneurs de Montpellier et autres 
circonstances sur lesquelles nous aurons à nous expliquer plus 
loin (2). 

Non seulement Alain fut un professeur célèbre, mais il jouit 
de la plus grande réputation comme poète, comme orateur, 
comme philosophe, comme théologien (3). 

Comment le célèbre professeur, l’illustre écrivain fut-il con- 
duit à se retirer du monde? C'est ce que la tradition explique 
par les légendes les plus ‘fabuleuses, et cependant l’ordre de 
Citeaux y tenait comme à un point d'honneur, tellement qu'en les 


Rte Pi A ee carnet ho | 


(4) Etienne de Borbon dit cependant : 1. c. (Quetif I. 94) pluribus annis 
scholam theologicalem rexit. 


(2) Voir ci-après page 66. 


(3) Pour le poète, voyez Othon de S. Blaise, sa chronique citée ci-des- 
sus. Eberhard de Béthune, célèbre grammairien du XIIIe siècle, qui dans 
le poème didactique intitulé : Græcismus, dit : 

Septenas quis alat artes describit Alanus, 


Virtutis species proprietate docet. 


Pour l'orateur, voyez Henri de Gand. I. c. Pour le philosophe : Albéric 
de Trois-Fontaines, 1. c. Henri de Gand, 1. c. Trithème, 1, c. Pour le théolo- 
gien , les mêmes auteurs. 


attaquant, Oudin se croit plaisamment obligé d'en demander 
pardon aux Cisterciens et aux autres partisans d'Alain (Alii que 
Alanistæ) (1). 

Voici le fond de ces légendes : Alain, plein de son savoir, 
se croit un jour en état d'expliquer publiquement le mystère 
de la Trinité. Il se promenait sur les bords de la Seine en réflé- 
chissant à son sermon , lorsqu'il rencontra un enfant qui, muni 
d’une écale de noix, prétendait vider le fleuve dans un trou 
pratiqué au milieu du sable. Sur les observations du docteur, 
l'enfant lui fit remarquer que le projet d'expliquer un mystère 
n'était pas moins insensé. Frappé de cet avis du ciel, Alain 
ne monta en chaire le lendemain que pour y prononcer ces pa- 
roles devenues proverbiales : Qu'il vous suffise d'avoir vu 
Alain (vobis sufficiat vidisse Alanum), et se retira à Citeaux, 
où il cacha son grand nom sous l'habit de convers, en se dé- 
vouant à la garde des troupeaux (2). 

Cotte légende s'est racontée dans les mêmes circonstances de 
saint Augustin, lorsque l'orgueil l’eut poussé à expliquer le 
même mystère de la Trinité (3). Nous l’avons encore trouvée 


(4) Oudin. Commentaria de scriptoribus et scriptis ecclesiasticis , tome 
LL, col. 14387. Ces légendes paraissent venir d'un Compendium vitæ Alani 
placé en tête des Commentaria in parabolas Alani édités à Lyon en 1504. 
(V.plus loinp.130). Henriquez, dans son Menologium cistercienc.Antuerpiæ, 
Plantin, 1630, paraît être le premier qui ait attaché le nom de Mathieu 
Bonhomme à ces commentaires anonymes. Buzelin dans son Gallo-Flan- 
driæ Annales ad annum 1294, l’a reproduit, puis Duboulay, dans son 
Historia universitatis Parisiensis, et de Visch dans la préface de son édi- 
tion des œuvres d'Alain, ont fait de même. D. Brial, dans l'Histoire litte- 
raire de France, l’a rapportée, et tout récemment M. Vallet de Vireville, 
dans son Âistoire de l'Instruction publique en Europe, en a fait autant, 


(2) Voir ci-après l’épitaphe d'Alain à Citeaux. 
(3) Voyez l'édition du Bonum de Apibus de Th. de Cantimpré, donnée 


par Colveneer. 


— 47 


dans le vieux et curieux ouvrage intitulé : le cœur de philoso- 
phie, là elle est attribuée au philosophe Euphytus (1). 

Le merveilleux ne s'arrête pas encore à ce point. Les tradi- 
tions venues de Cîteaux ajoutent que quelque temps après , des 
hérétiques étant arrivés à Rome pour répandre leurs doctrines, 
le pape y convoqua tous les hommes notables du clergé. Alain 
y suivit son abbé dont il pansaït les chevaux, se cacha sous 
son manteau pour pénétrer dans l’assemblée, et, inspiré par le 
ciel, au moment où les hérétiques triomphaient, prit la parole 
et les confondit de telle sorte qu'ils s’écrièrent : Alain seul ou le 
diable est capablede parler ainsi (aut Alanus, aut diabolus es); 
ce qui fit connaître le grand docteur. Mais celui-ci, malgré les 
offres les plus magnifiques, préféra conserver jusqu'à sa mort 
la robe de convers ; seulement, on lui adjoignit deux clercs, par 
ordre du Souverain-Pontife, pour écrire sous sa dictée (2). 

Il est difficile en effet, d'expliquer autrement que par la mo- 
destie d'Alain, comment il est resté simple religieux, lorsqu'à 
cette époque on voit Gilbert de la Porée, évêque de Poitiers ; 
Pierre le Lombard , évêque de Paris ; Pierre de Poitiers , arche- 
vêque d'Embrun ; Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen ; 
tous les clercs en un mot très-haut placés, quoiqu’Alain puisse 
dire contre son temps à cet égard (3). 

D'un autre côté, les exemples de conversion subite, 
d'hommes qui quittaient les plus brillantes positions pour s'en- 
fermer dans le cloître, ne sont nullement rares au XIIIe siècle. 


(1) Cet ouvrage a été, comme on sait et comme son titre l’indique, trans- 
laté du latin en francais à la requête de Philippe-le-Bel. Paris, Verard, 
in-49, sans date (XVe siècle). 

(2) Henriquer. Menologium. — Barnabas de Montalbo. Chronic. cistere. 
tome I, tous deux d’après Mathieu Bonhomme. 


(3 ‘ Dans le poème intitulé: Ænticlaudien ou Encyclopédie, et dans les 
sermons , notamment celui : de Pascha. 


Assista-t-} 
au concile 
de Latran. 


—— 48 —— 


En écartant les détails merveilleux , on ne peut donc légitime- 
ment contester qu'Alain ait été moine de Cîteaux, puisque la 
tradition est constante et qu’un historien contemporain l’at- 
teste (1). Quelques auteurs ont même qualifié notre docteur de 
bienheureux (2). Mais on ne sait si ce titre lui est sûrement 
acquis. Une édition gothique d’un de ses grands ouvrages ne 
lui donne que le titre de vénérable (3). Toujours était-il sur la 
route de la canonisation , car ces qualifications en sont, comme 
on sait, les premiers degrés. On célébrait dans l’ordre sa mé- 
moire le 30 janvier (4). 

Quant à la présence de notre docteur à un concile tenu à 
Rome, on a prétendu rejeter entièrement ce fait. 

Les auteurs qui ont voulu le préciser, au contraire, disent 


Discussion, qu il s’agit ici du concile de Latran, dans lequel furent condam- 


nés les disciples d'Amaury de Chartres (6). Or, ceux-ci furent 
condamnés à Paris (4200) et non à Rome. Ils le furent aussi 
il est vrai, dans cette dernière ville, mais en 4245, bien après 
la mort d'Alain. | 

De Visch, dans la préface de l'édition des œuvres du docteur 
universel, tout en conservant l'opinion qu'il s'agit ici d'un 
concile de Latran , mais s’appuyant sur ce que le récit primitif 
ne le désigne pas expressément , a voulu l’entendre de celui qui 
se tint en 4489 et dont un ouvrage d'Alain fait justement men- 


(4) Albéric de trois Fontaines, 1. c. 


(2) Jean de Ciîteaux, dans son Catalogue des saints et des bienheureux 
de l'ordre de Citeaux, qu'on trouve joint à de vieux missels et Leon Alla- 
tius, de Apibus Urbanis. 

(3) Edition du Liber in distinctionibus de 4877 et le manuscrit des Regulæ 
theologicæ dont s’est servi Mingarelli. Voir ci-après, page 73 et 92. 

(&) Henriquez. Menologium. 


(5) Henriquez Menolog. cisterciens, et Louis-Jacob de S. Charles : De 
claris scriptoribus cabilloniens. 


Date 
de 
ses écrits. 


— 49 — 


tion (4). Mais cependant il est à croire que dans ce même pas- 
sage où il cite les Vaudois, l’auteur, s’il y eût assisté, n'eût 
pas manqué de le dire. Oudin, qui confond notre Alain àvec un 
évêque d'Auxerre du même nom, a rendu très-probable la 
présence de ce dernier au concile de Latran de 4480 (2). N'est- 
ce pas ce qui a pu faire croire que le docteur universel y assis- 
tait? 

Quant aux détails de cet événement, ils sont trop vulgaires 
pour inspirer la moindre confiance; cette exclamatien des héré- 
tiques qui reconnaissent Alain à la puissance de son talent , s'est 
racontée de beaucoup de docteurs du moyen-âge, comme dans 
notre siècle de plaisir , elle se raconte des grands virtuoses que 
leurs rivaux reconnaissent à la manifestation de leurs qualités. 
Toujours est-il qu'on n'attribue ces légendes qu'aux grands 
noms. Ce sont comme des tributs que la crédulité paye aux 
éclatantes renommées, et elles peuvent nous donner la mesure 
de la célébrité d'Alain. 

Une autre légende rapportée par un auteur du XVe siècle, 
que cite Martenne (3), dit qu’Alain aurait été frappé de mutisme 
pour avoir négligé, dans un sermon, d'implorer l'intercession 
de la Vierge Marie , et qu'on rapportait de ce grand docteur 
bien d’autres choses merveilleuses. (Mira et stupenda satis 
sunt de isto egregio doctore). 

On peut se demander à quelle époque de la vie de notre 


me 


(1) De fide contra hæreticos, lib. IT, cap. #. Le commentaire de M1- 
thieu Bonhomme, 1. c. ne parle, en effet, que d’une assemblée (locus dis- 
putationis). sans même faire mention de coucile. 


(2) Oudin. Comment. de script. eccles. pour l'opinion qui confond les 
deux Alain, voyez ci-après page 52. 
(3) D. Martenne. Amplissima collectio, t. IV, col. 51. Anonymi Car- 


thusiani de diversarum religionum origine. De l'origine des divers ordres 
religieux 


ms 


Date 
de 
sa mort. 
Opinions 
diverses. 


Discussion. 


= 50 = 


docteur se rapportent ses nombreux écrits. Etait-ce au temps 
de son professorat, ou au temps de sa vie religieuse? Si l'on 
pouvait ajouter quelque foi aux récits qui étaient rapportés 
tout-à-l’heure, on penserait que le frère convers, assez humble 
pour garder les troupeaux, n'a plus dû penser à la publicité. 
En l'absence de renseignements plus sérieux , il faut s'abstenir 
de conclure. Seulement , quelques circonstances relevées dans 
certains ouvrages attribués au docteur universel ont permis 
d'établir qu'il avait écrit dans les vingt dernières années du 
siècle (1). 

Alain vécut très-vieux, paraît-il; Ch. Henriquez dit même 
qu'il atteignit 446 ans , mais c'est par suite des confusions de 
date dont nous avons parlé {2). 

La date de sa mort a été surtout l'objet des plus vives con- 
troverses. J, Trithème et Za Chronique du monde prétendent 
qu'Alain florissait sous Albert d'Autriche et Rodolphe de Nas- 
sau, vers 1300. Cet avis fut suivi par d'excellents esprits tels 
que Possevin, Voss, Gessner, Giraldi; cependant il était 
erroné, et Duboulay a très-bien fait remarquer que, vers 1300, 
Alain n'eut pas appelé les Albigeois de nouveaux hérétiques, 
produit de notre temps (3). 


(1) Voici le résumé de ce travail que l'on doit en grande partie à D. Brial 
dans l'Hist. litt. de France : De arte fidei, écrit de 1187 à 1194.—Summa 
quot modis, 1179 à 1195. — De pœnitentia, 1179 à 1202. — De fide 
contra hæreticos, 1179 à 1202. On ne peut rien de plus concordant quand 
même on devrait y joindrele Commentaria Merlini, 1167-1183. 


Voyez ci-après pour l’authenticité de ces ouvrages et les éléments qui ont 
servi à fixer ces dates. 


(2) Ch. Henriquez,l. c. 


(3) Chronica mundi attribuée à Hartmann-Schedell. — J. Trithème, de 
script. eccles, 1. ce. — Possevinus, apparatus sacer. — Vossius, de poetts 
med. œvi, — Gessner (Conrad), in bibliotheca universali.— Giraldus dial, 
V de poetis. — Bulæus. Hist. univ. Paris. 1] a traité très-amplement 
ce sujet. 


Recherches 
au sujet 
de son 
épitayhe. 


Peu à peu se montre une autre opinion qui semble venir des 
couvents de l’ordre de Citeaux, et qni fixe la mort du docteur 
universel à 4294. On la voit notamment consignée dans l'épi- 
taphe qui était à Ciîteaux sur la tombe d'Alain {4). Cette date 
n'est guères moins erronée que la précédente. Il est évident 
qu'ayant écrit, comme nous venons de le dire, de 14170 à 
1200 , le docteur universel n'a pu vivre jusqu'en 1294, eût-il 
fini d'écrire à trente ans ses ouvrages si nombreux, si étendus 
et si profonds. Henriquez et Moréri veulent expliquer la 
difficulté par des exemples de longévité , mais ils tombent dans 
le fabuleux (2). 

Oudin remontant aux chroniques contemporaines d'Alain, 
arrive à fixer la date de sa mort à 1202 d’après Albéric de 
Trois-Fontaines {que De Visch avait gratuitement accusé d’er- 
reur), el Othon de Blaise (3). C’est évidemment à ce chiffre qu'il | 
faut s'arrêter. Mais que dire de l’épitaphe sur laquelle on s'était 
appuyé. Etait-ce le résultat d'une confusion? Quelque Alain était- 
il mort à Citeaux en 1294, ou plutôt n'avait-elle pas été rédi- 
gée sur des souvenirs déjà confus? C’est ce qui est le plus pro- 
bable. En effet, elle doit être de la même époque que le 
tombeau qui la porte, érigé vers 4447, ou du moins avant 
4503, à ce que rapporte Chalmerot qui en attribue l'érection 
à Jean de Cirey , abbé de Citeaux qui mourut en 1503 (4). 


(1) Voyez ci-dessous. 

(2) Henriquez. Menologium cisterciens. — Moréri : Dictionnaire histo- 
rique. 

(3) Chroniques déjà citées. 

(4) Claude Chalmerot. Series sanctorum cisterciens., cité par d'Argen- 


tré. Collect. judiciorum de novis erroribus, tome 1. 


Cette épitaphe et le tombeau lui-même se trouvent figurés avec les autres 
Principaux monuments de l'abbaye de Cileaux, au neuvième volume des 
mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (Paris, 1736, 


# 


= 49. 
Opinion Il reste maintenant à examiner deux systèmes assez bizarres 


d'Oudin et qui ont mis en question l'identité même d'Alain de Lille. 
qui 
confond 
le docteur buer au premier l'initiative de cette opinion, ont prétendu con- 
universel fondre le docteur universel avec un Alain, né en Flardres 
et l’évêque 
d'Auxerre. 
Reéfutation, 


Oudin et Lemire, avant lui, car Brucker a eu tort d’attri- 


p. 229). Ce mémoire est de M Moreau deMontor. Le dessin est reproduit 


dans la Patrologie de M. Migne. 


On y voit sur le sol ces deux vers : 


Alanum brevis hora brevi tumulo sepelivit, 


Qui dua, qui septem, qui totum scibile scivit, 


Sur le pourtour de la tombe ces deux lignes sont répétées, mais suivies de 
cinq autres : 


Scire suum , moriens, dare vel retinere nequivit, 
Labentis sæcli contemptis rebus egeus fit, 

_Intus conversus gregibus commissus alendis, 
Mille ducenteno nonageno quoque quarto, 
Christo devotus mortales exuit artus. 


Or, cette différence de position, cette circonstance que les deux premiers 

vers étaient déja au XVIe siècle usés par les pieds des fidéles (Mathieu 

ns Bonhomme dans son commentaire sur les Paraboles : voyez ce que nous en 
avons dit plus haut, page 46), tandis que les cinq derniers figurent sur un 
monument qui porte sa date (1487), des détails plus circonstanciés, une la- 

tinité plus pure et plus prétentieuse, ne rapportent-ils pas légitimement Ja 


« 


fin de l'inscription à une date plus rapprochée de nous? Ne font-ils pas 


croire que, complétée lors de la réédification du tombeau, elle a recueilli natu- 
rellement les traditions qui régnaient an X VS siècle. 

Ce qui confirme notre observation, c’est que la Chronica mundi, attri- 
buée à Hartmann (1492), ne cite également que les deux premiers vers, Du 
reste, cette épitaphe a été rapportée de la facon la plus diverse, L'Histoire 
littéraire de France, qui prétend la citer d’:près D. Martenne, la rapporte 
en sept vers telle que nous l'avons donnée. Cependant cet auteur, dans son 
Voyage littéraire de deux Bénédictins, n'en donne que six. De Visch n’en 
copie pas plus et c’est le quatrième qui manque. Il en est de même chez Bu- 
zelin dans son Gallo-Flandria, et ce dernier lisait D, Alanus doctor Pa- 


53 — 


(Flander), d'abord abbé de Larivour ou Rivours (rpatorii, 
aripatorii) pendant douze ans, puis nommé, grâce à l'appui de 
saint Bernard , évêque d'Auxerre, à la suite d'une élection tort 


U 


riensis natione Alemanus, là où. D. Martenne lisait un siècle après : Fr. 
Alanus magnus lector (n'est-ce pas doctor ?) præcipuus, Alemanus. Chez 
Duboulay (Hist. universit, Parisis.) le cinquième vers est, en cuire, re- 
tranché, tandis que Valère André, dans sa Bibliotheca belgica, les donue 
tous les sept. 

Mithieu Bonhomine cite les trois premiers vers, mais en les rapportant de 
cette facon : | 


Alanum brevis hora brevi tumulo sepelivit 
Qui duo, qui septem. totum sibi subdidit orbem 
Scire suum, morcs dare, vel retinere nequivit. 


Oudin veut que ce soit une erreur de Mathieu Bonhomme qui avoue avoir 
lu très-difficilement cette inscription effacée p:r les pieds des fidèles. Soit pour 
mores mis au lieu de moriens, mais peut-on confondre des noms qui n'ont 
aucun rapport dans l'écriture, tels que : Orbem êt scivit au second vers. 
Du Boulay cite d'après Naudé, qui les :vait trouvés à la fin d’un vieux ma- 
nuscrit du De Planctu , des vers qui offrent une grande analogie avec l'épi- 


taphe : 


Explicit Alanus, pereat Sodomita profanus , 
Qui duo, qui septem, qui totum scibile scivit 
Scire suum, moriens , dare vel retinere nequivit, 
Tanti terra viri studio meliore potiri 

Debuit, artificem si funus haberet amicum. 


Le second et le troisième vers ont peut-être fourni la matière de l’ins- 
cription primitive, Peut - être ont-ils été copiés sur elle, Du moins les voit-on 
bien séparés des deux derniers. 

Avant de quitter ce sujet, il est bon de signaler les diverses interprétations 
données à ce mot duo dans le vers : 


Qui duo, qui septem, qui totum scibile scivit. 


Septem désigne évidemment le Trivium et le Quadrivium, mais Duo peut 
désigner les deux testaments ou les deux droits (romain ou canon). On pour- 


agitée, en 4152 (1). Ce prélat se démit de son siége en 4167, 
se retira à Rivours , et en 4185 quitta ce couvent pour celui 
de Clairvaux où il mourut le 1‘ octobre de la même année (2). 


rait encore entendre les deux parties de la théologie (spéculative rt morale). 
: Âl n'est pas possible de se décider avec certitude entre ces diverses supposi- 
tions. 

D'longhelle, dans sa Purpura sacra, cite eneore, comme les ayant vues à 
Citeaux , les deux inscriptions suivantes : 


Ce grand docte Alanus, qui fut tant admirable, 

Rend ce lieu de Cîteaux partout plus mémorable, 

Car il y fut convers, berger et serviteur, 

Encore y sert d'exemple de vertus et d'honneur, 

Donc vous religieux , convers et tous passants, 

Imitez ce docteur qui cy-bas est gisant. 

Subjacet huic lapidi toti venerabilis orbi 
Alanus doctor quem decet almus honor. 

Theologis ac philosophis merito sociandus, 
Vatibus antiquis nec minor ipse fuit. 

Egregie scribens, planxit, docuit, reseravit, 
Naturam, mores, mystica verba dei. 

Tnclyta gesta Jesu cecinit clarosque triumphos, 
Artes depingens militiam que poli, 

ÆEloquii pictor, morum censor, citharista 
Pieridum, fidei belligerator erat. 

Hic mundum fugiens, sub religionis amictu 
Vixit, adhuc manet hic : intumaulatus adest. 


On aura remarqué que ces vers font allusion à divers écrits d'Alain : 
le Deuil de la Nature, l’Anticlaudien, l’art du Prédicateur, le Traité 
des vices, ses nombreuses puésies, ses deux Traités de la foi. 


(4) Oudiu. De script. eccies. tome IF, col. 1388, dissertation très éten- 
due : de unico Alano. — Miræus : Chronica cistercien. et ses scholies sur 
H. de Gand, dans sa Bibliotheca ecclesiastica sive nomenclatores veteres 
VIL. Du reste, il a varié sur ce point dans ces deux livres.—Brucker. ZZist. 
critic, philos. tome IV. 2 


(2) Chronique de S. Marien d'Auxerre (Chronica S.ti Mariani), par le 
Fr. Robert, rapportée dans le recucil des historiens français de Dom Bou- 


, 


er 

Pour confondre ces deux personnages, Lemire, Oudin et ceux 
qui les ont suivis : Camusat, Quetif, Fabricius, les frères de 
Sainte-Marthe et Dom Vaissette s'appuient sur la communauté 
de patrie et sur la coïncidence des dates (1). Le docteur univer- 
sel a écrit ses ouvrages, comme nous l'avons dit, de 4180 à 
1200 , et l'évêque d'Auxerre a rédigé la vie de saint Bernard 
avant la canonisation de ce saint, c’est-à-dire avant 1174 (2). 
Enfin , les mêmes auteurs se fondent sur l'impossibilité d'établir 
d'une façon distincte la date de la mort de l’un et de l’autre. 

On a répondu très-justement que l’un appartient à Clairvaux, 
y est mort, y a été enterré, d’après ses volontés expresses (3), 


— cr ee 


quet. Scriptores rerum gallicarum, tome XIT, p. 296. — Conf. Gallia 
Christiana nova , tome IT, col. 293, et surtout la chronique anonyme de 
ce prélat daus les actes des évêques d'Auxerre, citée par Labbe, Biblioth. 
manuscr., tome 11, page 465. —Voyez encore Henriquez, Menolog. c.— 
Buzelin, Gallo-Flandria, 1, ce. Les notes de Mabillon sur la lettre 280 de 
S. Bern:rd dans l'édition des œuvres de ce saint, La Chronica vallensis. — 
Jacob d’Aula, Catal. episcop. Autissiod. — Les Dissertations de l'abbé Le- 
beuf jointes à son histoire de Paris. Lebeuf fixait par erreur la mort de 
l'evèque d'Auxerre à 4182. 


(1) Camusat, Promptuartum sacr. antiq. tricass, diæces. — Quétif et 
Échard, Scriptores ordinis prædicator., tom. 1, p. 19&.— Fabricius. Bib. 
med, et inf. latinit , édition de Mansi qui suit Oudin. — Gallia christiana 
nova, tom. XI. Autissiod, diæces. — Histoire générale du Languedoc, 
tome III, p. 149 et suiv. 


(2) Cette vie de S, Bernard n'est que la réduction et la mise en ordre 
d'autres biographies antérieures. Elle est dédiée à Ponce, abbé de Clairvaux. 
On la trouve dans différentes éditions de S. Bernard. On connaît encore de 
l’évêque d’Auerre diverses chartes , titres , testaments, lettres éditées par 
Duchesne, Æerum gallicarum scriptores, tome IV, page 642. Les 
frères de Ste-Marthe dans la Gallia Christiana, 1. c. et Camusat, |. c. Le 


tout est reproduit dans la Patrologie de M. Migne, vol. CLXXX V et CCI, 
col. 1384. 


(3) Voyez dans Camusat et Ste Marthe, son testament dont Oudin a voulu 
sans raison précise contester l'authenticité. Il se fait mettre près de S. Ber- 


tandis que l’autre a passé ses derniers jours êt a été enseveli à 
Cîteaux ; que l’un prend dans la vie de saint Bernard, qu'il a 
écrite , le titre d’ancien évêque , qu'on ne trouve jamais sur les 
ouvrages de l'autre, tandis que le nom de docteur universel, . 
souvent ajouté aux ouvrages du dernier , n’est jamais mentionné 
en tête de la vie de saint Bernard. Rien ne prouve que le pre- 
mier ait vécu au-delà de 14185, date des derniers titres qui 
portent son nom , tandis que le second est mort en 1200. Rien 
ne prouve non plus que l’évêque d'Auxerre füt de Lille, car 
on ne trouve pas le titre d'insulensis, de insulis ajouté à son 
nom. On voit seulement par son épitaphe qu'il y avait été élevé 
(educatus}, et qu'il était Flamand (Flander) (4). Après tout, 
._il ne serait pas extraordinaire que deux hommes portant un 
nom aussi commun, fussent sortis à la même époque de la 
même ville (2). Ce qui doit déterminer ici, c’est que, ni Othon 
de Saint-Blaise, ni Albéric de Trois-Fontaines, ni Henri de 
Gand, au XIIe siècle, ni Robert Holkot, ni Trithème, ni 
Sixte de Sienne , dans les siecles suivants , en parlant du doc- 
teur universel, n'ont fait mention qu'il ait été évêque, ce qu'ils 

n'eussent pas manqué de mentionner (3). De même, on ne peut 
_croire que la chronique anonyme (4) qui donne tant de détails 
sur l'évêque d'Auxerre, eût passé sous silence qu'il eût été un 
philosophe et un poète des plus célèbres. 


ed 


nard, ut simul rèesurget. — Conf. encore Duboulay, Hist.universit. Paris, 
t. I, p. 432 et ILE, p. 19. — Louis-Jacob de S. Charles, de script. cabill., 
p- 148. — Lebeuf, Hist. de Paris, tome 11, part. 2. — Histoire littéraire de 
France, 1. c. pour l'opinion qui distingue les deux Alain. 


(4) Epitaphe dans la Gallia christian, 1. c. 

(2) Voyez dans Fabricius. Bib. med. et inf. latinit. la liste des auteurs 
nommés Alain. 

(3) Tous ces auteurs ont été cités ci-dessus. 


(8) Dans les Acta episcop. Autissiod Voyez ci-dessus. 


Réfutation 
de 
l'opiuion * 
de 
D. Brial, 
qui confond 
le docteur 
universel 
et l'abbé 
de 
Tewkesbury. 


—— 57 — 


Dom Brial n’a pas été plus heureux en confondant notre doc- 
teur avec un Alain qui fut d'abord chanoine de Benevent , puis 
embrassa la règle de saint Benoît dans le couvent ou plutôt 
l'église chapitrale de Cantorbéry, dont il fut nommé prieur le 6 
août 4179 (1). En 4186, il devint abbé de Tewkesbury; puis 
l'histoire le perd complètement de vue, car on ne voit pas sur 
quel fondement Fabricius, qui l'appelle Alanus Albertus, fixe 
sa mort à 1204 (2). 

Les diverses raisons sur lesquelles se fonde Brial sont la 
coïncidence des dates ; le grand nombre de manuscrits d'Alain 
que possède l'Angleterre ; la connaissance historique relative à 
ce pays que dénote le commentaire sur les prophéties de Merlin; 
enfin, sur ce qu'il est très-douteux qu'Alain ait été professeur à 
à Paris. ( Ce dernier point génait en effet beaucoup le système 
de l'Histoire littéraire). 

À ces allégations on peut répondre qu'il est avéré qu'Alain 
a enseigné à Paris , comme nous l'avons expliqué ci-dessus (3); 
que le commentaire de Merlin est une œuvre plus que suspecte 
de l'aveu même de Dom Brial; que, si les manuscrits d'Alain 
sont fort communs en Angleterre, ils nele sont pas moins en 
France et en Allemagne (4); qu'enfin la coïncidence des dates 
prouve tout au plus que deux Alain vivaient en même temps. 

D'ailleurs, quel roman Dom Brial n’a-t-il pas dû imaginer 


a 


(4) D. Brial, ancien bénédictin, membre de l’académie des inscriptions 
et belles-lettres, Dans l’Hist. litt. de France, tome XXI, I. c. 11 s’est servi de 
Gervais, chronica cartuas. apud T'wysden, col. 4450.— Balœus Centuria, 
I], 46. — Leland, Comment. de script. britan. 191. — Duboulay, Hist. 
univ. parisiens, |. c. — Pitseus, De rebus anglic. seu de illust. Angliæ 
scrip. | 


(2) Bib. med. et inf. latinit. 
(3) Voyez ci-dessus page 42. 


(4) Conf. Haenel, Labbe, Montfaucon, Sander et le Catalogue de la 
bib. impériale d’Anicet Mellot. 


—— 58 — ’ 


pour soutenir son système et pour confondre les faits de la vie 
du docteur universel avec l'existence de l'abbé Tewkesburv. 
Suivant lui, né à Lille, de parents anglais, Alain aurait pris 
parti dans la campagne de Roger en Italie (1); puis chassé 
avec les Français, serait revenu en Angleterre, où l'excès de 
son zèle l'aurait successivement fait reléguer de Cantorbéry à 
Tewkesbury, et obligé enfin à chercher refuge en France à Ci- 
teaux. Telle est cependant l'illusion d'un parti pris qu'un savant 
bénédictin n’a pas reculé devant ces hypothèses gratuites. 

Malgré tout ses efforts, Brial n’a pu expliquer le silence des 
contemporains, comment il se ferait que les auteurs les plus 
rapprochés de l'époque à laquelle vivait Alain : Othon de Saint 
Blaise, Albéric de Trois-Fontaines , Henri de Gand, etc., etc., 
en parlant du célèbre docteur n’aïent pas mentionné qu'il avait 
occupé de hautes positions en Angleterre, rendues plus sail- 
lantes encore par des relations avec saint Thomas de Cantor- 
bérv. Enfin, pourquoi les ouvrages de l'abbé de Tewkesburv 
ne portent-ils pas le titre de docteur universel (2)? Pourquoi, 
au contraire, les manuscrits de celui-ci ne le, font-ils jamais 
abbé d'aucun couvent ? 

Il faut donc rejeter ces systèmes, quels que soient le talent et 
l'érudition de ceux qui les ont embrassés. Alain de Lille, le 
docteur universel, est tout à fait distinct de l’évêque d'Auxerre 


(4) Pour expliquer son séjour à Bénévent. 


.(2) Une vie de saint Thomas de Cantorbéry dans la belle édition de M. 
Gilles, Londres, 14845. Elle avait déjà été éditée plusieurs fois avec d'autres 
vies du même saint. L'édition de M. Gilles comprend aussi différentes 
lettres. Le tout est reproduit au tome CXC de la Patrologie de M. Migne. 

On attribue au même Alain des sermons |Pitseus, 1. c.), les Acte Claren- 
donensia sive de rebus gestis in Clarendonensi concilio et postea (Balæns 
et Leland , 1. c.). Quant aux Problemata sophistica que lui attribuent aussi 
les mêmes auteurs , il pourrait bien v avoir confusion. 


yon mme ts, fe + +. 


Alain 
Porret 
n'est pas 
autre 
qu'Alain 
de Lille, 


et de l'abbé de Tewkesbury (1). Certes, si le grand docteur eût 
porté l'un ou l'autre de ces deux titres, les auteurs contempo- 
rains et les manuscrits du temps en eussent fait mention. Il faut 
sentenir à leur témoignage, et ne point les faire plier ou les 
omettre devant les exigences d'opinions préconçues. 


Îl est encore un autre Alain dont l'existence, au coutraire, a 
été à tort distinguée de celle du docteur universel ; c'est Alain 
Porret, surnommé, on ne sait pourquoi, Hermès Trismégiste. 
Ce personnage n’a été l’objet d'aucune mention dans les écri- 
vains ses contemporains , du moins jusqu'aujourd'hui on n'en 
a point cité, et sa biographie est lout à fait nulle (2). 

Il n'est connu que par son nom ajouté à quelques manus- 
crits et quelques anciennes édilitions conservées dans nos biblio- 
thèques , mais en remontant aux sources et en nous aidant de 
renseignements que MM. les bibliothécaires ont bien voulu nous 
fournir , nous avons pu constater d'abord qu'il y avait à cet 
égard beaucoup d'indications fausses, ensuite, que les manu- 
serits ou éditions portant vraiment le nom de Porret ne font que 
reproduire des ouvrages d'Alain de Lille (3). Il faut donc en 


(1) Ce nom de Docteur universel a été aussi donné à un Alain du XIII 
siècle, jurisconsulte à Bologne. Voyez Biographie universelle et ci-après page 


109 sur le De accusationibus. 


(2) Fabricius n’en dit rien qui vaille. L'Histoire littéraire de France, no- 
tice signée F.-L. (Félix Lajard), tome XXI, page 309, en dit fort peu de 
choses, et, sans donner aucune preuve à l’appui, range A. Porret dans les 
Notices succinctes sur divers écrivains de l’an 1286 à 1300. Dans cet 
article l'Histoire littéraire prétend avoir restitué à Alain de Lille des ouvrages 
que généralement on attribuait à l'autre. Mais au tome XVI, dans la note 
de D. Brial, on ne trouve rien de pareil. : 


(3) L'Histoiredittéraire de France cite d’après Haenel (Catalog. codicum 


manuscript.) : 
Alani opus ms. in-80 sur parchemin, à la bibliothèque de Boulogne- 
sur-Mer : ‘ 


conclure que notre docteur s'appelait Porretanus de son nom de 
famille, ce qui n'a rien d'étonnant, car ce nom subsiste encore 
dans le peuple de Flandres (1). Il est cependant singulier, il 


Alani tractatus de materiis religiosis, beau ns. in-fol. sur parchemin de 
Ja bibliothèque de Charleville ; 

Alani rhythmi teutonici, à Ja bib, de Saint-Gall ; 

Alani Porrei de virtutibus, à la bib. du roi d'Angleterre. 


Et d’après Montfaucon, bibliotheca bibliothecarum : 


Alani porretani alias Hermes trismegisti seu Mercuri regulæ celestis 
Juris vel maxima id est axiomata theologiæ cum inlerpretationtbus, 
n.0 434, ms. de la bibliothèque publique de Bâle. 

Nous avons demandé des renseignements à MM. les bibliothécaires de 
Charleville, Boulogne et Saint-Gall, et voici ce qu’ils nous ont appris avec 
une obligeance dont nous tenons à les remercier ici. 

L'Opus Alani de Boulogne n’est que le Carmen de Planctu naturæ, V'un 
des ouvrages les plus connus d’Alaiu de Lille. Le manuscrit porte ce dernier 
nom et nullement celui d'Alain Porret. 

À Charleville, il n'existe aucun ms. sous ce titre : Z'ractatus de matertis 
religiosis, aucun non plus qui porte le nom de Porretanus, mais plusieurs 
ms. d'ouvrages très-connus d'Alain de Lille. 

Les rhythmi teutonici de S. Gall ne portent ni ce titre, ni aucun autre titre 
original. Un bibliothécaire a mis d'une main moderne celui-ci : Sequens 
carmen est imperfectum, vocatur proverbia Alani metrica. Le nom de 
Porret ne s’y trouve donc nullement. Ce ne sont, en effet, que les paraboles 
d'Alain avec une traduction allemande 

Quant aux Regulæ celestis juris de Bâle, elles portent bien le nom de 
Porret, mais le 'ractatus de Arte prædicandi et le De sex alis Cherubim 
: (deux ouvrages fort connus d'Alain de Lille) ne le portent pas, quoique Haenel 
les mentionne ainsi, p. 590 de son catalogue. On a pu voir par ce qui pré- 
cède, et l’on verra encore plus loin, combien ce bibliographe anglais qui 
travaillait trop rapidement a donné d'indications erronées. 

Les legulæ ont été imprimées aussi sous le nom d’Alain Porret, bien 
qu'elles soient d'Alain de Lille. Nousen parlons amplement plus loin, p. 74. 


(4) Porreus, Porretanus, Poré, Poret, Porette , Porret , Porrette , de 
la Porée. — Un manuscrit des Distinctiones monasticæ , ouvrage anonyme 
publié au tome III du Spicilegium solesmense, porte en marge des vers 
d'Alain de Lille sous le nom d'Ælanus Poryus. 

Gilbert de la Porée est appelé par le chroniqueur Helinand : Porrate (Gisle- 


De même 
d'Alain 
Da Puy. 


=: 61 = 
faut l'avouer, qu'il ne se trouve joint à celui d'Alain que sur 
les manuscrits et les éditions d'un seul ouvrage. Nous ne pou- 
vons expliquer ce fait, mais il est incontestable que ce livre 
appartient au docteur universel et que celui-ci, par suite, ne 
fait qu'un avec Alain Porret. 

M. Ravaisson a aussi trouvé à Avranches un manuscrit por- 
tant le nom d'Alanus de Podio (Alain du Puy), qui n'est au- 
tre, comme nous le montrerons ci-après , qu'un ouvrage d'Alain 


de Lille. Qu'est-ce encore que ce nom de Dupuy qui n'est pas 


rare non plus dans le Nord? Quel rapport a-t-il avec le nom de 
Porret ou de Porée? Est-ce une faute de copiste qui fait de 
De Porreo; De Podio? (4). 

1 y a encore une autre supposition à faire. Au temps d'Alain 
il y avait à Lille un puy, comme on disait alors, chambre de 
rhétorique, société savante, comme on a dit depuis. C’est un 
autre Lillois du même temps à peu près, Giélée, qui nous 
l'apprend. Dans son poème célèbre, de renard le novel, cet 
auteur cite : Lille le jolie dont li puis est resours (2). Or, 
Giélée écrivant son roman satyrique vers 1270, on peut bien 
supposer que le puy existait un siècle auparavant, puisqu'il avait 
eu le temps d’être dissous et reconstitué. Peut-être donc Alain 
joignait-il à son nom le titre de membre du puy de Lille, c’est 
là une pure hypothèse que nous soumettons ici sans y attacher 
d'autre importance. Toujours est-il qu'Alanus de Podio n'est 
autre que le docteur universel. | 


bertus cognomento Porratanus). C'était aussi là un nom de famille, car ce 
célèbre personnage était, comme on sait, né à Poitiers. (Voyez la chronique 


d’Othon de Frysingue.) 


(4) Voyez ci-après page 98. — C'est dans le rapport au ministre sur les 
bibliothèques de l'Ouest que se trouve cette mention, 


(2) Resours, restauré. Voyez Renard-le-Novel dans l'édition de Meon. 


Ouvrages 
d'Alain. 


Editions 
générales. 


— 62 — 


IE. 


BIBLIOGRAPHIE. 


Les ouvrages attribués à Alain de Lille sont très nombreux, 
mais ils sont loin de présenter tous un caractère incontestable 
d'authenticité. 


Ses manuscrits sont abondamment répandus dans toute l'Eu- 
rope occidentale. Un assez grand nombre de ses écrits ont, été 
imprimés isolément, comme nous l'indiquerons sur chacun d'eux. 
Il existe en outre deux éditions générales des œuvres du doe- 
teur universel. 


La première est celle de De Visch, prieur de l'abbaye des 
Dunes près Bruges. Anvers. 1654. Pet. in-fo). (1) 


La restriction modeste du titre (Opera omnia quæ reperiri 
potuerunt) indique que De Visch ne croyait pas posséder la 
totalité des écrits d'Alain. En effet, ainsi qu'on le verra, cette 
édition est loin d’être complète. Cependant , Roquefort (dans la 
Biographie universelle) l’a donnée.comme telle; il est vrai qu'il 
cite comme s y trouvant , le De lapide philosophico qui n y est 
précisément pas. 


Bree 


(1) Alani magni de insulis, sacræ theologiæ doctoris, cognomento 
universalis..... opera moralia parænetica , et polemica quæ reperiri po- 
tuerunt, quorum pleraque nunc primum ex antiquis manuscriptis codicibus 
eruta luci dantur… opere et studio À. D. Caroli De V'isch, prioris cœnobii 
B. Mariæ de dunis S. Theologiæ professoris… Antuerpiæ apud Guillel- 
mum Lestenium, et Engelberturm Gymnicum, via vulgo Hoochstraet dicta, 


sub pelicano aureo, anno MDCLIT”. 


E. 
De fide 
contra 
hæreticos. 


Edition. 


— 63 — 

La seconde est celle de M. Migne. Paris. 41855. gr. in-8° (1) 
qui forme le tome CCX de la patrologie (2). Elle a reproduit 
celle de De Visch en y ajoutant des ouvrages importants incon- 
nus à celui-ci. On trouvera à la fin de notre travail 3) le con- 
tenu et les lacunes de chacune de ces éditions. 

Voici maintenant la série des ouvrages particuliers, tant pu- 


bliés qu'inédits, attribués au docteur universel; d'abord les 
œuvres philosophiques : : 


1. De fide contra hæreticos præsertim Albigenses seu 
quadripartita contra hæreticos (4. 


Cet ouvrage avait été imprimé à Paris, mais cette édition 
faite sur un manuscrit appartenant à Papire Masson , frère de 
l'éditeur (5), n'était nullement correcte et ne contenait que les 


(4) Alani de Insulis doctoris universalis opera omnia. Accurante J.-P. 
Migne Bibliothecæ cleri universæ sive cursuum completorum in singulos 
scientiæ ecclesiasticæ ramos editore. Parisiis, apud J.-P. Migne, editorem, 
in via dicta d'Amboise. 


(2) Patrologiæ cursus completus.. series seeunda in qua prodeunt patres, 
doctores , scriptoresque ecclesiæ latinæ. 


(3) Ci-après page 132, note 2. 


(&) De fide contra hæreticos sui temporis, præsertim Albigenses, ainsi 
parlent Othou de S. Blaise et l’édition de De Visch. — De fide contra Al- 
bigenses et JValdenses disent Albéric de Trois-Fontaines , 1. c. et Trithéme 
l.c, D'autres ajoutent après ces mots : /Ÿaldenses, ceux-ci: Judæos et 
Paganos ou Mahumetanos, Chronicon Belgicum, 1. c.—Des manuscrits : 
Quadripartiga contra hæreticos, comme l'édition de J, Masson. —D'autres : 
Tractatus contra hæreticam pravitatem, — Dans tout ce qui précède l’in- 
cipit est: Amatissimo ou quelquefois Reverendissimo, et après le prologue : 
Sicut in antiquorum, — Fabricius, |. c. s'appuyant de l'autorité d’Apost 
Zeno, que semble confirmer Montfaucon, biblioth. attribue à Alain un autre 
ouvrage : Contra hæreticos et ayant pour incipit : Quoniam istis temporibus 
manichæorum. Malgré cette différence ce doit être le même livre. 


($) Alani insignis theologi opus adversus hæreticos et valdenses qui 
postea Albigenses dicti. Nunc primum e bibliotheca Papirii Massoni 


Date. 


GR 

deux premiers livres dirigés contre les Albigeois et les Vaudois, 
ainsi qu'un petit fragment du troisième qui est écrit contre les 
juifs. De Visch l’a reproduite en cet état dans son recueil en la 
corrigeant insuffisamment d'après quelques manuscrits (1). Plus 
tard, ayant retrouvé la suite dans un autre manuscrit de la 
communauté de Cîteaux, il l'inséra dans la seconde édition de 
la bibliothèque de ce même ordre (2). C'est d’après ce double 
texte de De Visch que la Patrologie l'a rééditée. 

Cet ouvrage est dédié à Guillaume, seigneur de Montpellier 
{(Willelmo, Dei gratia Montispessulani principi). Or, le 
nom de Guillaume appartient à tous les seigneurs de cette mai- 
son depuis le gentilhomme qui reçut ce domaine en 975 jus- 
qu'au dernier prince qui fut remplacé en 1204 par son gendre 
Pierre d’'Arragon. En outre, ces nobles hommes , que des inté- 
rêts de voisinage indisposaient contre la maison de Toulouse, 


* protectrice des hérétiques, méritèrent tous, par leur zèle pieux, 


les éloges que contient la dédicace d'Alain : {specialiter indu- 
tus armis fidei christianæ nec naviculam Petri inter tot 
tumultuantes hujus sæculi procellas” deserens). Mais l'au- 


editum a Joan. Massono, archidiacono baiocensi (de Bayeux). Parisus, 
Petrus Chevalier, 1618, in-80. On s’est donc beaucoup trompé quand on a 
pris Masson pour l'imprimeur et 4612 pour la date. Cet onvrage figure dans 
l'ancien catalogue des imprimés de la bibliothèque du roi, mais par une er- 
reur singulière, à la table on l’attribue à Guillaume Allen, angl. sacr. 
theol. professoris reg. duacénsis. 


(1) De Visch cite toujours les manuscritsËdans lesquels il a puisé. Oudin 
en indique que De Visch a négligé de consulter, mais comme il s'agit d'ou- 
vrages imprimés, nous avons cru inutile de reproduire ici ces mentions aux- 
quelles il est si facile de remonter. 


(2) Bibliotheca scriptorum ordinis cistereii, editio secunda. Cologne, 
chez Jean Busœus, 1656, in-ko, page 411. LA première édition était de 
Douai. 1649. 


Analyse. 


— 65 — | 
teur faisant mention dans ce même ouvrage du concile de Latran 
et de l'excommunication qui fut lancée contre les Vaudois (1), 
la date s'en trouve fixée postérieurement à 1179, époque à 
laquelle se tint le troisième concile de Latran qui, par son 
vingt-septième canon, excommunia en effet les Albigeois et 
les Vaudois. | 

Le Guillaume de Montpellier dont il est question ici, avait 
donc le titre de seigneur postérieurement à 1179. On trouve 
précisément que le dernier de ce nom, Guillaume VII dit 
Sibylle du nom de sa mère, a gouverné de 1172 à 1202. Ainsi 
il ne peut être question que de lui, d'autant plus que des rai- 
sons particulières le lièrent au pape, et par suite l'eagagèrent 
à sévir rigoureusement contre les hérétiques; ce dont la même 
dédicace le félicite. | 

Voilà donc la date de ce livre limitée entre les années 1179 
à 1202, dans un espace de trois ans au plus. 

Le traité de la foi contre les hérétiques énumère une à une 


. toutes les principales erreurs des quatre grandes croyances : 


albigeoise, vaudoise, juive et mahométane, puis les réfute 
compéndieusement. En ce qui concerne les deux dernières reli- 
gions, cet ouvrage montre seulement combien les auteurs du 
XIIe siècle, même les plus savants, en connaissaient imparfai- 
tement les doctrines. La controverse prend au contraire un 
grand intérêt, quand elle est dirigée contre les Albigeois et les 
Vaudois. Il est impossible d'analyser cette brillante polémique. 
Ceux qui en trouveraient ici le squelette n'en auraient aucune 
idée ; nous avons d’ailleurs signalé plus haut ce qu'il y avait 
de capital au point de vue philosophique dans ces discus- 
sions (2). 


aus van. : 


(4) Lib. IT, cap. IV, in fine. 


(2) Ci-dessus, introduction, page 14. 


ot 


Authen- 
ticité, 


— 06 — 


On a contesté souvent au docteur universel la propriété de 
cet écrit. M. Schmidt, dans un de ses excellents travaux histos 
riques, voudrait l'’attribuer à quelque autre Alain (4). Il fait 
remarquer que l’auteur du De fide, le dédiant à Guillaume de 
Montpellier, l'appelle son seigneur {Domino suo), de même que 
la Summa quot modis, autre ouvrage également attribué à 
Alain, est dédiée à Ermengauld , abbé de Saint-Gilles. Ce qui 
indique que l'écrivain à qui l'on doit ces deux traités, avait avec 
le Midi des rapports intimes. De plus, le De fide montre une 
connaissance approfondie des hérésies méridionales, qu'on est 
porté à attribuer à un écrivain né dans le Midi ou qui y a vécu 
longtemps, tandis que suivant M. Schmidt, Alain de Lille est 
Flamand et a passé la majeure partie de sa vie en Angleterre. 
Qu'Alain soit Flamand, c'est en effet incontestable, mais il 
n'est nullement avéré qu'il ait passé sa vie en Angleterre, per- 
sonne ne l'a dit, sauf D. Brial, dont le roman inadmissible a 
été rapporté et refuté ci-dessus (2). Quant à ce mot : Monsei- 
seigneur (Dominus suus) dont on a voulu tirer parti, il n’a- 
n'avait pas alors une autre significalion que de nos jours. C’est 
là une formule habituelle et indépendante de l’obéissance. C'est 
ainsi qu'on dit encore Monseigneur à tout évêque, mon général 
à tout officier de ce grade, madame à toute dame. 

Les raisons alléguées contre l'authenticité de ce livre ne sont 
donc point convaincantes (3). On ne sait nullement dans quelles 


(1) Notamment à Alanus de Podio, qui n'est cependant pas distinct 
d'Alain de Lille comme nous l'avons dit ci-dessus page 61 et comme nous 
le démontrerons plus loin page 98. Conf. Schmidt. Histoire et doctrine 
des Cathares et des Albigeois. Paris et Genève, 1849, 2 vol. in-8, tome I], 
pages 233 et 312. 


(2) Voyez page 57. 


(3) Conférez parmi ceux qui la nient ies éctivains que nous avons cités 
ci-dessus : Gariel, Bossuet, Lebeuf, 1. c. 


pre 

contrées Alain a passé sa vie et il ne serait pas étonnant qu'il 
eût parcouru le midi (1); du resté la connaissance que ce livre 
montre au sujet des hérésies albigeoises et vaudoises n’est pas 
tellement approfondie que l’auteur n'ait pu la tenir d'autrui. 

On ne peut tirer de lumières des manuscrits qui portent seu- 
lement magistri Alani, sans autre désignation, sauf chez 
quelques-uns, ces mots en plus : cisterciensis ordinis. Mais il 
faut dire que les-ouvrages du docteur universel les plus incon - 
testés sont souvent désignés ainsi, sans que la qualification 
d'insulensis y soit ajoutée (2). : 

Il est très-remarquable que les contemporains d'Alain de Lille 
lui attribuent un traité de la Foi contre les hérétiques , tels sont 
Albéric de Trois-Fontaines et Othon de Saint-Blaise : le premier 
dit même contre les Albigeois et les Vaudois, citalion qui me 
semble résoudre les difficultés que M. Schmidt apercevait. 

Mais ce qui est déterminant pour nous, c'est que ce livre 
porte au plus haut point, le cachet du docteur universel, son 
goût pour les citations sacrées et profanes, son érudition éten- 
due, ses antithèses répétées, ses énumérations mulupliées , 
toutes les habitudes de son style brillant. Il suffit de lire l'Anti- 
Claudien pour s'assurer que le Traité de la Foi est de la 
même.main. 

Alain a un faire reconnaissable entre mille, une honnête 
modestie , un choix excellent dans une vaste érudition , des allé- 
gories fines et délicates, un style nourri et serré où ne se trouve 
jamais un moment de langueur, où la facture de la phrase ne 


+ 0 ne 0 + mt + Ro 


(4) Conf. ce que nous avons dit page 44 au sujet d'Etienne de Borbone. 


(2) Conf. Montfaucon. Bib. bibliothec. manuscript. nova. Paris, 1739. 
Cet auteur dans sa table ne range pas cet ouvrage dans les œuvres d'Alain de 
Lille, mais tout le monde sait combien est mal faite cette table d'un bon 
livre. —Catal. des manuser. de la bib, du roi. — Catal. des imanuser. des 
bib. des dénartements, Nous aurons à citer plus d’une fois ces deux derniers 
recueils. 


11: 
De Arte 
fidei. 


Éditions. 


— 68 — 


se sent jamais et qui tantôt s'élevant, tantôt se repliant avec 
le sujet, va sans peine des élans poétiques aux déductions pré- 
cises et serrées. On ne saurait du reste déterminer exactement 
les caractères de ce faire, pas plus qu'un amateur ne saurait 
dire à quels signes précis il reconnaît un Titien ou un Corrège ; 
mais pour le lecteur exercé , il n’y a pas à se tromper. Seule- 
ment, ce que nous admettrions facilement, c'est qu'Alain a 
laissé son ouvrage inachevé et qu'il ne faut lui attribuer que les 
deux premiers livres, ainsi que le petit fragment du troisième, 
publié d’abord par De Visch dans les Alani opera. Quant au 
troisième et au quatrième livre, édités par le même auteur dans 
la bibliothéque de Cîiteaux, ils nous paraissent d’une autre 
main, ce qui explique pourquoi l'édition de 4612 et la plupart 
des manuscrits sont incomplets. On ne trouve presque dans cette 
dernière partic que des lieux communs ; plus d'études approfon- 
dies ; plus de discussions philosophiques élevées ; plus de grand : 
style ; enfin, ce qui est notable, plus aucune citation d'auteurs 
profanes ou sacrés. On peut donc dire de cette fin, ce qu'on 
ne peut dire du commencement, c'est que l'authenticité n’en 
est nullement assurée. 


De arte seu de artrculis fidei catholicæ (1). 


Cet ouvrage a été publié pour la première fois par B. Pez 
dans son Thesaurus anecdotorum (2), d'après des manus- 


ne nt mn mn GRR EE 0e En PMR «MR SM LA eee me de AR nee Men een 


(4) De arte seu de articulis catholicæ fidei, libri quinque (Clemens 
papa et après le prologue : Causa est per quam aliquid). De Visch avait 
déjà cité cet ouvrage dans sa bibliothèque de Citeaux, mais comme n'ayant 
qu'un livre. Les Fasti Campililienses l'avaient également indiqué comn.e 
l'ayant dans leur bibliothèque. M. Rousselot (Etudes sur la philosophie scho- 
lastique) prétend qu’Alain lui-même a cité cet ouvrage sous le titre : Liber 
de solertia puræ bonitatis. | 


(2) Thesaurus anecdotorum novissimus, Augusiæ Vindelicorum, 1721, 
in-fol., tome 1], page 476. | 


60e 
crits inobservés jusqu'alors. La patrologie de M. Migne n'a fait 
que reproduire le texte de Per. 

Date. Ïl_est dédié à un pape du nom de Clément, ce doit être 
Clément IIT, qui occupa le saint siége de 1187 à 4192. Le rap 
prochement des dates des autres ouvrages attribués à Alain le 
prouve, ainsi que les circonstances mentionnées dans la pré- 
face de ce livre : l'Occident désolé par les hérésies, et l'Orient 
par le fer des mahométans. Clément III vit en effet les Albi- 
geois maîtres de Toulouse et Saladin à Jérusalem. 

Analyse.‘ Le litre, quoiqu'ait dit D. Brial, peut être tout aussi bien : 
| des Articles de foi que : de l'Art de la foi. Les cinq livres de 
fort peu d’étendue , examinent en effet les principaux dogmes 
' du catholicisme : 4° Dieu et la Trinité {De uno eodem que 
trino); 2° Le Monde, les Anges, la Création, le libre Arbitre ; 
8° l'Incarnation et la Rédemption; 4° les Sacrements ; 59 Ja 
Résurrection des morts. [Il n’est pas possible d'analyser cet écrit, 
car l'enchaînement en est tellement serré. le style tellement 
concis , que l'on ne peut ni le résumer, ni en rien retrancher. 
Nous en avons d'ailleurs cité ci-dessus les passages les plus 
importants (1). 

Authen- On n’a foint songé à contester l'authenticité de cet écrit, et 
heuee: cependant, il y avait grands prétextes à le faire. Ainsi, dans 
l'histoire littéraire de France, à l’article Alain de Lille, D. Brial 
lui attribue bien le De Arte fidei (2). Mais dans la notice de 
Petit Radel, sur Nicolas d'Amiens, dans le même recueil, c'est 
à ce dernier que le même ouvrage est attribué, et cela sans la 

moindre observation (3). 
Nicolas, chanoine d'Amiens , qu'il faut se garder de confon- 


(1) Ci-dessus page 26. 
(2) Tome XVI, I. c. 
(3) Tome XVII. 


| — 710 — 


dre avec le cardinal Nicolas, beauconp plus célèbre dans le 
méme temps, n'est guère connu que par les éloges et les recom- 
mandations du pape Alexandre II {4). Toujours était-ce un 
homme distingué et capable d'écrire un ouvrage remarquable. 

D. Brial a pour lui l'autorité de B. Pez qui a eu deux manus- 
crits sous les yeux en faisant son édition. On peut encore en 
citer d'autres qui portent le nom d'Alain (2}. 


Petit Radel , pour Nicolas d'Amiens, cite un manuscrit de la 


(1) Voyez deux lettres de ce pape dans Martenne : Æmplissima collectio, 
tone ]1, page 658-744, L'une écrite dans les premières années du pontificat 
d'Alexandre UT, revêtu de la tiare en 4159, témoigne à Nicolas l'intérêt que 
ses mérites lui attirent. L'autre, ultérieure, enjoint à Henri, archevêque de 
Reims, d'agir sur Robert, évêque d'Amiens, pour qu'il donne à Nicolas la 
première prébende vacante. Elle est donc antérieure à 1176, dernitre année 
de l’épiscopat d'Henri. 


(2) Un notamment à la bibliothèque impériale, vr MDLXIX, 130, sur 
parchewin, écriture des XIIIe et XIV® siècles, fonds Mazarin, contenant 
sous une même reliure des livres et commentaires de l’époque , portant à la 
fin cette mention : Æzxplicit liber magistri Alani de articulis fidei. 


Quant au manuscrit 1: MDIV, 2°, sur parchemin, écriture serrée à deux 
colonnes du XIII siècle, fonds Colbert, intitulé : Z'ractatus magistri 
Alani quid sit fides, et quid articulus fidei et quid coarticulus et quot sint 
articuli (cum circa fidem cutholicam et ejus articulos quos scriptura vobis 
memorat salus humana consistat), iln’a aucun rapport avec le précédent. Il 
examine les points mentionnés dans le litre et quelques autres : ce qui con- 
stitue l’hérésie, si l'Eucharistie est article de foi, etc., etc. 


Cet ouvrage est du reste peu remarquable, plus verbeux qu’Alaiu ne l’est 
d'ordinaire. On doit, walgré le titre, se demander s’il lui appartient, ou si ce 
n'est pas plutôt un examen de son livre. Ainsi après avoir cité l'opinion de 
divers théologiens sur le point de savoir si la nativité et la passion de Jésus- 
Christ, quoique faits réels et visibles, sont articles de foi contrairement au 
principe : Fides est rerum invisibilium, le manuscrit cite l'opinion d'Alain 
en ces termes : Ælanus dicit, ce qui nous fait douter grandement que l’ou- 
vrage soit de lui. 


—— 7] 


bibliothèque impériale (1) Il aurait pu ajouter que Montfaucon 
en cite deux autres (2). 

La question est difficile. Trithème ni les auteurs contempo- 
rains d'Alain ne parlent de cet écrit; en outre, il est extraordi- 
naire de trouver la forme scholastique toute sèche et toute nue 
dans un écrivain qui paraît d'ordinaire le plus élégant des lit- 
térateurs de son temps. On voit cependant parfois les-prosa- 
teurs les plus chaleureux et les plus brillants devenir les plus 
secs lorsqu'ils veulent dogmatiser. Ce n’est pas d'ailleurs le seul 
de cette espèce qu’Alain ait écrit. Le traité dont nous allons 
parler après celui-ci: Theologicæ regulæ est conçu dans un 
esprit scholastique plus sec et plus raide encore. 

En présence de ces raisons de douter, nous avions été tentés 
de supposer d'abord que le De Arte fidei est un traité de la 
philosophie d'Alain , composé sur ses ouvrages et peut-être d’a- 
près ses leçons, par Nicolas d'Amiens. De celte manière se 
trouverait expliqué le mot editam (publié) du titre ci-dessus. 
De cette manière aussi se trouveraient levées toutes les difficul- 
tés, et l'ouvrage dont nous nous occupons ne serait plus qu'un 


(1) Le catalogue de la bib. impér. le cite ainsi : Opusculum cujus titu- 
lus est ars fidei catholicæ authore Nicolao andranensi, dans un volume 
portant le n0 vi MDVI, in-4o, sur parchemin, écriture du XIV® siècle, à 
deux colonnes, si serrée que cet opuscule qui y est réuni à plusieurs com- 
mentaires d’Averroës sur Aristote ne forme que huit pages, fonds Colbert. Il 
est pareil au n° v1 MDLXIX, et c’est bien le texte de B. Pez. 

Petit Radel au lieu d'Andranensi porte Andratium, mot mis suivant lui 
pour Ambianensi. ]l signale dans ce manuscrit beaucoup de renvois à l'Écri- 
ture. Je ne les y ai pas trouvés. 

A la bibliothèque des ducs de Bourgogne s’en trouve un manuscrit ano- 
nyme du XIV siècle, sous le no 1974 du catalogue dressé par M. Marschall. 


(2) Montfaucon, Bibliotheca bibliothecarum, page 137, cite : Vicolai 
Ambianensis de arte fidei catholicæ, n0 245 et 172 de la bibliothèque du 
Vatican. Page 630,11 cite encore : Nicolaï Ambianensis ars fidei catho- 
licæ, dans la bibliothèque du roi d'Angleterre. 


JL. 
T'hevlo- 
gicæ 
regulæ. 


= Je 


de ces travaux comme il en a été fait, avec leur agrément, 
sous la dictée des plus célèbres professeurs. Il a dû en être sou- 
vent ainsi au moyen âge. Quand Abélard, Albert-le-Grand, 
Buridan , transportaient et fanatisaient leur auditoire, ce n'é- 
tait sans doute pas avec les squelettes d'argumentation, les syllo- 
gismes décharnés qui nous ont été conservés. Nous n'avons 
probablement plus que les thêmes, les sommaires analytiques 
sur lesquels se développaient les brillantes variations de leur 
improvisation. | 

Mais Nicolas est plus âgé qu’Alain et serait difficilement son 
disciple, d'après les dales rapportées ci-dessus. Puis l'ouvrage 
est parfaitement fait, trop bien fait, il me semble pour être le 
cahier d'un élève. On trouverait difficilement dans toute la 
scholastique qui en a Lant, une œuvre de déduction aussi sim- 
ple et aussi serrée. Abélard est plus artiste, saint Bonaventure 
plus mystique, saint Thomas plus chargé de détails et Duns Scot 
de recherches. Peut-être faudrait-il aller jusqu'à l'Ethique de 
Spinoza pour retrouver cett énergique simplicité, car Wolf qui a 
procédé d'une façon analogue au développement des attributs 
de la divinité est plus complet mais bien moins fort. 

La question est donc bien difficile, comme nous le disions en 


commençant, mais l'élévation du livre nous fait pencher pour 
Alain. 


Theologicæ regulæ seu requlæ cælestis juris, seu de 
Doctrina, seu Doctrinale altum, seu de maximis generali- 
bus, seu axiomatibus theologiæ (1). 


Qi ee ee ee me ee ee men — 


(1) T'heologicæ regulæ (omnis scientia suis nititur regulis) cité sous ce 
titre par Mingarelli.— ARegulæ celestis vitæ. Othon de S. Blaise (l'Histoire 
littéraire de France en fait à tort les paraboles}. — De doctrina lib. 1, seu 
de maximis generalibus theologis seu theologiæ d'après Trithème et Fabri- 
cius, — Doctrinale altum seu de maximis seu de axiomatibus theologiæ 
d'après De Visch, Oudin, l'Histoire littéraire, (Le titre de Doctrinal était 


Éditions 
peu 
connues. 


— 713 — 


De Visch dit qu'il avait vu cet ouvrage manuscrit à la bi- 
bliothèque des Dunes, il est singulier qu'il ne l'ait pas édité (1). 
Par suite de cette omission, on l’a cru généralement inédit , et 
l'histoire littéraire elle-même le donne pour tel d'après quelques 
catalogues (2). 

Cependant, au dernier siècle, Mingarelli le publiait dans son 
Anecdotorum fasciculus, d' pe un manuscrit du XII° 
siècle (3). 

C'est le texte donné par Mingarelli que la patrologie a repro- 
duit de nos jours (4). 

Ce qu'il y a de bizarre, c'est que de même que l’histoire 
littéraire donnait cet ouvrage pour inédit soixante ans après 
que Mingarelli l'avait publié, ce savant italien croyait lui-même 
éditer une œuvre restée manuscrite, quand cependant elle avait 
eu deux éditions antérieures. 

En effet, Hain nous les cite toutes deux , elles sont du XVe 
siècle, mais sous le nom d’Alanus Porretanus (5). 


4 


end 


très-usilé au moyen-àge ; celui-ci, surnommé le Grand, altum, est opposé 
au petit (doctrinale minus) qui est le livre des Parabolcs. Voyez ci-après 
page 127.— De maximis theologiæ. Incipiunt regulæ celestis juris. Edi- 
tions gothiques. 

M. Jung, le savant bibliothécaire de Strasbourg, me fait savoir que dans 
un manuscrit de son dépôt intitulé : Quæstiones theologicales et termini 
theologicales, une note de l’auteur indique qu’il avait l'intention de traiter 
plus amplement (diffusius) les matières de ce livre. 


(1) De Visch. Bibliotheca scriptorum ordinis cistercii, 1. c. 


(2) D. Brial, 1. c. Il ignorait même le sujet de cet ouvrage. 


(3) D. Jean Aloysius Mingarellus. Anecdotorum fasciculus. Romæ, Mo- 
naldini, 1754, in-40, page 171. 


(&) Patrologiæ cursus, vol. CCX. Alani opera, p. 618. 


(5) Mingarelli dans sa préface se demandait pourquoi Launoy, en citant 
cet ouvrège dans son traité de unctione infirmorum, l'attribuait à un certain 


Authen- 


ticité. 


ot 


C'est à ce sujet que nous nous sommes demandé plus haut 
si cet Alain Porret, qu on a généralement distingué d'Alain de 
Lille, ne doit pas être confondu avec lui ? 

Pour trancher la question, il suflit de savoir si les Regulæ 
theologicæ sont bien le même ouvrage que les Regulæ cœlestis 
Juris seu de maximis theologiæ, et si ce dernier traité est 

. bien du Docteur universel. 

Or il suffit comme nous l'avons fait, de jeter un coup-d'œil 
sur le texte de M. Mingarelli et sur celui des éditions gothiques, 
pour voir que ces titres différents s'appliquent à un seul et 
même livre. 

Quant à l'auteur, dès les premières lignes l'élévation des 
idées , la vigueur du style, nous ont appris immédiatement 
quelle plume avait écrit de tels passages. Il y a peu d'écrivains 
de cette époque qui soient de cette force. Une étude attentive 
nous a plus encore fait reconnaître la méthode large, le vaste 
savoir, le goût pour les étymologies subtiles et invraisemblables 
qui caractérisent Alain de Lille | 

En outre Othon de Saint-Blaise attribue au docteur universel 
des Regulæ celestis vitæ , titre à peu près pareil à l’un de 


Alain Porret ( 4lanus nescio qui Porretanus). C'est que Launoy avait eu sous 
les yeux l’une des deux éditions. 

La première est sans nom, ni lieu, ni date d'impression, mais Hain croit 
y reconnaître les car:ctères de Richard Paffroet, célèbre imprimeur à Deventer, 
dans le XIVe siécle. Nous avons eu le bonheur de trouver cette édition à la 
bibliothèque Mazarine , à Paris, dans un recueil très-curieux dont la prove- 
nance n’est point iudiquée. On y reconnaît, en effet, les types de Paffroet 
qui a imprimé un grand nombre d'ouvrages d'Alain de Lille, comme nous le 
verrons plus loin. 

La seconde est de I. Quentel, Cologne, 1500, in-&,. Elle est intitulée 
comme la précédente : De maximis theologiæ,elensuite: Incipiunt regulæ 
celestis juris vel maximæ theologiæ magistri Alani Porretani. Ejusdem 
metrum in parabolis, optima explanatio. 


Voir pour plus de détails, Hain : Zepertorium bibliographicum, u0 389. 


Daüite. 


Analyse. 


Hors 


ceux que nous venons de voir. Trithème lui attribue un De 
doctrina lib. 1, alias maxime theologicæ dont il cite l'inci- 
pit : omnis scientia suis nititur requlis. Voilà qui est con- 
cluant. Du reste plus d'un manuscrit porte le nom d'Alanus 
de Insulis sans que Porretanus y soit ajouté (1). 

Enfin dans l'édition de Quentel citée ci-dessous en note , on 
a joint à l'ouvrage qui nous occupe maintenant les paraboles en 
vers du mème auteur f’ejusdem metrum în parabolis). Or les 
paraboles sont l'ouvrage le plus incontesté d'Alain de Lille. 

On peut donc bien conclure comme nous l'avons fait, que 
Porret est le nom de famille du docteur universel , mais comme 
nous’ le disions aussi, il est bizarre que ce nom ne se trouve 
joint à celui d'Alain que dans cet ouvrage seulement. Paffroet 
et Quentel ne l'ont jamais ajouté aux autres ouvrages du même 
auteur qu ils ont publiés, et cependant ils n'ignoraient pas celle 
communauté d’origine , la façon dont les parabolæ sont jointes 
aux maximæ theologiæ vient de nous le prouver. 

La date de ce livre ne peut être déterminée. 

Il se compose de 134 règles dans les deux éditions anciennes. 
Pans celle de Mingarelli on n'en trouve plus que 125 , encore 
les dix dernières semblent-elles ajoutées après coup en-dehors 
de l'ordre du traité. 

Nous avons ci-dessus examiné et analysé autant que possible 
cet ouvrage scholastique (2). 

Conrad Gessner, qui en avait eu entre les mains un manus- 
crit, le trouve écrit en latin barbare, ce qui est bien loin des 
habitudes du Docteur universel et ce qui n’est pas vrai d’ail- 
leurs, car le style en est excellent, mais on sait que pour beau- 


(1) Notamment ceux que citent De Visch et Mingarelli. 
(2) Ci-dessus , pige 30. 


IV. 
De 
maximis 
genera- 


libus. 


V. 
De 


intelligen- 
tirs. 


VI. 
In 


sententias, 


— 6 — 


coup de critiques ce qui était scholastique touchait à la bar- 
barie (1). 


Paradoxa de maximis generalibus (2). 


Cet ouvrage est tout-à-fait inconnu. On serait tenté de le 
confondre avec le précédent d'après le titre. Mais les premiers 
mots cités par les auteurs sont tout différents , ce qui pourrait 
encore ne tenir qu'à l'addition d'un nouveau prologue. | 


De intelligentiis seu memoriale rerum difficilium (3). 


Les derniers mots de ce titre tenteraient encore à confondre 
ce livre avec les règles théologiques. Mais un traité des intelli- 
gences désigne ordinairement dans le style scholastique une 
dissertalion sur les anges et les esprits célestes. On ne peut rien 
décider en l'absence du livre resté jusqu’à présent inconnu. 


Super sententias, lib. IV (à). 


Quelques auteurs ont confondu ce livre avec le Liber Sen- 


ae ee aie canne ep me <a ET nome 


(1) Conrad. Gesnerii bibl. generalis, édit. de Zurich, 1545, 


(2) Paradoxa de maximis generalibus (sententia Platonis et Aristotelis) , 
cité par B. Pez dans l’Isagoge de son Thesaurus anecdotorum.— Hist. litt. 


(3) De intelligentiis seu memoriale rerum difficilium {summa in hoc capi- 
tulo nostræ inteutionis est rerum naturalium difficiliora colligere) cité égale- 
ment par B. Pez qui l'avait vu à la bibliothèque du monastère de Lilienfeld. 
Voyez l’Isagoge du De fide dans le Thesaurus anecdotorum.— Hist. litt. 


(4) Super sententias, lib. 1V, cité par Trithème, 1. e. — Summa qua- 
tuor libros sententiarum complectens opus quadripartitum, dit Thomas 
Waldensis qui l'avait vu chez les Frères-Prêcheurs de Paris. Thomas Netter, 
dit Waldensis, parce qu’il était de Walden, écrivit contre les Hussites un 
Doctrinalis antiquitatum fidei, au tome 1, chapitre dernier , duquel se 
trouve cité l’Opus quadripartitum. 


VIl. 
De 
virtutibus 
et vitiis. 


— 11 — 


tentiarum ci-après , qui n’est cependant pas divisé en quatre 
livres (1). Oudin et l'Histoire littéraire de France prétendent le 
confondre. avec le De fide contra albigenses, qui est en effet 
divisé en quatre parties et porte quelquefois le titre de Summa 
quadripartila. Possevin au contraire croit y voir une glose 
sur les célèbres sentences de Pierre-le-Lombard (2). S'il en est 
ainsi , ce serait certainement l'un des premiers commentaires 
sur ce livre si souvent commenté que Crevier en comptait deux 
cent quarante-quatre gloses bien connues de son temps (3). Du 
reste bien avant Pierre-le-Lombard d'autres écrivains avaient 
composé des ouvrages sur le même sujet et sous le même titre. 
On cite ainsi les Sentences d’'Anselme de Laon , de Guillaume- 
de Champeaux, d'Hugues de Saint-Victor. Alain a bien pu com- 
poser aussi les siennes. Mais nous l'avouons, l'opinion d'Oudin 
nous paraît très-acceptable, et la façon dont Thomas Waldensis 
cite ce traité nous fait croire que ce peut bien être le De Ârte 
fidei sous un autre titre (4). | 

© Nous arrivons maintenant aux ouvrages de morale et de dé- 
votion, traités plus pratiques que les précédents et se tenant 
moins dans les généralités philosophiques. 


Tractatus de virtutibus et vitiis (5). 


C'est ainsi ou sous divers titres analogues que se trouve 


(1) Conf. ci-après, page 89. 

(2) Possevinus. Æpparatus sacer. 

(3) Crevier. Histoire de l'Université de Paris. 
(4) Voyez la note 4 de la page précédente. 


(5) Tractatus de virtutibus et vitiis (primo videndum est quid sit virtus 
et unde dicatur). Manuscrit sur parchemin, de Ja bibliothèque impériale no 
nr MCCXXX ViIlIr, écriture du XIVe siècle, provenant de Baluze, et con- 
tenant beaucoup d’autres ouvrages de divers auteurs; celui-ci est à la page 
86.— Othou de S. Blaise donne le même titre, Trithème porte : Summa 


. de vitiis, summa virtutum et vitiorum, lib. I. 


_Coufusions 
au sujet 
de 


ce livre. 


— 718$ — 


meutionné un ouvrage du genre de ceux que la scholastique 
affectionnait le plus. 

On avait cru d'abord le posséder en le confondant avec un 
traité attribué snccessivement à saint Augustin, à saint Léon, 
à saint Ambroise , à Isidore d'Espagne et à Ambroise Aut- 
pert (1). Cette erreur date de loin, car Oudin nous apprend 
qu’à la bibliothèque de Saint- Victor le traité suspect est joint à 
l'Art de la prédication, qui est certainement d'Alain ; mais 
elle n'en est pas moins grossière, une simple lecture le dé- 
montre suffisamment (2). Le style en est directement opposé à 
celui que nous avons étudié. Ce sont des tournures communes, 
des formes lâches que l'on ne rencontre jamais chez Alain. Je 
conçois malgré cela qu'on l'ait attribué à saint Augustin, car 
lorsque ce grand écrivain ne s'échauffe pas , il a cette noncha- 
lance de style, mais le docteur universel, s’il ne s'élève 
jamais à la hauteur de l'évêque d'Hippone , n'en a pas non 
plus les défauts. 

Ne pourrait-on pas attribuer cet écrit à Alain de Tewkesbury. 
puisque Ja tradition le donne à un Alain. Car cet abbé, ainsi 
que l'histoire nous l’apprend , avait résidé à Bénévent, et pré- 
cisément l'auteur du De conflictu parle de Bénévent comme d'un 
lieu qu'il a habité. Du reste, ce n’est là qu'une simple hypo- 
thèse. 

Quoi qu'il en soit, après avoir constaté cette erreur, les hio- 


——— 


(4) De conflictu virtutum et vitiorum (apostolica vox clamat). Voyez 
l'édition de S Augustin donnée par les Bénédictins, tome VT, Canisius l'a 
aussi édité en l'attribuant à Léon IX. La prtrologic Migne l'a reproduit 
d’après lui. 

Les deux derniers livres de l’Anticlaudien qui retracent le combat des Ver- 
tus et des Vices au sujet de l’homme nouveau portent aussi en tête de plu- 
sieurs chapitres ce même titre : De conflictu virlutum et vitiorum. Voyez 
ci-devant page 7. 


(2) Comment. de script. eccles. 


Manuscrit, 


graphes d'Alain ont cru le traité des vertus et des vices perdu. (4) 
Cependant, il existe à la Bibliothèque impériale un manuscrit 


. inédit qui porte le cachet littéraire de notre philosophe (2). 


De 
conflictu 
et autres 

traités 
analogues 
attribués 
à Alain. 


VU. 


De quatuor 
virtutibus. 


L'ouvrage très-court, qui contient à peine quelques pages est 
une suite de définitions dans le goût du docteur universel , pré- 
cises et serrées, qui ne comportent non plus une analyse, ni un 
résumé : elles prennent leurs sources dans les plus hautes pro- 
positions de la métaphysique et en déduisent une sorte d'expo- 
sition très-élevée de ce qui constitue les vertus et les vices. 

Nous ne comptons donc point le De conflictu dans les ou- 
vrages d'Alain. 

Faut-il plutôt compter les Parabolæ de Virtutibus que l'on 
met sous le nom du docteur universel ? Cet ouvrage inconnu ne 
paraît être autre que les Paraboles (3). 

Î en est de même du De Virtutibus, portant le nom de 
Porreus (4. 


De quatuor virtutibus (5). 


mn 


(4) Conf. notamment Brial dans l'Hist. litt. 
(2) Conf. ci-dessus page 77, note 5. 


(3) C'est Haenel (Catal. codic. manuscrip. p. 515) qui cite ce manuscrit 
comme se trouvant à Bâle. M. le bibliothécaire de cette ville auquel j'ai de- 
mandé des renseignements, a eu l'obligeance de me faire savoir qu'il n’y 
avait aucun livre sous un titre pareil, mais seulemement les : Philosophiæ 
Parabolæ Alani ad homines qui sont bien les paraboles. Voyez aussi ce 
que nous disons plus loin, page 131 des Gromæ virtutum et vitiorum. 


(4) C’est encore Haenel, page &53, qui donne cette indication : Ælani 
Porrei de virtutibus. Man. in-40 sur parchemin de la bibliothèque du roi 
d'Angleterre. Nous n'avons pu vérifier la fidélité de cette assertion. 


(5) Zncipit Liber magistri Alani de quatuor virtutibus (moralium dogma 
philosophorum per multa dispersum volumina), manuscrit de la bibho- 
thèque de Strasbourg, in-40 à deux colonnes, sur vélin, provenant de la bi- 
bliothèque de la commanderie de Saint-Jean et contenant outre ce traité 
des ouvrages religieux de divers auteurs. Ces renseignements sont dus à 
l'obligeance de M. Jung. 


IX. 


Peniten- 
tiale. 


— 90 — 


Ce sujet a été souvent traité au moyen âge. Le célèbre ou- 
vrage De formula honestæ vitæ, de Martin de Pannonie, 
archevêque de Prague, souvent publié, porte parfois ce titre. 
L'ouvrage d'Alain, resté manuscrit, nous est tout à fait inconnu ; 
nous ne pouvons donc que le mentionner, sans en rendre 
compte, sans même discuter s'il est bien du docteur universel. 


Liber penitentialis seu de pænitentia ad Bituricenses (1). 


Ce traité a été imprimé dans l'édition De Visch et la Patro- 
logie. 

On ne peut en dire que quelques mots. C'est un ouvrage de 
pure théologie appliquée qui peut être encore fort intéres- 
sant aujourd'hui pour ceux qui étudient ces matières, mais 
qui tient fort peu à la philosophie. Après avoir vivement 
exhorté à la confession, l’auteur en marque les objets et les 


(1) Liber pœnitentialis, sive methodus digne administrandi et susci- 
piendi sacramentum pænitentiæ (a, a, domine), rapporté sous ce titre par 
De Visch,— par Trithème sous cet autre: De pœnitentia ad Bituricenses, 
lib. IV. Les manuscrits portant ce second titre sont indiqués comme ayant 
cet incipit: Dei gratia bituricensi, qui semblent être les premiers mots 
d’un prologue. — Fabricius lisait De pœnitentia ad bituricensem episco- 
pum, d'après Apostolus Zeno qui en avait vu un manuscrit à Trévise. On 
suppose que ce livre, en effet, a été dédié à B. de Sully, archevêque de 
Bourges, de 14184 à 4200, ou de 1186 à 1199, d'après D'Argentré. — A la 
bibliothèque de Charleville, d’après un renseignement que je dois à la com 
plaisance de M. le bibliothécaire, le titre est ainsi concu: /fenrico dei 
gratia bituricensi archiepiscopo patriarcha Aquinatorum Alanus dictus 
magister opus suum. 

Il existe dans la mème bibliothèque encore un autre traité sur le même 
sujet et sous lenom d'Alain: Zncipit Summa Alani de confessione et pæ- 
nitentia (quoniam circa confessionem animarum pericula sunt). 

Et même un troisième : {ncipit alia summa de confessione et pænitentia 
(facile dignos fructus), qui, d’après ces premiers mots, semble n'être que 
le chap. 33 du De arte prædicandi ci-après, page 95. 

Nous n’avous pu voir ni comparer ces manuscrits. 


EUR 


modes ; indique le genre et la gradation des pénitences, montre 
‘ les moyens d'exciter la contrition et termine en exposant cha- 
leureusement la nécessité de ce sacrement. 


Autres De Visch tend à distinguer de l'ouvrage précédent le : 
_- . ouvrages ; | | ; 
ne De penitentia ad Bituricenses (4). 
attribués 


pe Nous trouvons encore qu'il existe, manuscrit, une: 
ain, 


Summa de confessione et penitentia (?). 

Il est fort difficile, en l'absence des manuscrits, de décider si 
ces traités sont autres que le Liber penitentialis, publié par 
De Visch. Nous avons donné en note les raisons de douter ; 
quant à la raison de décider, elle ne nous apparait pas. 


Entin Oudin cite comme un ouvrage distinct des précédents le : 
Corrector seu medicus animarum (3). 


En effet, ce traité que nous avons eu sous les yeux n’a point 
de rapport avec le Liber penitentialis édité par De Visch, 
sauf que dans ce dernier se trouve un paragraphe intitulé : 
Sacerdotes sunt spirituales medici. Peccator spiritualis 
ægrolus est. | 

À part cela, il est lout différent, très-étendu, entrant jusque 


. (4 et 2) Voyez la note de la page précédente. 


(3) Liber quidam penitentialis qui corrector vocatur et medicus 
(hebdomada priore) à la page 1C6 d’un recueil de divers ouvrages manus- 
crits du X1V® sièele, sous le No 642 du fonds St.-Victor, bibliothèque impt- 
riale, petit in-4° (En tête est placée une introduction très. étendue qui paraît 
extraite d'une somme des sacrements de Pierre le Chantre: Post hæc de 
penitentia agendum est). Sous le N° 655 du mème fonds se voit un manus- 
crit in-40 à deux colonnes du XIVe siècle, qui contient Je même texte du 
Corrector, mais l'introduction ne s’y trouve pas. D'après Oudin ce traité se 
voyait à Saint-Germain-des-Prés sous le nom de Pierre le Chantre. 

Fabricius, D. Brial (hist. litt. de France), De Visch (bibliothec cisterc.), 

avaient donc grand tort de confondre lei Penitentiel publié par ce dernier et 
ce Correcteur. Bund, qui au rapport de Valère André les avait vus, comparés 
et trouvés semblables , s'était étrangement abusé, Oudin a bien signalé la 
différence. 


6 


X. 
De unica 


celebra- 
tione. 


XI. 
De timore 
humano. 


— 82 — 
dans les détails de la casuistique, détails souvent peu édifiants : 
aussi, quoiqu'il y ait beaucoup de savoir, nous n’y reconnaissons 
pas la méthode élevée, l'honnêteté chaste et le style élégant 
d'Alain. Les manuscrits sont d’ailleurs anonymes, et J. Petit, 
quien a édité quelques passages, comme nous le disons en 
note, ne les attribue nullement à Alain (1). 


De unica celebratione in die (2). 


Ce traité, sous forme de lettre, est tout à fait inconnu. On 
sait que la question qu'il paraît agiter a été souvent discutée 
dans l'Église. 

De timore humano præcavendo et spe celesti radi- 
candu {3). 

Cet ouvrage, également inconnu, peut étre aussi bien le 
texie d'un discours qu'un traité de dévotion pratique. Il y a en 
effet dans le: De Arte predicaloria, deux sermons qui 
roulent sur l'opposition des craintes mondaines et des espoirs 
célestes (4). 


(1) Jacques Petit, en éditant le Penitentiel de Théodore de Cantorbery 
(Theodori Cantuariensis episcopi penitentiale , curà Jacobi Petit. Parisiis. 
4677. à vol, in-4o), y a joint des extraits de divers penitentiels et notamment 
sous l’Æxcerptum VI (tome I, p. 358), un fragment du Corrector sous 
cette mention : Ex libro biblioth. Victoriræ cujus titulus sic inscribitur. 
Incipit liber qui corrector vocatur et medicus qui correctiones corporum 
et animarum medicinas continet, C'est un des deux manuscrits cités ci- 
dessus. 


(2) De unica celebratione in die seu non celebrandum bis in die (ve- 
nerabili amico P.magister Alanus), cité par De Visch dans sa bibliothèque 
de Citeaux, et par Apostolus Zeno, dans son traité sur les œuvres de Bernard 
de Trévise, 

(3} De timore humano præcavendo et spe celesti radicanda (l'incipit 
manque) cité dans les Fasti Campililienses, fastes du monastère de Lilienfeld, 
par P. C. Hanthaler. Linci, 4747. 5 vol. in-fol. 

(4) De arte predicatoria. Voyez ci-après, page 95 chap. XI et XII, de 
contemptu mundani timoris, — de spe celestium et contemptu terre- 


norum. 


XII. 


In penta- 
teuchum. 


XIII. 
In cantica 
canticorum 


= 9932 


Ces deux ordres d'idées : la prédication et l'enseignement se 
tiennent très souvent chez Alain, comme on le verra en exami- 
nant ci-après ses livres de prédications, 

Les commentaires d'Alain sur l’Ecriture-Sainte étaient très- 
nombreux | innumeræ lectiones et commentaria ), ils s’éten- 
daient à toute la bible, dit même Hartmann Schedell (1). Mais 
souvent , comme l'indique un passage de Sixte de Sienne , on a 
pris un ouvrage particulier la Summa quot modis, sous ce 
titre : Compendium utriusque testamenti pour un commen- 
taire complet. (2) 


In pentateuchum seu in Moysem. (3) 


Cet ouvrage qu'on croyait perdu, existe en manuscrit à 
Bruges , mais nous n'avons pas encore pu le consulter. 


In cantica canticorum (3). 


Ce commentaire avait été imprimé dès 4540 sur un manus- 
crit de l'abbaye de St.-Victor à laquelle la science philoso- 
phique doit tant de précieux ouvrages [5). Si l'on en croit un 


(1) H. Schedell. Chronica mundi, 1. e.—C'est Trithême qui parle des 


innumeræ lectiones. 

(2) Sixtus senensis, Bibliotheca sancta.—Voir ci-après, page 94 pour 
ce Compendium utriusque testamenti. — Haenel citait de même sous ce 
titre : Allegoriæ super utrumque testamentum, un manuscrit de Bruges, 
qui, comme on va le voir, ne porte que sur le Pentateuque. 


(3) Allegoriæ quinque librorum Moysis, id est de veteri testamento (in 


_precedentibus premisse descriptionis , originis et discretionis artium). 


C'est sous ce titre que l'ouvrage se trouve manuscrit à la bibliothèque de 
Bruges, d’après les renseignements que M. le bibliothécaire a bien voulu 
nous communiquer sur l'indication d'Haenel (cat. bib. man, p. 760). I est 
joint au Liber penitentialis. Il avait été cité par Trithème sous ce titre : Zn 

quinque libros Moysis seu in Pentateuchum, lib, 8. 


(&) Elucidatio super cantica canticorum ad laudem virginis matris 
(cum multi adoraverunt) cité par Trithème, 1. c., et Maracci : Bibliotheca 
mariana, avec de grands éloges. 


(5) Alan: de insulis doctoris compendiosa in cantica canticorum ad 
laudem deiparæ virginis mariæ elucidatio. Parisiis, J. Kerner, 1540, in- 
46, lettres rondes, velin, fig, en bois. 


prophetas, 


XV. 
Desex alis 
cherutim. 


Éditions. 


st — 


manuscrit de St.-Martin de Tournai, collationné par De Visch, 
celte publication aurait eu lieu à la demande d'un abbé de 
Cluny. 

Cet ouvrage, commentaire purement ascétique, n'est pas 
susceptible d'analyse. 

. Îl a joui d'une immense estime; il a en effet un caractère de 
dévotion poélique et exaltée qui peut le faire marcher de pair 
avec les élans les plus heureux de saint Bernard et de saint 
Bonaventure. Le cantique de Salomon, qui ne paraît au 
premier abord qu'une de ces poésies sensuelles de l'Orient, con- 
servée comme tant d'autres dans les souvenirs les plus intimes 
des peuples, prend en se transfigurant sous la main du commen- 
tateur la couleur la plus ascétique. Sa réputation près des 
pieux savants n'a donc rien qui puisse étonner, mais on ne 
peut croire qu'un pareil livre soit jamais devenu populaire , 
comme on l’a dit. Ges hautes allégories, ces chastes élévations 
à côté d'un texte lascif semblent de nature à frapper peu d'es- 
prits. Îl est vrai que parler de la popularité d'un écrivain au 
XII siècle, c'est parler de son renom près d'un petit nombre 
de savants lecteurs. 


In prophetas (1). 
Commentaire perdu et tout-à-fait inconnu sur les prophètes. 
De sex alis Cherubim (2). 


Edité, du moins en partie , dans les œuvres de saint Bona- 
venture, auquel il a été parfois attribué (3). De Visch l'a 
publié en entier d'après un manuscrit en en revendiquant la 
propriété pour Alain, La Patrologie a reproduit son texte. Dans 


“toutes les éditions, une figure représente ce chérubin et ses. 


ailes pour rendre l'interprétation sensible. 


(1) n vrovhetas, cité par Trithème, descript. ecclesiast. 
Desex als Cherubin, lib. I (ad explanationem hujus figur œet 
apres le prologue . prima ala) cité par Trithème. 
(3) Voyez les éditions gothiques et d’autres plus récentes, celle du Vati- 
can, 1587, de Mayence, 1619. | 


Discussion 
sur 


l’authenti- 
cité. 


Prologue. 


— S5 — 


Il faut examiner avec soin ce traité pour déterminer s'il est 
d'Alain ou de saint Bonaventure. 

Le sujet est tiré de la vision d'Isaïe et de celle d'Ezéchiel (1). . 
Or, dans celle d'Isaïe , il s’agit de séraphins. Dans celle d'Ezé- 
chiel , il s'agit bien de chérubins, mais ils n’ont que quatre 
ailes. 11 y a eu confusion dans l'esprit de l’auteur. Il le déclare 
cependant lui-même , c'est à Isaïe qu'il s'attache, Ce prophète 
avait vu Dieu assis sur un trône haut et élevé ( excelsum et 
elevatum), le bas de ses vêtements remplissait le temple ; 
des séraphins étaient debout autour du trône ; ils avaient cha- 
cun six ailes, deux dont ils voilaient leur face, deux dont ils 
voilaient leurs pieds et deux dont ils se servaient pour voler. 
Voilà ce que dit la Vulgate, l'auteur y a fait quelques chan- 
gements, comme on va voir. 


Il commerce par interpréter le texte. La hauteur du trône 
représente les esprits angéliques, son élévation les âmes des 
saints. Le trône peut bien être l'éternité, et les vêtements qui 
sous lui remplissent le temple peuvent être le temps dont la suite 
se déroule dans le monde inférieur. Les séraphins (il n’en 
compte que deux} sont les deux testaments. Ils sont là debout 
où l'Eternel est assis , parce que les esprits n’approchent pas 
de lui par nature, mais par faveur. Ils ont trois paires d'ailes 
pour représenter les trois modes d'interprétation de l'Écriture ; 
les deux ailes qui voilent le corps lui-même représentent l'in- 
terprétation historique qui cache de même le sens mystique ; 
celles qui allant de la tête aux pieds semblent mesurer la gran- 
deur du Seigneur figurent l’allégorie qui nous fait sentir, tout 
en la voilant, l'immensité de la divinité ; celles enfin qui sou- 
tiennent le vol signifient la figure ( tropologia) qui nous trans- 
porte à la connaissance de l’immuable. Chaque paire est 
double parce que l'Ecriture nous excite non-seulement à 
l'amour de Dieu, mais encore à l'amour du prochain. Enfin , 


(4) Isuie, c. VI, 12.—Ezéchiel, c. X, 21. 


— 86 — 


le corps du Tout-Puissant a les extrémités voilées pour repré 
senter le temps qui a précédé la création d’un côté , l'avenir de 
l’autre , tandis que le torse découvert figure l'Eglise. 


Telle est l'introduction au Traité des six ailes, qui n’était 
pas connue avant De Visch , et que celui-ci a restituée d’après 
un ancien manuscrit (1). Ce prologue qui ne se trouve pas dans 
les éditions de saint Bonaventure est certainement de l’auteur 
des ouvrages examinés précédemment. La touche d'Alain y est 
tellement reconnaissable que nous venons d'analyser en détail 
ee qui précède pour donner un exemple du faire de cet écri- 
vain. Ce sujet a même été traité par lui diverses fois. Dans le 
livre des Sentences, examinant le texte des Rois : qui sedes 
super Cherubim (2), il expliquait ce nom de Chérubins par 
l'Ordre céleste, la Plénitude de la Science, la Consomma- 
tion de la charité. Dieu est assis sur eux parce qu’il esf supé- 
rieur aux anges, parce qu'aucune science ne peut le com- 
prendre, parce que sa charité surpasse toute autre; les ailes 
du premier représentent la subtilité de la nature et la perspi- 

acité de l'esprit qui élèvent l'intelligence vers Dieu; celle du 
second les deux Testaments, qui voilent la majesté divine ; 
celles du troisième l'amour de Dieu et l’amour duprochain (3). 
On reconnaîtra que les analogies sont évidentes ; elles ne le 
sont pas moins avec un sermon sur la Pâque, où sur ce texte 
de la Genèse : accelera, tria sata similæ commisce et fac 
panem subcineritium (4), il exhorte les élèves à l'étude de 
l'Ecriture , leur disant que les faibles y trouveront le lait de 


te mme: eme ce ce nee une ee De ee à Caen: mn. nn em mme me = come me ee eme + in ee mme 


an (1) Dans beïucoup de bibliothèques le prologue manque. Voyez notam- 
ent le manuscrit qui se trouve à Laon. (Cat. des manusc, des bibl. des 
départements). 


(3) Rois IV (11 de la Vulg.) XIX, v. 15. 
f3) Liber sententiarum. Voyez plus loin, page 89. 


(4) Gènèse, cap. 18, v. 6. Sermones. Voyez plus loin, page 97. 


Corps 
de l'ouvrage 
tout 
différent. 


Conclusion 


= 87 — 


l'histoire, les hommes ordinaires le miel de la figure et les 
forts le pain solide de l’allégorie { tropologia). Ces trois 
mesures (fria sata) ne rappellent-elles pas les trois formes 
d'interprétalion de la cabale? Nous nous souvenons d'avoir 
trouvé dans Philon le juif identiquement la même comparaison. 


Ayant établi l’authenticité du prologue , passons au corps de 
l'ouvrage : nous y trouvons après cette exposition une expli- 
cation méthodique et figurée des six ailes et des cinq plumes de 
chaque aile, considérées comme expressions des degrés succes- 
sifs de la pureté de l'âme ; par exemple, la première aile repré. 
sentant la confession, la première plume en représentera la 
vérilé ; la seconde, l'intéorité ; la troisième, la fermeté; la 
quatrième , l'humilité ; la cinquième , la simplicité et ainsi des 
autres. On ne peut en saisir l'ensemble que sur une figure 
comme celle que De Visch a jointe à son édition. 

Il est impossible de n'être pas frappé tout d'abord du peu de 
rapport ou plutôt de l'absence absolue de rapport entre ce 
corps d'interprétation et l'introduction qui vient d'être ana- 
lysée , conçue d'un point de vue tout différent ; ce sont deux 
ouvrages distincts, sinon de différentes mains. Or, sur les quel- 
ques pages qui composent ce traité , pages où une énumération 
rapide ne laisse aucune place aux effets de style , il est difficile 
de se prononcer. Quand donc De Visch a dit qu'il reconnais- 
sait le style d'Alain, ou il a entendu parler du prologue. et alors 
nous sommes pleinement de son avis, ou bien il a voulu porter 
son Jugement sur le tout , et alors nous le trouvons présomp- 
tueux. Ne pourrait-on pas penser que le docteur universel est 
l’auteur du prologue , et le docteur séraphique ( saint Bonaven- 
ture), du traité lui-même. Le prologue est en effet un ouvrage 
très-complet qui ne demande aucune addition et ce qu'on ya 
ajouté n'a, comme nous l'avons dit, aucun rapport avec le 
commencement. On pourrait supposer que l'écrit d'Alain 
s'étant perdu pendant que celui de saint Bonaventure attirait 
l'attention, on aura attribué au Docteur universel, en voyant 


— SR — 


sur le catalogue de Trithème un Traité des six ailes , celui du 


: Docteur séraphique. Ce n’est là qu'une hypothèse, mais elle 


XVI. 
In 


evangelia. 


XVII. 
In 
orationem 
dominicam 


XVII. 
In 
epistolas. 


semble expliquer l'origine des discussions sur cet ouvrage, 
rendre compte du désaccord des deux parties réunies par De 
Visch et justifier l'absence de la couleur d'Alain dans la der- 
nière. Si nous nous sommes arrêté longtemps sur cette ques- 
tion , on conviendra que les grands noms d'Alain et de Bona- 
venture n’exigeaient pas moins. 


Ternarium seu exposilio de evangeliis (1). 


Haenel pensait avoir retrouvé à Toulouse cet ouvrage perdu, 
mais c'était le résultat d'une erreur (2). Peut-être cette exposi- 
tion est-elle à Strasbourg ; mais, n'ayant pu voir le manuscrit, 
nous ne saurions nous prononcer ni sur la nature , ni sur l’au- 
thenticité du livre (3). 

Super orationem dominicam (4). 

Inconnu , ce n’est peut-être que le titre d'un sermon, mais 
nous n'en possédons aucun d'Alain sur ce sujet. 

Ternarium de epistolis (5). 


Tout-à-fait inconnu. 


(4) Trithème dit seulement qu'Alain a composé un commentaire sur les 
évangiles. De Visch, dans sa Bibliotheca scriptorum cisterciens., en donne 
le titre : T'ernarium de Evangeliis et l'Incipit : (de tribus causis primi). 


(2) Haenel. Catalog. cod. manuscr., p. #75. Expositio in Evan- 
gelia, man. sur parchemin, in-89, de la bibliothèque publique de la ville 
de Toulouse. M. le conservateur de ce dépôt a bien voulu faire des recherches 
et n’a rien trouvé de pareil ni d'analogue. Haenel, nous dit-il, s'est servi de 
notes confuses qui lui ont été communiquées à l'insu du bibliothécaire. 


(3) Æxpositiones super ÆEvangelia dominicalia per circulum anni, 
Alani doctoris, manuscrit du X VE siècle appartenant à la bibliothèque de 
Strasbourg. Renseignement fourni par M. Jung. 


(4) Super orationem dominicam (cum esset rex nuster), cité par De 
Visch. Bibliotheca scriptor. ordinis cisterc. 


(5) Zn apostolum dit simplement Trithème. C'est De Visch qui porte 


In 
sermones 


Augustint, 


XIX. 
Sententiæ 
ac dicta 
memora- 
bilia. 
Éditions. 


= #0 ee 
Expositio in sermones Augustint (1). 


Nous ne citons cet ouvrage , comme plusieurs autres , qu'à 
titre de renseignement, car rien ne nous prouve qu’Alain en 
ait composé un semblable, bien qu'il se trouve sur les cata- 
logues d'Haenel ; aucun autre bibliographe ni ancien, ni mo- 
derne n'en ayant fait mention. Mais il est vrai de dire que le 
Docteur universel avait beaucoup étudié saint Augustin. On 
peut en juger par la fréquence des citations de ce saint Père qui 
se rencontre dans ses écrits. 

À côté de ces grands commentaires de l'Ecriture-Sainte, 
Alain a composé d’autres recueils de pensées et de maximes 
tirées de la même source et commentées. Tels sont les : 


Liber sententiarum. 
Liber dictorum mirabilium (2). 


Ces deux recueils ne font en réalité qu'un seul ouvrage édité 


pour la première fois par De Visch et reproduit dans la Patro- 
logie. 


dans sa Biblivtheca cisterc. le T'ernarium de epistolis comme le Terna. 
rium de evangeliis, mais il ne donne pas l’Zncipit du premier. Quelques 
auteurs parlent vaguement d’un commentaire sur saint Paul. 


(1) Alani expositio in sermones Augustini, manuscrit in-80o de la bi- 
bliothèque de Toulouse, d’après Haenel. Catal. lib. manusc., p. &75. Mais 
M. le conservateur de ce dépôt nous apprend que cet ouvrage ne s’y trouve 
pas. Voyez ce que nous avons dit à la note 2 de la pige précédente. 


(2) Liber sententiarum ac dictorum memorabilium (in Christi nativi- 
tate pour les Sententiæ., — Omnes animi notiones universitatis pour les 
Dicta mirabilia seu memorabilia). Quelquefois cet ouvrage est intitulé : 
Doctrinale altum par opposition au Doctrinale minus, second titre des 
Paraboles, Conférez ce qui a été dit ci-dessus à propos du de Doctrina ou 


Theologicæ regulæ de maximis auquel on donne également le titre de Doc- 
trinale altum: 


— 090" = 


Analyse. Il se compose donc de deux parties : la première intitulée 
Sentences, puise dans toute l’Ecriture les textes qu'elle déve- 
loppe ; la seconde portant pour titre : Dits mémorables, les 
puise de préférence dans l'Ecclésiaste. C'est à peu près la seule 
différence qui les distingue. On ne peut analyser ces interpré- 
tations subtiles des textes saints, qui ont du reste le plus grand 
rapport avec les canevas de sermons que contient le De Arte 
predicandi. On croirait presque que c'est une suite du même 
ouvrage (1). 

Enfin , suivant toujours la méme voie , Alain a composé des 
recueils particuliers des différents sens dans lesquels s'emploient 
les mots de l'Ecriture. D'abord : 


ne: Dictionnarium theologicum seu de diversis sermonibus, 
ictiona- + Ses 2e 
rium Se expositiones seu distinctiones verborum (2). 

theolo= 

sicum. On croit généralement cet ouvrage perdu , cependant il existe 


nn à la bibliothèque impériale un manuscrit anonyme qui présente 
à peu près le même litre, tout-à-fait le même Jncipit et un 
sujet identique. | 
L'histoire littéraire de. France, qui en rend amplement 
<ompte, pense que c'est un livre composé sur le plan de celui 


d'Alain, mais ne dit pas ce qui l'empêche de croire que ce ne 


(4) Ci-après, page 95. 

(2) De diversis sermonibus seu pignoribus dictionum theologicarum, 
cité par B. Pez. D’autres l’appellent Dictionarium theologicum seu theoly- 
carum ( sic), (Quisquis ad sacræ scripluræ notitiam desiderat pervenire), 

Le manuscrit sur parchemin, de la bibliothèque impériale dont nous allons 
parler (n0 DLXXXXIX, trës-petit in-fol. sur parchemin, écriture du 
XIVE siècle, fonds Colbert), porte pour titre : £xpositiones vocabulorum 
que in sacra scriptura reperiuntur..…. quoad significationem nobis minus 
notam.Une main plus récente a ajouté : Distinctiones verborum vocabulorum 
que expositiones sacræ theologiæ (ibi continetur ancnymi quoddam quast 
lexicon quo voces scripturæ sacrie difficiliores etminus obviæ explicantur. 


XXI, 


… 91 — 


soit l'ouvrage même de ce docteur, et par une autre bizarrerie 
elle attribue cet écrit à Alain Porret, que nous avons démontré 
ci-dessus n'être autre qu'Alain de Lille (4). 

Quant à nous, nous pensons que c'est bien ici l'œuvre de 
notre philosophe, nous y retrouvons sa méthode , son érudition 
et ses préoccupations historiques et allégoriques qu'il manie si 
facilement. | 

Il y a même entre cet écrit et d'autres d'Alain une si grande 
affinité de titre et de sujet qu'on les a parfois confondus. Telle 
est par exemple la Summa quot modis, dont nous allons 
immédiatement parler. Dans l'un comme dans l’autre , sur cha- 
cun des mots de la langue rangés par ordre alphabétique, l'au- 
teur explique les différents sens propres et figurés dans lesquels 
ils sont employés dans l’ancien ou dans le nouveau Testament. 
Ces explications se ressemblent d'un livre à l’autre, mais ne | 
sont pas les mêmes ; la Summa quot modis est beaucoup plus 
complète ; cependant il y manque des citations de la Bible qui 
soné dans le livre dont nous nous occupons maintenant, Alain 
les aura sans doute composés dans différents temps de sa vie 
et pour différents ordres de lecteurs. 


Summa quot modis seu oculus sacræ scripluræ seu com- 


Summa pendium utriusque testamenti seu de diversis verborum 


quot modis. 


significationibus seu distinctiones dictionum theologica- 
lium seu equivoca ad Ermengaldum (2). 


(4) Histoire littéraire de France, tome XXII. page 20. 


(2) Summa quot modis seu oculus sacræ scripturæ, cité par Trilhème, 
1. c. Sixte de Sienne. Biblioth. sancta, lib. IV. Compendium utriusque 
testamenti seu oraculum sacræ scripturæ, lib. Î, seu tractatus de diver- 
sis verborum significationibus secundum ordinem alphabeti, seu de signi- 
ficatione nominum et verborum seu equirvoca ad Ermengaldum (reveren- 
dissimo patri, pour le premier prologue. Quoniam juxta Aristotelice auc- 
toritatis pour le second. À quandoque notat locum pour l'ouvrage mème. 


Editions. 


Ce traité compte un grand nombre de manuscrits répandus 
dans tous les pays. Ces sortes de vocabulaires de l'Ecriture- 
Sainte paraissent avoir eu au moyen-âge le même succès que 
les répertoires de Droit ou de Médecine obtiennent dans notre 
époque positive. 

On pensait généralement qu'il était inédit. Cependant il en 
existe une édition de Strasbourg, suivant La Serna, de De- 
venter, selon Hain (1). 


ne eee ee © 


—Apostolus Zeno, qui nous a donné tous les titres ci-dessus, lit : 4postolicæ 
au lieu d’AÂristotelicæ, dans le second prologue. -— L'histoire littéraire de 
France met pour Zncipit à ce livre : Anima proprie spiritus, qui sont, en 
effet, les premiers mots d’une longue exposition sur le mot Ænima dans le 
même dictionnaire. Il paraît que les manuscrits sont beaucoup moins com- 
plets les uns que les autres. 

L'un d’eutre eux, provenant de l’abbaye de Clairvaux, sd hui à la 


‘bibliothèque de Troy es, contient ces vers singuliers : 


Aurea Lux Auimi, Novitatis Virga Salubris , 
Præsens fecit opus quod fragrat sicut Ysopus ; 
Quot conjunge modis etlibri nomen habebis. 


D. Pitra (Spicilegium solesmense) publie un fragment d’un anonyme qui 
fait mention des Æquivocis mysticis seu de Æquivocis a consilio, et le sa- 
vant Bénédictin croit voir sous ces mots Ja Summa quot modis; c'est, 
en effet, ce qui parait vraisemblable , cependant Trithème distingue 
les deux ouvrages. Il appelle le premier : Oculus sacræ scripturæ, lib. 1, 
reverendissimo patri, ce qui est bien la Summa quot modis, et le second 
de Equivacis mysticis, lib. I. Y n’en donne pas l’ncipit mais d'autres le 
portent ainsi : Vidit scalam Jacob, qui sont les premiers mots du de Arte 
prædicandi. 

Le Tractatus de muteriis religiosis qu'Haenel signale dans la bibliothèque 
de Bruges n'est aussi, d'après l’/ncipit que M. le bibliothécaire a bien voulu 
me transmettre, que la Summa quot modis. C’est encore le même livre pro- 
bablement qui se trouve à Toulouse sous ce titre : Poctrinale theologicum 
magistri Alani, d'après ce que le bibliothécaire de cette ville a bien voulu 
me dire du contenu de ce manuscrit. Voilà donc le quatrième ouvrage d'Alain 
auquel se trouve accolé ce mot de Doctrinal : les Paraboles, les Sentences, 
les Règles théologiques et celui-ci, 


(1) L'Histoire littér. ire de France, comme Oudin, F'abricius et le Cata- 


7 Date. 


Que 

Les exemplaires en sont très-rares. La Patrologie de 
M. Migne s'est servi d'un d'entre eux, qui lui avait été com- 
muniqué par M. Jung de Strasbourg. M. Le Glay et Dom Pitra en 
ont indiqué d’autres à Lille et à La Haye (4). 

Ce livre est dédié à Ermengald ou Hermengald, dix-neuvième 
abbé de Saint-Gilles (Sancti Egidii, de l'ordre de saint Benoit, 
dans le diocèse de Nimes }, qui porta ce titre de 4179 à 4496. 

1! faut se garder de le confondre comme a fait La Serna avec 


. un autre Ermengald, sixième abbé du même couvent, qui 


mourut vers 4060 (2). 


CEE) 6e 


logue des manuscrits des bibliothèques des départements, le croyait inédit. 

L'édition dont nous parlons a pour titre : Alani magistri distinctiones 
dictionum theologicalium (sic) ordine alphabetico, grand in-folio à deux 
colonnes, lettres rondes. La Serna et Hain en donnent une description corm- 
plète. Le premier croit y reconnaitre les caractères dont C. W. de Stras- 
bourg s'est servi pour imprimer en 4474 le Redactorium morale bibliæ, 
(Cette marque C. W. désigne selon les uns Cephaleus Wolfius, Wolfgang 
Koepfel, suivant les autres Conrad Wolfach ) Le second, sans parler de 
l'opinion de La Serna, auquel il est cependant de plus de vin:t ans postérieur, 
attribue cette édition à Richard Paffroed de Deventer, sans doute en s’ap- 
puyant aussi sur l'identité des caractères. Du reste, Paffroed, de Cologne, 
qui apporta le premier l'imprimerie à Deventer (Hollande) et y exerca de 
4477 à 1500, a, en effet, publié plusieurs ouvrages d'Alain : les Paraboles, 
l’Anticlaudien, ete., etc. Conf. La Serna Santander, dictionnaire bibliogra- 
phique du XVe siècle, vol. 2, p. 27, Bruxelles, 4806. Hain repertorium 
bibliographicum , verbo : Alanus, n°0 389. Tubingen, 1826-1838. M. Jung, 
dans la patrologie, fixe à 1477 environ la date de l'édition de Paffroed, 


(4) Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de la ville de Lille, par 
M. le docteur Le Glay, conservateur des archives du département du Nord. 
Lille, Vanackere, 1848. À propos d'un exemplaire de cette édition, relié 
avec des manuscrits et souvent confondu avec eux, il suit l’opiuion de Hain, 
sans discussion.—Dom Pitra. Spicilegium solesmense. Paris, Didot, 4855, 
tome II, page X XV. Ce dernier change un peu le titre qu'il rapporte ainsi : 
V'enerabilis Alani liber in distinctionibus dictionum theologicalium. 11 en 
a publié quelques extraits en glose de la fameusc clef de Meliton. 


(2) La Serna, 1. c. Voir pour le premier Ermengaldus : Mabillon. 4n- 
nales ordinis S, Benedicti, 1. XV, p. 522. Gallia Chrisliana; lome 1 


Authen- 


ticité, 


Nature 
de 


l'onvrage, 


= di 

La date de cette somme se trouve donc fixée entre 1179 et 
4495. 

Alain appelle l'abbé de Saint-Gilles : pater et dominus, ce 
qui a encore fait discuter si notre Docteur n'était pas de ce 
pays; nous avons dit ailleurs ce que nous pensons de la fai- 
blesse de cet argument. 

Nous avons dit aussi comment La Serna entend contester ce 
livre à Alain de Lille, en s'appuyant sur ce que les contem- 
porains n'en font pas mention et sur ce que la personne à 
laquelle il est dédié était morte plus d’un siècle avant le Docteur 
universel. | 

Cette dernière allégation , comme nous l'avons vu, est le 
résultat d'une confusion entre deux abbés de Saint-Gilles du 
même nom. Si, d'un autre côté, les auteurs contemporains 


d'Alain n'ont pas mentionné ce livre, ils en ont omis bien 


d'autres et du moins Trithème et Sixte de Sienne après lui , le 
citent sous le titre d'Oculus sacræ scripturæ. lib. 4 (reve- 
rendissimo patri). 

La Summa quot modis est ainsi äppelée parce que l’auteur 
y examine en combien de manières les termes de l'Ecriture- 
Sainte sont employés soit au propre, soit au figuré. De nom- 
breux exemples sont cités à l'appui, C’est un simple vocabulaire 
souvent très-concis. Il suffit pour en faire apprécier la portée 
d'en copier les premières lignes : À quandoque notat locum , 


‘unde in evangelio : homo quidam descendebat a Jerusalem 


in Jericho. Notat etiam tempus unde in Michæa propheta : 


(diœcesis nemausensis), col. 873 ; pour le second, ce dernier ouvrage, col. 
&89, où la distinction se trouve nettement prononcée, La patrologie de M. 
Migne a aussi parfaitement signalé l'erreur de Santander, page 685, note &5. 
—L'Histoire littéraire attribue à notre Ermengald un opuscule contre les 
hérétiques, mais M. Schmidt, dans son histoire des Cathares, le restitue à un 
autre auteur du même nom, cathare converti. 


XXII. 
_ De Arte 


predica- 
toria. 


Éditions. 
Analyse, 


— 95 — 


a diebus antiquis, etc. Il est impossible, on le comprend, 
d'analyser un dictionnaire ; celui-ci forme un gros volume. 

Ces travaux sur l’Ecriture nous conduisent tout naturellement 
à ceux qui ont pour objet la prédication, car ils sont conçus 
dans le même esprit. 


De Arte predicatoria (1). 


Publié dans les deux éditions générales d'Alain. 

Dans la préface de cet ouvrage, l’auteur expose que l’échelle 
de Jacob doit s'entendre du progrès du chrétien vers la perfec- 
tion. Le premier degré en est la confession ; le second, l'orai- 
son ; le troisième , l’action de grâce ; le quatrième, l'étude des 
Ecritures; le cinquième, l'examen approfondi des passages dif- 
ficiles avec l’aide des autorités ; le sixième, l'enseignement ; le 
septième , la prédication. Cette dernière partie est celle qui a 
été le moins traitée, aussi va-t-il s'en occuper en particulier. 

11 faut examiner, dit-il, ce que c'est que la prédication, 
quel en doit être le fond, quelle en est la forme ; quelles 
espèces de prédications il faut reconnaître; ce que l'on doit 
prêcher, à qui l’on doit prêcher, pourquoi et où on doit le faire. 

A la première question, il répond que c'est une instruction 
manifeste et publique des mœurs et de la foi, qui a pour but de 
former les hommes et qui s'appuie sur la raison et les auto- 
rités. Suivant alors la méthode des scholastiques , il reprend 
un à un tous les termes de cette définition pour distinguer son 
sujet de la prophétie, de la doctrine, etc. 

S’expliquant sur le second point, il veut surtout qu'on évite 
la prétention dans le fond , la trivialité dans la forme, puis il 


(4) Summa de arte prædicatoria seu de arte prædicandi (vidit Jacob 
scalam, et après le prologue : Prædicatio est manifesta). Conf. ce que 
nous disons Æquivocis mysticis, page 92. 


Lacunes. 


donne quelques conseils sur l'usage des textes et des citations 
ainsi que sur l'emploi du pathétique, conseils devenus trop 
vulgaires pour être rapportés ici. | 

Il reconnaît ensuite trois espèces de prédication. En paroles 
ou oratoire ( in verbo ), en écrit ou épistolaire {in scripto), 
comme étaient les épîtres des Apôtres, en fait ou exemplaire 
( in facto }, comme sont les bonnes actions. 

Tout ce qui précède n’occupe que quelques pages(1). Passant 
alors à ce que l'on doit prêcher, l’auteur va employer tout le 
reste de son ouvrage (2) en canevas ou modèles de sermons, 
en indiquant surtout des autorités qui peuvent servir de textes ; 
ici, sur les péchés capitaux ; là, sur les vertus chrétiennes, 
etc., elc. 

L'on voit que jusqu'ici il n’a pas traité les dernières parties 
de sa division, l'ouvrage est donc resté inachevé. Mais tous 
les manuscrits ne s'arrêtent pas là. De Visch en a trouvé un 
qui était plus étendu. Il y a d'abord une continuation de l'exa- 
men des sujets qu'on doit choisir pour la prédication (3). L'au- 
teur se demande ensuite qui sont ceux qui doivent prêcher (4). 
Ce sont exclusivement , suivant lui, les ecclésiastiques (5); 
puis, qui sont ceux devant qui l'on doit prêcher, ou plutôt 
comment cn doit proportionner la prédication à l'auditoire : 
précher la charité aux riches , apprendre aux pauvres à sup- 
porter, à aimer même l’indigence par l'exemple de Jésus-Christ; 
les soldats , les avocats, les princes , les religieux, etc., etc. (6) 


On doit s’apercevoir que l'ouvrage n’est pas encore fini et 


(4) Le chapitre premier de l'édition De Visch. 
(3) Les chapitres 2 à 30. 

(3) Chapitres 31 à 37. 

(4) Chapitre 38. 

(8) Conf. ci-dessus, page 16. 

(6) Chapitres 39 à 48. 


Alain, 


orateur. 


| — 91 — 
que ces deux divisions qui piquent {ant la curiosité : Pourquoi 
et dans quel lieu { quare et ubi) J'on doit précher, n'ont pas 
été examinées, Cette somme reste donc encore incomplète après 
la suite retrouvée par De Visch dans un manuscrit plus récent, 
On peut même se demander si ces derniers chapitres, que les 
manuscrits gothiques ne portaient pas, sont bien du même 
auteur. Il y a évidemment les mêmes formes, le méme esprit 
de divisions subtiles et d’interprétations ingénieuses , le même 
savoir, la même connaissance de la littérature profane, ce qui 
n'était pas commun alors; mais il n°v a plus la chaleur, l'at- 
trait du commencement. Nous croyons bien que la même main a 
écrit le début et la fin, mais le début a été achevé, la fin n'a 
pas été rctouchée. Nous penserions volontiers que ces derniers 
chapitres, composés peut-être dans la vieillesse de l'auteur, au- 
ront été retrouvés inachevés. Cette hypothèse explique en effet les 
lacunes de quelques manuscrits , la suspension de l'œuvre, les 
négligences et la faiblesse de la dernière partie, comme la con- 
fusion qui y règne à Lel point que l'auteur revient jusqu’à trois 
fois sur le même sujet (1). . | 

Comme orateur Alain est fécond, intéressant ct varié. S'il 
ne se refuse pas toujours les images repoussantes qu'il poursuit 
dans un de ses sermons, jusqu'à l'ignoble peinture des fonc- 
tions animales (2), il a parfois, au contraire , une touche pleine 
de fraîcheur et de charme , comme lorsqu'il compare les affec- 
tions tristes de l’âme à la pluie du soir qui hâte la féconda- 
tion (3). Il n'a pas, il est vrai, ces élans qui font les grands 
homélistes , mais la fécondité de sa pensée intéresse toujours et 
entraîne parfois. Au sermon sur l'Avarice , par exemple , dans 


(1) Conf. ses sermons sur ia paresse. Sa 
(2) Son sermon : contra gulam. 


(3 Sur ce texte : beati qui lugent. 


Ouvrages 
analogues 
attribués 
au même 
auteur. 


— O8 — 


une prosopopée audacieuse, il fait apostropher le pécheur par 
sa propre chair, par Satan , par les éléments, par la Divinité , 
en termes qui respirent la grandeur. Ce devait bien être, 
comme le disent les chroniqueurs, un des plus remarquables 
orateurs de son temps (1). 


Æquivoca mystica (2). 


Ce titre ne désigne, suivent nous, que le même traité sur 
l'art de la Prédication , ou la Summa quot modis. 


De contemptu mundi (3). 


Cité par De Visch comme un ouvrage original; ce n'est 
d’après l’Incipit donné par le même auteur que le second cha- 
pitre du De Arte predicandi. 


Alia Summa de arte predicatoria. 


M. Ravaisson avait cru en effet avoir trouvé une autre 
somme de la prédication composée par un autre Alain ( Alanus 
de Podio); mais d'après l’incipit qu'il en donne, ce ne sont 
que les chapitres XXX VIII et XXXIX de la somme d'Alain de 
Lille (4). 


(1) Henri de Gand, L. c. 


(2) Æquivoca mystica (vidit Jacob scalam). Trithème cite comme trois 
ouvrages distincts : le De Arte predicatoria, les Æquivoca ad Ermen- 
galdum et les Æquivoca mystica. Cependant l’Incipit : Vidit Jacob sca- 
lam est le mème dans le premier et le dernier. 


(3) De contemptu mundi (si prædicator vult), cité par de Visch dans sa 
Bibliotheca scriptor. ordinis cisterc. 


(4) De arte predicatoria (dictum est quod sit predicatio et qualis esse 
debeat.… Le Desinit est : Angelorum gerit similitudinem) dans un ma- 
nuscrit signalé à la bibliothèque d’Avranches par M. Ravaisson : Rapport au 


XXII. 


Sermones. 


XXIV. 
Speculum 
ecclesiæ. 


2 0e 
Sermones (1). 


Ils ont été publiés au nombre de douze dans l'édition de 
De Visch et la Patrologie Ce que nous venons de dire au sujet 
du De Arte predicatoria ne ferait que se répéter ici. 

On pense qu’il a dû exister encore un autre recueil de ser- 
mons sous ce titre : 


Speculum ecclesiæ (2), 


mais il est inconnu; M. Migne prétend que c’est une confu- 
sion et qu'on a attribué à Alain le Miroir de l'Eglise d'Honorius 
d'Autun. Cependant les indications de Bernard Pez, qui avait 
vu ce hivre, ne sont pas tout-à-fait conformes au texte donné 
par M. Migne. Le manuscrit où ce dernier a puisé n’est d'ail- 
leurs pas celui que B. Pez avait vu (3. 


ministre sur les bibliothèques de l’ouest de la France. Paris, in-80, p. 157. 
Ce savant s’est laissé tromper par la différence de cet Zncipit et de celui que 
porte le De arte predicatoria édité par De Visch. Mais s’il eût poussé plus 
loin son examen, il eût vu que le chapitre 38 commence : Dictum est quod 
sit predicatio, et que le chapitre 39 finit: Aagelorum gerit similitudinem, 
ce qui ne laisse pas de doute. Conf. ce que nous avons dit à ce sujet, ci-avant 
page 61. 


(4) Octo Sermones dans l'édition de De Visch (de spirituali unitate : os- 
culetur me). À la fin, un fragment d’un neuvième, Il y a ajouté encore sépa- 
rément trois autres sermons puisés dans un manuscrit différent. Ils pa- 
raissent altérés et tronqués. Ces trois derniers se trouvent à la bibliothèque 
de Bruges, et c’est ce manuscrit qu'Haenel (Catal. librorum manuscr., 
p 758) désigne sous le titre vague : 4lani opuscula varia. Nous devons ce 
renseignement à l'obligcance de M. le bibliothécaire. 


(2) Liber sermonum d'après Othon de S. Blaise, 1. c.—Speculum eccle- 
siæ (cum primo in nostro conventu, ct après le prologue : peritissimi picto- 
res: Ambrosius, Augustinus) cité par B. Pez, 1. ce. et Jacob de S. Charles 
de claris scriptor, Cabillon. 


(3) Conférez Bernerd Pez. J'hesaurus anecdotorum, 1. c. et Patrologiæ 
cursus, édité par M. Migue, tome CI XXII pour Honorius Augustodunensis. 


Autres 
aurages 


a ralouues. 


XXV. 


Rhelorica, 


— 00 — 
Sermones alii. 


Enfin, M. le bibliothécaire de la ville de Toulouse a bien 
voulu m'informer que dans ce dépôt se trouve un recueil ma- 
nuscrit de Sermons pour les dimanches et fêtes (1), qui ne porte 
aucun titre ni désignation d'auteur, maïs sur lequel une main 
récente a ajouté le nom : Alanius (sic). 

Est-ce le Speculum ecclesiæ de B. Pez, est-ce le Liber 
sermonum d'Othon, nous ne pouvons en rien dire sans avoir 
vu le manuscrit. Il est certain que notre fécond docteur a dû 


composer bien des sermons et qu'on a pu en former plus d'un 
recueil, 


Rhetorica (2;. 

Un manuscrit cité par le Père Labbe donne une rhétorique 
d'Alain et de Gcoffroy. Est-ce l'ouvrage simultané de ces deux 
auteurs, ou est-ce la réunion d'un livre de chacun d’eux sur la 
rhétorique ? - 

En outre, s'agit-il ici de notre Alain auquel en effet on a 
parfois attribué un traité de Arte bene dicendi, ce qu'on a cru 
aussi être son De Arte predicatoria ? 

Questions insolubles puisque cet ouvrage est inconnu. 

Quant à l'autre auteur ce ne peut être que Galfredus , Gau- 
fredus , Gualterus de Vino Salvo. { Joffroy, Geoffroy, Gauthier, 


(4) Manuscrit petit in-80 à deux colonnes, sans ornements, écriture go- 
thique du X1Vesiècle ; le commencement et la fin ne présentent nititre ni 
nom d'auteur, (Dominica prima de adventu : veniet desideratus cunctis 


gentibus.) Cet Incipit n'est pas celui du Speculum ni d’aucun des sermons 
édités par De Visch. 


(2) Rhetorica Alani et Galfredi citée par Labbe. Nova bibliotheca manu- 
scriptorum (Parisis, 4653, in-40), au huitième supplément sur la biblio« 


thèque de Louis XIV. 


XAXVI 
ln 
proplhetias 
MHerlins. 


Éditions. 


Date. 


— 101 — 
Wauthier de Vinesauf), anglais du XIIL® siècle qui a écrit sur 
l'art de bien dire un poème considérable reproduit par 


 Leyser (1). 


On serait tenté d'en conclure que l'ouvrage d'Alain était éga- 
ment en vers. 

Nous passons maintenant à des ouvrages qui ont des sujets 
trop divers pour être régulièrement classés. 


* Ecrplanatio in prophetias Merlin (2). 


Cet ouvrage imprimé à Francfort en 1603 et postérieurement 
si l'on en croit quelques témoignages confus , à Anvers, n'est 
pas repris dans l’édition de De Visch ni dans la Patrologie, 
qui ne le considéraient pas comme émanant du Docteur univer- 
sel (3). | | 

Dans ce livre se trouve un passage qui a été cité partout 
L'auteur parle d'un événement de sorcellerie qui s'est passé , 


(1) Poetria de arte dicendi (Neustria sub Clypeo) quelquefois intitulée : 
Bhelorica judicialis metrica (papa stupor mundi). Voyez Leyser, Historia 
poelarum et poematum medii œvi, Halæ Magdeb. 1741, page 855. Les 
manuscrits en sont nombreux, la bibliothèque unpériale eu compte cinq. 


(2) Prophetia Merlini una cum septem bris explanationum (cum 
mullos rerum et après la préface : S'edente T'ortigerno). Cité par De Visch, 
L. c. et Barthius, 1. c. 


(3) Prophetia anglicana Merlini Ambrosii  Britanni ex incubo olim 
(ut hominum fama est) ante annos mille ducentenos circiter in Anglia 
nati, vaticinia et prædicativa a& Galfredo Monumetensi latine conversa, 
una cum septem libris explanationum in eamdem prophetiam, excellentis- 
simi sui temporis oratoris , polyhistoris et theologi Alanide fnsulis ger= 
mani doctoris... opus nunc primum publici juris factum et lectoribus ad 
historiarum prœcipue vero Britanniæ cognitionem, non parum lucis aila- 
turum. Francofurti, typis Joachim Spessii, in-80, MDCUJ. C'est donc 
par erreur sans doute qu'Oudin, |. c. et L'abricius, E. e. ont écrit 1608. Quant 
à L'édition d'Anvers, elle n’est pas connue, ni Fabrivius ni lFistoire litté 
raire n'en font mention, Elle nous paraît méme problématique, 


Authen- 
ticité 
fort 
contestable 


dans son extrême jeunesse, alors que le comte Thierry vint 
en Flandres appelé par le vœu des habitants. Or, l'histoire 
montre qu'il s'agit ici de Thierry d'Alsace appelé, en effet, de 
1128 à 1130. On en a conclu que telle avait dù être, à quel- 
ques années près , la date de la naissance d'Alain. On voit ici, 
en outre, l'indication de sa patrie, car cet événement se pas- 
sait à Lille, lieu où il déclare être né (1). 

D. Brial, dans l'Histoire littéraire de France, est parvenu 
savamment à déterminer, par le contenu de ce livre , la date 
de sa composition. Voici comment: l'auteur y parle du dernier 
né des fils d'Henri IT d'Angleterre, il écrit donc postérieurement 
à la date de la naissance de cet enfant (1167), mais il n'y parle 
pas de la révolte de l'aîné des fils du même roi, il écrit donc 
antérieurement à cet événement {4183). 

Après le texte de la prophétie de Merlin, telle qu'elle fut 
traduite du breton en latin par Geoffroy Monmouth, évêque de 
Saint-Asaph { pays de Galles }, { Galfredus monumethensis), 
les trois premiers livres des commentaires en font l'application 


aux temps écoulés ; les quatrième, cinquième et sixième cher- 


chent à en induire l'avenir ; le septième et dernier prédit la fin 
du monde et s'étend longuement sur l'étude du ciel. 

On a beaucoup contesté l'authenticité de ce livre. I est dif- 
ficile d'admettre que notre Docteur, dont la philosophie est 


(1) Vidi et ego in Flandria cum puerulus adhuc essem apud Insulam 
(unde natus fui) fœminam quamdam maleficam quæ in maleficio suo com- 
prehensa... tempus illud fuit quo comes T'heodoricus ab insulanis homi- 
nibus, gavendensibus quoque ac brugensibus adrocatus erat a terra sua in 
F'landria tanquam legitimus Flandriæ hæres, reprobuto H”. Normanno 
qui nihil in flandricis hereditart juris habebat, Ces détails sont conformes 
à l'histoire : Guillaume-le-Normand fut sans aucun droit appelé au gouvrrne- 
ment de la Flandre par le roi de France, Louis-le-Gros, mais les villes se 
soulevèrent et appelèrent Thierry d'Alsace, petit-fils de Robert-le-Frison, l'un 
des comtes de Flandre. 


— 103 — 


positive, dont la dévotion est ferme et éclairée, qui ne se 
montre mystique que dans l'interprétation religieuse et poétique 
des textes sacrés , compose un pareil ouvrage , discule sérieu- 
sement si Merlin était prophète, et s'il était né d'un succube 
( tel est le sujet du prologue). N'est-il pas choquant après 
l'avoir entendu blâmer si vivement les -hérétiques qui s'attri- 
buent le droit de prophétiser, de le voir attacher tant d’impor- 
tance aux rêveries d'un homme tel que Merlin, très-suspect de 
paganisme et d’hérésie. Enfin comment cet écrivain qui jamais 
ne puise un exemple dans l'histoire moderne, s'en montre-t-il 
tout à coup si minutieusement instruit ? 

Il est vrai que Du Boulay rapporte qu'au XII siècle on se 
préoccupait beaucoup des prophéties de Merlin, qu'on croyait 
favorables aux prétentions de Louis , fils de Philippe-Auguste , 
sur l'Angleterre (1); il est encore vrai que cet ouvrage est plein 
de cette littérature profane, de ce savoir mathématique , phy- 
sique et astronomique qui distinguait Alain (2). Mais il est 
évident que si dans un intérêt politique on a voulu forger des 
interprétations nouvelles des prophéties anciennes, on a dû, 
pour leur donner plus d'autorité, les attribuer au Docteur uni- 
versel comme à un auteur assez célèbre pour avoir laissé un 
grand nom, pas assez connu cependant pour que le nombre de 
ses ouvrages fût déterminé avec certitude; enfin, pour les lui 
attribuer, 1l a bien fallu leur donner ses caractères propres , 
l'érudition et l'universalité, ce qui devenait de jour en jour 
plus facile. | 

Quant à nous , ce qui nous touche , c'est qu'aucun des con- 


temporains, ni Othon de Saint-Blaise, ni Albéric de Trois- 
LU 


(4) Hist, univers, parisiens. |. c. 


(2) Icite entr'autres les églogues et interprète la quatrième comme une 
prophétie qui annonce la venue du Christ. 


LS 


De Signis. 


— 104 — 


Fontaines, ni Henri de Gand , ni même plus tard Trithème n’at- 
tribuent à Alain ce livre qui cependant devait plus que tout 
autre piquer la curiosité et attirer l'attention. J} y a donc du 
doute et un doute sérieux sur l'authenticité de cet ouvrage. 

Cependant on ne peut en reporter la date au XVE siècle 
comme le voudrait l'Histoire littéraire, car il en existe des 
manuscrits antérieurs à cette époque (1). 

Ce commentaire ne paraît pas non plus devoir être attribué 
à l'évêque d'Auxerre, comme le pensent Oudin et Lebeuf qui 
confondent les deux Alain, ainsi que nous l’avons dit ; car, tout 
jeune en 41138, l’auteur n'aurait pu être abbé de Rivours en 
1440. Il serait plus vraisemblablement attribué à l'abbé de 
Tewkesbury , qui était anglais. | 

Dans ce livre l’auteur parle des conseils qu'il a reçus de son 
abbé ; on en a conclu qu’Alain était moine de Citeaux quand 
il l'a composé ; mais pour en tirer cette conclusion il faudrait 
démontrer d’abord que ce commentaire provient bien du Doc- 
teur universel. 

La première édition de la bibliothèque de Cîteaux , suivie en 
cela par la table si fautive de Montfaucon, attribuait aussi à 
Alain : 

De calamitate regni Franciæ, ouvrage célèbre d'Alain 
Chartier et de beaucoup postérieur au XII siècle. La seconde 
édition a reclifié cette erreur grossière (2). 


Excerptiones de signis XV dierum ante supremum judi- 
cium. 


Ces quelques pages qui portent le nom d'Alain, et qui pour- 


» 


(1) Voyez à la bibliotheque impériale un beau manuscrit sur parchensin du 
XIVe siècle, n9 vi MCDLX X XI, fonds Mazarin. La fin manque. 


(2) De Visch. Biblioth. script. ordiuis cistere. — Montfaucon. bibliotheca 
bibliothecarum. 


XX VIT. 
De naturis 
animalium 


Discussion. 


— 105 — | 
raient aussi sembler d'abord une sorte de prophéties , ne sont 


que Île premier chapitre des Sententiæ dont nous avons rendu 
compte ci-dessus (1). 


De natura animalium (2). 


À été imprimé dans le Bestiarium , sorte d'encyclopédie 
des sciences naturelles , à laquelle travaillèrent divers auteurs 
du moyen-âge et qu’on comprend souvent dans les œuvres 
d'Hugues dé Saint-Victor {3). 

Ce qu’on attribue à Alain est le second des quatre livres qui 
composent le Bestiarium (4). Il y est parlé du lion, de l’anti- 
lope, de l’onocentaure , du renard, de l’unicorne, du hérisson, 
de l'hydre, etc., etc., mélant ainsi le fabuleux à la réalité. Il y 
est aussi parlé des pierres ignifèrés, de l’aimant , bien que ce 
soit en dehors du titre. Il y a du style et de l'érudition assez 
pour qu'on puisse l’attribuer à Alain , cependant on en a fait 
honneur à d'autres , à Hugues de Folioth surtout. 


(1) Excerptiones de signis XV dierum ante supremum judicium et de 
penis quas damnati in inferno patiuntur ex dictis magistri Alani (in 
Christi nativitate duo soles apparuerurt). Manuscrit in-80 sur parchemin 
provenant de Clairvaux, maintenant à la bibliothèque de Troyes, sorte de 
recueil dans lequel l'écrit dont nous parlons n’occupe que deux pages et 
demie seulement. Catalogue général des manuscrits des bibliothèques des 
départements, publié sous les auspices du ministère de l'instruction publique, 
t. II, p. 783. Voir pour les Sententiæ, ci-dessus, page 89. 


(2) Denaturis quorumdam animalium, lib. IT, cité par Trithème, H. de 
Gand , Oudin, L. c. 


-(3) Edition de Rouen, 1648, in-fol. t. II, p. 418. Voyez encore la Pa- 
trologie, t. CLXX VIT. 


Le 
(4) De Bestiis et aliis rebus, liber secundus qui est precipue de natura 
animalium (bestiarium rocabulum proprie convenit, ct après le prologue : 
cap. 1, de leone : leo ex greco vocabulum). 


XX VIII. 
Questivnes 


naturales. 


Manuscrit. 


Est-ce bien 
d'Alain ? 


— 106 — 
Questiones naturales {1). 


D. Pitra a publié dans une glose sur la Clef de Méliton un 
fragment de cet ouvrage d'Alain , d’après un manuscrit tout-à- 
fait inédit de la Bibliothèque impériale (2). 

Mais est il bien d'Alain ? Comment se fait-il qu'aucun des 
contemporains, ni même Trithème, n'attribuent au Docteur 
universel d'ouvrage sous ce titre. Il n'y a absolument pour le 
lui décerner que la mention du ütre, et qui n’ajoute aucune 
désignation au nom d'Alain. 

M. Haureau pense que c’est là le De naturis animalium et 
qu'Oudin nele connaissant pas, mais voyant attribué à Alain un 
ouvrage sous ce litre, lui a donné celui dont nous avons parlé 
ci-dessus , qu’on attribuait aussi à Hugues Follioth ou Hugues 
de Saint-Victor (3). 

D. Pitra est d'un avis différent et fait remarquer que ces 
Questiones ne sont nullement un traité sur la nature des ani- 
maux, C'est en effet un recueil de questions physiologiques , 
physiques , tératologiques et philosophiques même car la 


(4) Zncipiunt questiones Alani. Manuscrit in-40 de Ja bibliothèque im- 
périale. Fonds Notre-Dame, n0 201, écriture du XIIIe siècle. (Questiv 
quare nitinur in vetitum, Responsio natura semper laborat...)Ces Questiones 
ne font qu’une partie du manuscrit renfermant de toutes autres matières de 
divers auteurs. 

Dans ce manuscrit entre autres choses se trouvent beaucoup de 
questions naturelles à la fin desquelles est écrit : Expliciunt questiones 
magistri Adelardi, puis immédiatement au-dessous, de la même main : /n- 
cipiunt questiones Alani. Faut-il supposer qu’Alsin ait continué le célèbre 
ouvrage d'Adclard de Bath : Perdifficiles questiones naturales, qu'il a dü 
certainement connaître, Ce n'est point impossible, mais nous disons ce qui 
nous fait douter qu'il s'agisse ici de notre Alain. 

(2) Spicilegium solesmense publié par Dom J. P, Pitra,t. 1, p. 70 ct 
t. I, p. LXXHIet 55. Le fragment reproduit est : Quot modis cervus 
dicitur, proprie dicitur animal silvestre. 

(3) Article de l’ftheneum, 1853, p. 683.—Oudin, L. c. Voyez ci-dessus 
ce que nous avons dit du Pe naturis, page précédente, 


XXIX. 
De lapide 
philoso- 
phico. 
Editions. 


Authen- 
ticité. 


— 107 — 


première est ainsi conçue : quare nilimur în velitum, ce à 
quoi l’auteur donne une réponse presque matérialiste, tirée de 
la chaleur de l'appétit et de l'imagination. Parmi les autres 
questions , il en est d’une extrême indécence , sur certaines 
voluptés par exemple. Il en est encore de tout-à-fait étrangères 
à la nature des animaux , comme celle-ci : pourquoi un vase 
d'argent placé sur le feu laisse bouillir l'eau qu'il contient sans 
s'échauffer extérieurement. 

Le savant Bénédictin semble plutôt voir dans ce livre le De 
rerum natura des catalogues, mais ce n’est pas plus exact , 
car ce dernier n'est, comme nous l'avons dit, que le De 
Planctu nature. | 

En somme cet ouvrage nous paraît fort peu authentique , 
hors des habitudes honnêtes et du style d'Alain. 


De lapide philosophico (1). 


À été imprimé à Leyde et non à Lyon , comme on l'a dit ; 
puis reproduit dans le T'heatrum chemicum (2). 

Cet ouvrage d'alchimie n’est pas susceptible d'analyse , il 
faut même pour l'entendre être au courant de ces matières. 

Rien ne prouve que ce livre, qui, du reste, n'est pas men- 
tionné par les contemporains , pas même par Trithème , soit de 
notre Docteur ; mais il n y a pas non plus de raison sérieuse 
pour contester la tradition qui le lui attribue. .On a voulu in- 


(1) Dicta de lapide philosophico mentionné par Fabricius et J. J. Man- 
getus ; bibliotheca chemica curiosa seu rerum ad alchemiam pertinentium 
thesaurus. Genève, 1702. 2 vol. in-fol, 


(2) Dicta Alani philosophi de lapide philosophico e germanico idiomate 
in latinum reddita per Justum a Balbian, alostanum (ad deum, mi fili, et 
cor et mentem), Lugduni Batarvorum, typis Raphelengii, 1600 (1599 dit 
Fabricius), una cum secreto Jodoci Greneri, in-80. — Theatrum Chemi- 
cum, t. I}, p. 761 (anonyme). Argentorali, 1659, G vol. in-80. 


Arithmo- 
machia. 


— 108 — 


duire de ce qu'il est traduit de l'allemand que l'auteur était 
quelque Alain , né en ce pays (1). Mais le traducteur a soin de- 
prévenir dans sa préface que s'il l'a traduit de l'allemand, c’est 
qu'il avait sous les yeux un exemplaire écrit en cette langue , 
sans que rien lui indiquât dans quel idiome l'ouvrage avait été 
originairement écrit. 

N'est-ce pas à ce livre qu'un Alain a pu devoir le surnom 
d'Hermès Trismégiste (2). La chose est possible, mais le 
pseudo-Hermès passait pour aussi grand philosophe que grand 
alchimiste. Ce surnom a donc pu étre donné à un théologien 
comme à un savant. 


Arithmomachia ou Rhythmomachia ou Rhythmarchia. 


Sous l'un comme sous l'autre titre , il s'agit ici d’un traité 
de calcul ; il faut se garder de voir dans Rhytmomachia, comme 
on en serait tenté, un traité de prosodie. 

Cet ouvage est mentionné sans aucune observation dans le 
Discours général sur l'état des lettres au XIIe siècle, qui 
est inséré dans l'Histoire littéraire de France. Mais la notice 
spéciale de D. Brial sur Alain au même recueil n’en fait plus 
mention (3) Plusieurs manuscrits des grandes bibliothèques , 
à Paris notamment, portent ce litre ; on les à attribués à Ger- 
bert parfois, parfois aussi avec plus de vraisemblance à 
Hermann Contract qui, au rapport de Trithème, a bien com- 
posé un livre sous ce nom , mais on ne voit nulle part qu'on 
l'ait attribué à Alain. 


(1) Voir ci-dessus, page 41 ce que Demster et Trithème ont dit d’un Alain 
mort en Allemagne. 


(?) Conf. ce que nous avons dit d'Alain Porret, page 59. 


(3) Histoire littéraire de France, tome XIII, page 113. et tome XIV, 
page 308. | 


— 109 — 


XXX. De accusationibus, inquisitionibus et denuntiationi- 
De bus (1). 
accusativ- 


nibus. 


‘ . Cet ouvrage est inconnu. D. Brial , égaré par le système que 
FE nous avons fait connaître, a voulu voir ici une narration des 
cet écrit. attaques et des dénonciations auxquelles Alain, abbé de 
Tewkesbury, avait été en butte. Mais tous ceux qui se sont 
occupés de jurisprudence ÿ reconnaîtroñt une matière souvent 
traitée. Il y a dans tous les ouvrages de droit canon , et notam- 
ment dans les Décrétales, un chapitre sous ce même titre qui 
a pour objet l'introduction de la procédure criminelle , les 
divers modes de mettre en jugement. On sait que l'étude du 
droit canon prit un grand développement après l'apparition du 
décret de Gratien (1151). Un homme aussi universel qu'Alain 
devait naturellement s'en être occupé (2). Cependant il y eut 
un Alain, jurisconsulte à Bologne au XIIL° siècle, auquel on 

donna aussi le nom de Docteur universel (3). 


XX XI. De simonia , de hæresi et matrimonio !4). 
De 
simonia. Nous n'avons eu aucune occasion de voir ce manuscrit , et 
Manuscrit. 


(1) De accusationibus, inquisitionibus et denontiationibus. Sanderus, 
1, c. 


Certains vers de l’Anticlaudien le prouvent : 


Jus nostrum pax surripiet quod tempore tante 
Defendens nobis prescriptio vindicat, usus 
Confert et justo titulo collata tuetur. 


Peut-on mieux employer les terimes propres ? 


(3) Voyez Biogranhie universelle de Michaud. 


(4) Alan (de Insulis)tractatus de simonia, de hærest et matrimonio 
(groniam ut ait Jeronimus, pour le prologue), divisé en quatre parties. 
Manuscrit in-8o sur parchemin, du X1116 siècle, provenant de la biblio- 
thèque de Bouhier, aujourd’hui dans celle de Troyes, n0 1930, relié avec un 
traité anonyme (incerli de criminibus ecclesiasticis et alits liber), qui pa- 
rait avoir de grands rapports avec le précédent et le même /ncipit notam- 
ment. Catal, des manuse. des biblioth. des départements, t. 1], p. 795. 


XXXII. 
Quodlibeta 


XXXIIL 
Dialogi. 


XXXIV. 
Epistolæ. 


— 110 — 


d'examiner s'il est bien du Docteur universel. Aucun auteur 
jusqu'à présent ne le lui a attribué. 

Dans le Liber penitentialis, Alain a traité en quelques 
mots cette matière (1) .Peut-être n'est-ce aussi qu'un extrait de 
différents ouvrages du Docteur universel. 


Quodlibela (2). 


Ce genre d'ouvrages dont on a tant abusé dans les deux 
siècles qui ont suivi l'époque d'Alain de Lille, était bien moins 
usité de son temps. On sait qu'on traitait sous ce titre des 
questions particulières, des sortes de thèses, le plus souvent 
relatives à la théologie. | 

L'Histoire littéraire de France , sans grande raison , ÿ croit 
retrouver le Dictionarium theologicum. 


Dialogi (3). 
Epistole (4). 


Ces ouvrages sont perdus et il est impossible de détenniner 
à quelles matières ils s’appliquaient particulièrement. 

Oudin cite des épîtres manuscriles qui se trouvaient à la 
bibliothèque de Cambridge(Cantabrigeæ ) sous le nom d’Alain; 
mais il ne savait si elles appartenaient au nôtre on à Alain de 
Tewkesbury. Elles sont de ce dernier et ont été publiées par 
M. Gilles (5). Il est singulier que D. Brial ne les ait pas men- 


(1) Edition De Visch, page 190. 

(2) Quodlibeta cité par Trithème. I. c. 

(3) Dialogi aliquot, mentionnés par Sander, L. c. 
(4) Epistolæ ad diversos, lib. {, mentionné par Trithème, L. ce. 


(5) À la suite des épitres de saint Thomas de Cantorbéry. Voyez ci-des- 
sus, page 58, note 2. 


— All — 


tionnées , lui qui prétend confondre cet Alain avec le Docteur 
universel. | 

Nous arrivons enfin aux poésies, l’une des plus grandes 
préoccupations d'Alain. Nous trouvons d’abord un traité didac- 
tique : 


XXXV De ratione metrorum et syllabarum (1). 
De ratione 


metrorum. Ceci est évidemment une sorte d'art poétique , mais ce livre 
ne nous est pas connu. 
Viennent ensuite les grands poèmes , d’abord : 


XXXVI.  L'Anticlaudianus seu de officio viri bont et perfecti seu 
Anticlau- Encyclopedia (2). 


dianus. 
Les manuscrits en sont répandus en foule dans toute l'Europe. 
La Bibliothèque impériale à elle seule en compte sept , ce qui 
n'a rien d'étonnant puisque ce poème était classique aux XII 
et XII siècles. 

Editions, Il a été imprimé séparément un grand nombre de fois. Oudin, 
Fabricius , l'Histoire littéraire ont prétendu donner la suite des 
éditions, mais leurs recherches n’ont point amené un résultat 
précis ni concordant. N'espérant pas faire mieux , nous repro- 
duirons leurs indications. | 

Bâle , plusieurs fois ; celle de 1536, H. Petrus, citée par 
l'Histoire littéraire comme la première ne la serait pas , si l’on 
en croit Fabricius. | 

Venise, 1582. Combeis sumptibus, in-1 2. 

Anvers. 1611. in-8°, mauvaise édition très confuse.— 1621. 
J. Trognaesius, celles-ci rapportées par Fabricius, qui ne donne 


(14) De ratione retrorum et syllabarum, mentionné par Barthius. Com- 
mentaria in Guil. Britonis Philippid, p. 200. 1 l'avait vu manuscrit à la 
bibliothèque de Bâle, où il paraît n'être plus aujourd’hui d'après les rensei- 
gnements que nous avons pris. 


(2) Anticlaudianus, cité par Othon de S. Blaise, Albéric de trois Fon- 
taines, Henri de Gand, Trithème, 1. c., Eberhard de Béthune, dans son cé- 
lébre Græcismus, le vante aussi. Voyez plus haut, page 45, note 3. 


Date. 


= Mo 


pas celle de 1625 , marquée par l'Histoire littéraire. Enfin, 
1654, citée par Legrand d'Aussy à peu près seul {1). 

De Visch avait rectifié ces dernières éditions d’après quel- 
ques manuscrits. La Patrologie l'a suivi. Leyser a donné les 
variantes du premier chant et montré combien heureusement, 
on pouvait encore corriger le texte de De Visch (2). Fabricius 
rapporte que Ritterhusius avait annoté tout ce poème , mais ce 
travail paraît perdu. 

Ce poème a été traduit et commenté plus d'une fois, comme 
nous aurons occasion de le dire plus loin. 

On croit trouver dans quelques vers une critique dirigée 
contre Gauthier de Châtillon, auteur de l'Alexandréïde, qui se- 
rait ici désigné sous le nom de Mævius. L’Anticlaudianus aurait 
donc été écrit postérieurement à 1175 {3). Mais ces vers que 
voici : 

| ; . Illic 
Mævius in cœlos audens os ponere mutum, 
‘Gesta ducis Macedum tenebrosi carminis umbra 
Pingere dum tentat , in primo limine fessus 
Hæret et ignavam queritur torpescere musam. 
peuvent s’appliquer à bien d'autres auteurs de cette période 
toute remplie des souvenirs macédoniens. 


LS 


(4; Legrand d'Aussy. Notices des manuscrits, vol, V. Les éditions les 
plus connues sont celles de Bâle, 14536, Venise, 1582, Anvers, 4611. Ces 
deux dernières sont à la bibliothèque impériale. Catalogue des livres impri- 
més de la bibliothèque du roi. Paris, 4750, AV, p. 397. 


(2) Leyser. ist, poet. et poemat. medit ævi, Voici le titre donné par 
De Visch : Anticlaudianus sire de officio viri, boni et perfecti YUX).0- 
ruudeLXY universam et cunctas res humanas et divinas complectens (cum 
fulminis impetu et après le prologue en prose : Authoris mendico stylum et 
enfin après le prologue en vers. : ut sibi juncta magis). Anticlaudiani 
libri IX complectentes xv#}0740exY universam, dit l'édition de Venise. 
— Cryclopediæ Anticlaudiani seu de officio viri boni, lib, TX, dit celle 
d'Anvers. 


© (8) Gauthier dit de Châtillon, parce qu'il y avait enseigné, était né à 
Lille comme Alain. Ïl dédia son poème à Guillaume, archevêque de Reims, 
qui occupa ce siège de 1175 à 1202. | 


Nature 
de 
l'ouvrage. 


Apprécia- 


tions. 


== joe 


On prétend que Gauthier répondit par ces autres vers : 


s 


Mævius immerito, te judice, dicor, Alane, 
Judice me, Bavius diceris et merito. 


Il semble d'abord bizarre qu'un poème puisse contenir une 
réponse à une critique dont il aurait été l'objet. Mais cela prou- 
verait tout au plus que cet ouvrage a été publié en deux fois, ce 
quesemblent du reste indiquer ces mots d'Alain : In primo limine 
fessushæret, tandis que l'Alexandréïde est pour nous un ouvrage 
achevé. Ce qui prouve que la réponse est postérieure au poème, 
c'est qu'elle est sous forme de distique , ce qui ne peut entrer 
dans une suite d'alexandrins. 

Lamonnoye pense que c'est le neveu de Gauthier qui revit 
son poème et y ajouta ces vers ; mais il n’en donne aucune rai: 
son sérieuse (1). 

L'anticlaudien est écrit en hexamètres ( carmine heroïco A 
divisé en neuf livres ou chants partagés eux-mêmes en chapitres. 

Nous en avons donné ci-dessus une analyse suffisante. Ceux 
qui voudraient en voir une exposition plus complète la trouveront 
dans Legrand d'Aussy et dans Jourdain (2). 

Cet ouvrage a été apprécié très diversement. Barthius a gé- 
néralement rendu justice à sa correction et à son imagination. (3) 


(4) Lamonnoye. Jugements des savants, t. IV, p. 261. C'est la révision 
qu’il fit de l'ouvrage de Baillet. 


(2) Legrand d’Aussy. Notices sur les manuse, de la biblioth. Roy. tome 
V. Voyez ci-après, page 121. — Jourdain. Recherches sur l’âge des traduc . 
latines d'Aristote. 


(3) Adversariorum, lib. VII, cap. II.--Notes sur Guillaume-le-Breton.— 
Animadvers. ad Pappirit Statii T'hebaïd, page 401, — Les apprécia- 
tions d'Alain dans ces derniers ouvrages sont presque contralictoires ; ce- 
pendant elles sont souvent très-favorables: 4lcnus ab Insulis,dit-ildansle pre- 
mier, homo ingenit admirandi et poeticis etiam litteris eo tempore nulli 
comparabilis. | 


— 114 — 


Duboulay reprend Giraldus qui avait accusé l'Anticlaudien d'in- 
correction {1}. Baillet a porté deux jugements sur le même 
poème (2). Dans le premier il parle « du galimatias double, 
» du chaos presqu'impénétrable de cet ouvrage où l'on voit ce- 
» pendant assez clair pour y reconnaître un sophiste qui a 
» voulu faire usage de toutes les subtilités scholastiques. Ce 
» sont de grands vers enveloppés dans des obscurités recher- 
» chées au travers desquelles on aperçoit qu'il a voulu parler 
» dela Providence contre Claudien , qui a fait semblant d'en 
» douter. » 

Baillet reconnaît cependant « de l'énergie , de l'imagination, 
» qui eussent fait merveille avec un peu de cette critique dont 
+ les deux derniers siècles ont été éclairés. » Voilà le mot de 
ce jugement. Alain est de cette barbarie antérieure aux deux 
siècles qui savent seuls ce que c'est que le goût. C'est souvent 
ainsi que juge le XVIII' siècle, c'est toujours ainsi que juge 
Baillet. 11 faut vraiment ou n’avoir pas lu ce poème ou n'avoir 
pas le plus simple élément d’études sérieuses pour trouver la 
moindre obscurité dans cet ouvrage. Aussi, l'ayant parcouru 
plus tard , bien rapidement'sans doute , puisqu'il dit qu'on y 
parle de morale , de mathématiques et surtout de théologie, 
sans remarquer l’enchaînement de ces sciences, mais l'ayant au 
moins parcouru, Baillet est revenu de son opinion et a cru de- 
voir se disculper de ce changement en disant « qu'Alain avait 
» traité son sujet d'une manière scholastique qui l'a fait quel- 
» quefois considérer par quelques critiques comme un adroit 
» sophiste. » 

Leyser, ainsi que Christ. Heindrich en avaient parléen meil- 
leurs termes (3). Legrand d’Aussy juge l'auteur latin , qu'il ne 


(1) Bulœus. Hist, universit. parisiens, — Giraldus : Dialog. de poetis. 
(2) Jugements des savants, t. 1v, et Satires personnelles : anti. t. VII. 


(3) Chr. Heindric. Pandecta Brandeburgiæ-Leyser. Hist. poet. et 


poem. meduii œvi. : 


Lo 115 épram 


connaissait que d'après une traduction française , et dit que ce 
poème ne serait plus goûté aujourd’hui , mais que pour son 
temps il étonne (1). 

L'Histoire littéraire de France s'est elle-même laissée aller au 
dédain de tout ce qui précède le grand siècle (2). Jourdain a 
plus sainement apprécié Alain , parce que comme Barthius , il 
l'avait étudié (3). 

Ceux donc qui ont parlé d'Alain avec dédain ont eu le grand 
tort de le comparer aux écrivains du siècle d'Auguste. En quel- 
que chose, il est vrai, il suit les traces de l’épopée antique, 
mais c'est plutôt de l'épopée des dernières époques de la litté- 
rature latine. Le conseil que tient la Nature , le discours des 
divinités , le portrait détaillé de chacune d'elles , la description 
du palais de la Nature , celle des cieux et de l'empyrée, le dé- 
nombrement de la milice infernale, le tableau du combat , enfin 
la description du monde sous le règne de la Paix sont des imi- 
tations flagrantes des poèmes latins surtout de la Pharsale et 
du Contra Rufinum , où les divinités allégoriques jouent déjà 
un rôle considérable. Mais Alain va plus loin encore , et semble 
plutôt avoir pris pour maître Martianu$s Capella ; les hommes 
s'effacent tout à fait chez lui et les divinités allégoriques occu 
pent seules la scène el en excluent les personnages réels (4). 


3 


(14) Legrand d’Aussy. Notices sur les manusc, de Ja bibl. du roy, t. V, 
p. 5846. Au même vol., p. 419$. Legrand conclut d'un passage de la bataille 
des sept arts qu’Alain était enseigné comme poète dans les écoles. Les rai- 
sons sont peu solides, mais Îe fait paraît vrai. La bataille des sept arts est, 
comme on sait, un poème cousacré à représent:r allégoriquenient la lutte de 
la Logique, seule maîtresse à Paris, et de la Rhétorique qui régnait eucore à 


Orléans. 
(2) Hist. lit. de France, 1. c. D Brial. 
(3) Recherches critiques sur l’âge des traductions d'Aristote, I. e. 


(4) Conf. les Nuptie Mercurii et Philologiæ de cet auteur, si célèbre au 
moxen-âge. 


fmitation 


d'Adam | 


de 


La Bassée. 


Vic 
de 


cet auteur. 


Nature 
‘de cette 
nnitation 


— 116 — 


Nous avons parlé des imitations dont ce poème avait été 
l'objet. La plus importante est celle d'Adam de La Bassée. 

Sander et De Visch sont les seuls historiens qui nous donnent 
quelques renseignements sur cet auteur (1). C'était suivant eux 
un chanoine du chapitre de Saint-Pierre, de Lille, né à La 
Bassée (commune voisine de cette ville). Il y a dans Fabricius 
trois pages consacrées aux écrivains du nom d'Adam, mais ce- 
lui-ci n'y est pas compris. 

Cette imitation est très peu connue, très rare, car ni la biblio- 
thèque impériale, ni la bibliothèque des ducs de Bourgogne, 
niles autres grandes bibliothèques d'Europe n’en possèdent 
d'exemplaires. Elle mérite donc d’être appréciée avec soin. Elle 
est écrite sous cette forme qu'on appelait prose au moyen- 
âge, en vers de douze syllabes , rimés au milieu et à la fin, qui 
semblent comporter un accent, mais ne sont nullement scandés. 
Elle est avec raison intitulée Ludus, Délassement, car c’est une 
œuvre de pur caprice (2). L'auteur nous apprend que l'ennui, 
l’absence de toute distraction l'ont porté à glaner dans le champ 
si riche d'Alain , espérant y trouver le bonheur comme Ruth 
dans celui de Booz; mais ce n'est pas là glaner , c’est imiter 
textuellement. Même sujet, même cadre , mêmes développe- 
ments , mêmes expressions souvent transportées de vers hexa- 
mètres en prose rimée , voilà l'œuvre d'Adam. Nous n avons 
remarqué de modifications que les suivantes : Ce n'est pas la 


théologie , mais l'intelligence {noys) qui conduit l'âme à Dieu. 


mens 


(1) Sanderus. Descriptio Flandriæ et bibliotheca Belgica.—De Visch, 


bibliotheca ordinis cisterciensis. — Fabricius. Biblioth. mediæ et infimæ 
latinitatis. 


(2) Ludus Adæ de Basseya canonici insulensis super Anticlaudianum 
(solet dici quia). La bibliothèque de Lille en possède un magnifique exem- 
plaire sur vélin, in-folio, écriture du XIV® siècle, à deux colonnes, prove- 
nant du chapitre de St-Pierre de Lille. 


— 117 — 


Alain n'avait pas nommé la Théologie, mais il était facile de la 
reconnaître , et De Visch ne s'y était pas trompé (1). Doit-on 
croire qu'une vue philosophique ait conduit Adam à ce chan- 
gement? Rien dans le texte de l'ouvrage ne l'indique et nous 
croirions volontiers que le nom seul a effrayé le poète. Nous 
avons remarqué en second lieu que la Pauvreté n'est plus comp- 
tée au nombre des milices infernales ; tout l'ouvrage est d’ailleurs 
d'une touche morale plus épurée. C'est l'Anticlaudianus réduit- 
à l'usage des gens du monde, expurgé dans sa morale et son ap- 
pareil scientifique, car ce qui y concerne les études scholastiques 
y est presque nul.Quant aux additions elles sont peu nombreuses: 
une plus ample description de l'extérieur et des vêtements de 
la Nature puisée dans le De Planctu, un dialogue assez piquant 
cutre la Chair et l'Esprit au sujet du rôle de la Raison , une 
chaude diatribe contre les vices des moines , une sorte de mé- 
ditation ‘sur les revers de la fortune, enfin, pour terminer l'ou- 
vrage, l'éloge de la vie religieuse"à laquelle se voue le héros, 
principalement des cantiques notés sur des airs populaires de ce 


_ 


temps et semés partout où ils pouvaient trouver place , voilà 

ce qu'Adam a cru pouvoir ajouter à l'œuvre d'Alain. Le style 

est bien moins poétique , bien moins vivant que celui du mo 
dèle. C’est en un mot une œuvre secondaire. 

Date. Sander, Leyser et d'autres fixent la date de cette imitation 
au XVe siècle, vers 1400; nous crovons qu'elle doit être 
reportée plus d'un siècle auparavar!. 

Nous venons de citer parmi les additions d'Alain, un dialo- 
gue sur les revers de la fortune. En effet, quand la Noblesse 
vient réclamer en faveur de l’homme nouveau les dons de sa 
mère la Fortune , elle la trouve occupée à écouter ct à tourner 
en dérision les plaintes de Pierre de la Brosse ( Petrus de 


(1} Indications marginales de son édition. 


— 118 — 


Clepsedra), précipité de sa haute position au pied du gibet. 
Là sont énumérés divers jeux de la fortune, les revers d'un 
Bertrand qui visa au pouvoir duns les Flandres, dont il 
se prétendait seigneur, d'un Simon qui recherchait le pou- 
voir supréme en Angleterre. 

Ce Bertramus (1) doit être Bertrand de Rains, le faux Baudouin 
qui fut exécuté en 1235 , et Simo doit être Simon de Montfort, 
comte de Leicester , défait et tué sous Henry III en 1265. La 
condamnation de Pierre de La Brosse est de 1278, et vraisem- 
blablement ces événements étaient assez présents pour occuper 
les esprits lorsqu'Adam crut devoir en parler de préférence à 
tous autres. Il écrivait donc vers la fin du XII siècle , tout au 
plus vers le commencement du XIV®, et les sentiments tristes et 
recueillis du prologue nous portent à penser qu'il n’était plus 
jeune lorsqu'il l’a composé. 

M. Le Gilay, conservateur des archives du département du 
Nord, a trouvé dans le dépôt qu'il administre un document 
qui confirme ces inductions tirées par nous du contenu même du 
livre (2). | 

L'Histoire littéraire de France indique un autre commentaire 
ou une autre imitation de l'Anticlaudien composée par un reli- 
gieux anglais du nom de Raoul de Longchamp (3). 


(4j Sic ruit flandrentium cupidus honorum 
Bertramus se dominum simulans illorum 
Symon que dominium ambiens anglorum. 

(2) Mémoire sur les archives du chapitre de St-Pierre de Lille, par M. le 
docteur Le Glay, Lille, Danel, 1856, extrait des mémoires de la Société des 
sciences de Lille, deuxième série, vol. IT, p. 153. Un titre de 1305 parle 
du canone (chanoine) Adam de la Bassée comme mort récemment, p. 18. 
M. l'abbé Carnel, auteur d'un remarquable travail sur les morceaux de 
musique contenus en cet ouvrage, a complété ces recherches d'aprés des titres 
également trouvés aux archives de la collégiale de St-Pierre et fixé la mort 
d'Adam à 1280. Voyez chants liturgiques d'Ad:m de la Bassée , chinoine de 
la collégiale de St.-Pierre, à Lille, au XU siècle, publiés par l'abbé D. Carnel, 
Gand. 1858 , in-8.° 

(8) D. Brial, |. c. 


Glose 
de Raoul 


— 119 — 


_ Cette glose assez répandue porte en effet le nom de Radul. 
phus de Longo-Campo, Alano olim familiaris {4). On sait 


Lies peu de choses de la vie de ce religieux, moine de l'ordre de 


Biographie 
de 


Cîteaux , connu surtout par son goût pour l'instruction qui lui 
fit entreprendre de longs voyages (2). On ne savait vers quelle 


cet auteur. époque fixer sa vie, mais cette circonstance qu'il avait été 


Aperçu 
de cette 
glose. 


ami d'Alain {olim familiaris) peut maintenant apaiser sur ce 
point. | | 

Ce commentaire a en effet un caractère très-scientifique et 
paraît bien émaner d'un hgmme aussi curieux et aussi avide de 
counaissances que Raoul de Longchamps. Là où Aldin a retracé 
en quelques vers l’abrégé du Trivium et du Quadrivium, le 
glosateur entre dans de longues explications au niveau du savoir 
de son temps. 

Quand donc Montfaucon cite un ouvrage de cet auteur dont 
le titre manque, mais qui, dit-il, parle de toutes les choses, 
tant corporelles qu'incorporelles , il est permis de penser que 
c'est le commentaire de l'Encyclopédie d'Alain ({ cunctas res 
divinas et humanas continens, dit une édition } (3). 


—— 


(4) Elle se trouve à Oxford (biblioth. du collége de Bailleul) d'après 


- Montfaucon et à la biblioth. de l'Escurial d’après Haenel. Elle est deux fois à 


la biblioth. impériale de Paris, anonyme, dans un très beau manuscrit sur 
parchemin, du fonds Colbert, sous le no vitr MCCCI. Compendium Anticlau- 
diani ad modum khistoriæ translatum sequitur (Magister Alanus peritus 
quidem in multis scientiis), puis dans un manuscrit du XIIIe siècle, sur 
parchemin, sans origine indiquée, sous le n0 vu MLXXXIII, en tête la 
mention : Alanide Insulis Anticlaudianus, accedit Radulphi de Longo 
Campo, Alano olim familiaris, commentarius, Le commencement en est 
illisible, vient ensuite une sorte de préface : Licet equidem hujus libri qui 
Anticlaudianus inscribitur altitudinem, puis une seconde : Zn principio 
hujus voluminis primo videndum est. 

(2) Conf. Pisteus in appendic., cap. 69. — Balæus. Centur. XII, 13. 
— De Visch. Biblioth. ordinis cistercens, p.283. — Fabricius. Biblio. 
mediæ et infimæ latinitatis. 

(3) Montfaucon. Bibliothec. bibliothecarum, t, 1], p. 1259, - C'est un 
manuscrit Ju monastère de Lyra (diocèse d'Evreux). 


Confisions 
dont elle 
a été 
l'objet 


Glose 
de Gilbert 


d'Auxerre. 


— 190 — 


N est singulier cependant que Leyser et l'Histoire littéraire 
de France donnent pour éncipit à ce commentaire de Raoul 
de Longchamps des mots qui ne s'y trouvent justement pas, 
mais qui figurent dans les commentaires d'autres auteurs dont 
nous allons parler (1). Ce même incipit se trouve dans l'édition 
de De Visch en tête d'un sommaire anonvme de l’Anticlaudien. 
D. Brial ne l’a pas remarqué. 

Ce sommaire n’a du reste rien d'intéressant. L'analyse du 
poème y est très-incomplète , et l'esprit n’en est guères indiqué. 

On cite encore une glose de Gilbert d'Auxerre, auteur fort 
peu connu (2). Fille embrasse tout l'ouvrage, mais est peu 
importante , se bornant à quelques mots sur les passages jugés 
difficiles ou remarquables (3). En tête se trouve deux fois 
répété le sommaire de l'édition De Visch (4). 


(4) Leyser, Hist. poetar. et poemat. medii œri. Histoire litt. de France, 
l. c. Cet Zncipit est : Quia in hoc opere. Dans cet ouvrage, dit-il, il y a 
neuf chants, parce que les quatre artisans de l’homme : Dieu, la nature, la 
fortune, le vice, contribuent en neuf manières à sa création, en esprit, en 
matière, etc., etc. 


(2) On ne trouve qu'un Gilbert, anglais, chanoine d'Auxerre, puis évèque 
de Londres, surnommé l'Uriversel, célèbre glossateur, mais il mourut en 
1134, ce qui ne laisse pas croire qu'il ait pu connaître un livre d'Alain. Pas 
un autre Gilbert ne porte le titre d'Auxerre, mais il est un Jeoffroy (Galfri- 
dus) qui, élève d’Abeilard, quitta son maître pour suivre St.-Bernard à Clair- 
vaux et qui vécut Jusqu'en 1215. Il est plusieurs Guillaume , un professeur 
à Paris, deux évêques de la même capitale, un archidiacre de Beauvais, qui 
tous portaient le nom d'Auxerre, et auxquels, grâce à leur savoir, on serait 
tenté d'attribuer cette glose, les confusions de noms étaient si fréquentes à 
cette epoque, 


(3) Manuscrit de la biblioth. impériale, no vus MCCXCIX, dont la pro- 
venance n'est pas indiquée : _/{lani de Insulis anticlaudianus. Accedunt 
Gilberti  Allissidiorensis glosæ, XVe siècle. Ce m:nuscrit comprend 
d'autres ouvrages de divers auteurs. 


(&) Quia in hoc opere agitur. Voir la nute 1 ei-dessus, 


Glose 
de Robert 


Sorbon. 


Imitation 
en francais. 


— 121 — 


On en attribue encore une au célèbre Robert Sorbon (1). 
Les gloses sont interlinéaires et marginales , plus courte; en- 
core que les précédentes , surtout vers la fin de l'ouvrage et ne 
donnent que de simples indications. 

La vie de Sorbon est trop connue pour qu'il en soit parlé 
ici; aucun bibliographe, que nous sachions, ne lui attribue 
ce livre. 

Il existe encore sans doute d'autres commentaires d'après 
les indications de divers catalogues , mais ils ne sont pas venus 
à notre connaissance. 

Legrand d'Aussy a signalé une traduction ou plutôt une imi- 
tation en vers français de ce poème (2). Il en donne une ample 
analyse et vante beaucoup la facilité de la versification qui ne 
manque pas d'une certaine élégance. 

Nous y trouvons bien des rapports avec le Ludus d'Adam de 
La Bassée. 11 y a aussi beaucoup de chansons , un portrait de 
la nature tiré du De Planctu. Noys ou Sophia y prend aussi la 
place de Prudentia. Il semble enfin que l'un des imitateurs ait 


(4) Manuscrit de la bibliothèque impériale, no wir MCCC sur papier, écri- 
ture du XVe siècle, acquisition nouvelle : Zncipit glosa magistri Robert: 
de Sorbona. On y trouve encore en tête le sommaire de l'édition De Visch 
(quia in hoc opere). A la fin se liseut ces vers qui sont aussi dans le manu- 
scrit de Gilbert d'Auxerre : 


Ut rosa flos florum : sic est liber iste librorum 
Metra modernorum superans et metra priorurm ; 
Vernat enim florum specie cultuque colorum , 
Plenus sanctorun doctrinis philosophorum. 


(2) Labbe , dans sa Bibliothera manuscripta , 1. c. et De Visch dans 
sa bibliothèque de Citeaux, 1. c., en avaient déjà fait mention, La note de 
Legrand d'Aussy se trouve daus les notices et extraits des manuscrits de la 
bibliothèque nationale, publiée par l'Institut, t. V(an VI), p. 546 : Notice 
sur un poème intitulé l'Anticlaudien , n° 7632, velin , f.° p.e qui parait 
avoir fait partie de la bibliothèque de Charles V ou de son fils Charles VT. 


— 122 — 


eu connaissance du travail de l'autre; maislequel est le premier, 
c'est ce que nous ne pouvons savoir , Legrand d'Aussy n'ayant 
pas pris soin de préciser la date de l'ouvrage qu'il avait sous 
les yeux. 

À la fin de ce livre, contrairement à l'ouvrage d'Alain, le 
héros se retire dans un monastère nommé Conscience. Cette 
observation et quelques autres aussi légères font penser à 
Legrand d'Aussy que l'auteur de cette traduction est un moine 
franciscain. 


XXXVU. De planctu seu de conquestu naturæ seu Enchiridion de 


DePlanctu naturis rerum seu contra vitium Sodomie (1). 
naluræe. 


Éditions. On croyait universellement cet ouvrage inédit, à tel point 


que De Visch lui-même s'est servi de manuscrits pour sa repro- 
duction ; pourtant, Hain en avait eu une édition sous les 
yeux-(2). La Patrologie a suivi De Visch, cependant Leyser 
avait reproduit avec d'heureuses corrections quelques poésies 
extraites de ce livre (3). 

Ana'se. Ce poème en prose mêlé de vers de différents rhythmes a eu 
quelque célébrité (4). Nous en avons donné dans l'introduction 


nn dm 


(4) De planctu naturæ, cité par Henri de Gand et Trithème, 1. c.. De 
Conquestu ou même De Conquestione naturæ, divers manuscrits, De na- 
tura et virtutibus necnon de complanctu naturæ. Manusc. de l1 biblioth. 
de l’école de médecine de Montpellier. 7'ractatus contra vitium Sodomiæ, 
D’autres manuscrits. Enchiridion de naturis rerum, D'autres encore, (Zn la- 
crymas risus). | 


(2) Hain. Repertorium bibliographicum, il cite : De planctu naturæ 
Lyptzik (sic) per ÆArnoldum Coloniensem. Anno gratiæ ; 1498, in-40. 
Sentfleb, dans son excellente édition des Paraboles d'Alain (voir ci-après, 
page 131, la mentionnait déjà, 


(3) Leyser. ist. poet, med, ævi, p. 1045. 


(&) Robert Helkot, auteur estimé du XIVe siècle, cite dans ses Lectiones 
in sapientiam, cap. X, ce poème avec grands éloges. 


— 123 — 


une analyse suffisante, d'autant plus que l’auteur n'a pas été: 
toujours fidèle à sa promesse d'embaumer dans le miel des 
paroles l'indignité des idées. {(Vitiosum fœtorem imbalsamare 
mellifluo) (1). 

Léon Allatius , au témoignage de De Visch et de Leyser, se 
proposait de commenter cet ouvrage. Son travail n'a pas vu le 
jour. Il en est de même de celui d'Henri Muhlphort , dont parle 
Sentfleb (2). | 

Simler ne pensait pas que ce livre fût de notre Alain , mais 
il ne donne aucune raison qui puisse infirmer les nombreux ma- 
nuscrits et le témoignage de Trithème (3). 


xxxvuxL /n Apocalypsim (4). 
In 
Apoca- Un manuscrit de la Bibliothèque impériale attribue à Alain 


lypsim. des vers sous ce titre qui sont en effet dans son goût et sa ma- 
ee nière. On y retrouve son vaste savoir, ses allusions relatives à 
de tous les arts, ses appréciations sagaces de divers philosophes, 
ce livre, et enfin un sujet analogue à celui du De Planctu, puisqu'il 
s’agit encore d'une apparition de la Nature au poète. Quant à 
l'interprétation de l'Apocalypse , elle tient peu de place , les 

vices du temps en occupent beaucoup plus. 


D'autres manuscrits attribuent ces mêmes vers à Gauthier 


(1) Voir plus haut, page 12, notre analyse. 
(2) De Visch, Leyser, Sentfleb, 1. ce. 
(3) ÆEpitom. biblioth. Conrad. Gessneri. 


) 

(&) In Apocalypsim (a tauro torrida lampade cinthii), Il n'est cité nulle 
part, Nous l'avons trouvé manuscrit à la bibliothèque impériale sous le 
no 111 MCCLX VIII, faisaut partie d'un volume sur papier qui conlieut divers 
ouvrages et provient du fonds Colbert, écriture du X Ve siècle. 


XXXIX. 


Oculus 


moralis. 


_— 424 — | 


Map, et ils se trouvent en effet dans les recueils de ce célèbre 
auteur. On les a même imprimés sous son nom (1). 

C'est ce qui paraît en cffet le plus vraisemblable. Aucun des 
contemporains d'Alain de Lille ne lui attribue un pareil ouvrage. 
Trithème lui-même ne cite rien qui ait le moindre rapport avec 
ce livre , et bien qu'on trouve quelques caractères qui ont pu 
tromper les collecteurs de manuscrits, cette indignation contre 
lo clergé en général, ces invectives excessives ne sont nulle- 
ment dans les habitudes ni dans l'esprit du docteur universel. 
Nous ne citons donc ces vers qu'à titre de renseignement. 


Oculus moralis (2). 


” Ce poème est resté tout à fait inconnu. Il existe un ouvrage 
en prose portant le même titre qui réside en manuscrit dans 
quelques bibliothèques, mais qui tout aussi érudit que les 
ouvrages d'Alain, paraît postérieur à l'âge de ce philosophe. 
Généralement, dans les livres qui portent ce titre, l'âme est 
comparée à l'œil, l'intelligence à la vision. 

L'Histoire littéraire de France pense que c'est le Liber para- 
bolarum ci-après , mais ne donne pas de raison péremptoire à 
l'appui de son opinion ; Sander et Fabricius au contraire, dis- 
tinguent les deux ouvrages. 


(1) Notamment dans les : De corrupto ecclesiæ statu poemata, publiés par 
Math. Flaccius. Basileæ , 1556. Ils y figurent sous ce titre : Apocalypsin 
Goliæ pontificis super corrupto ecclesiæ statu. Ce Golias est le pseudonyme 
favori de Gauthier Map. Lls figurent de même dans les Lectiones memorabiles 
de Joh. Wolf, 1600. On croit aussi que cette poésie a été imprimée séparé 
ment dès 1540 et 1623. Nous puisons ces détails dans Leyser, hist. poet. 
med. œvi, qui attribue également cet écrit à Map. On l’a aussi attribué à 
Gauthier de Châtillon. 


(2) L'Incipit manque. Ce poème est cité par Fabricius, 1. c. — Sande- 
us, 1. c. | 


— 125 — 


XL. De triplici mundo (1). 
De triplici 
mundo. Autre poème aussi inconnu que le précédent. Le sujet que 


ce titre indique , c’est-à-dire la considération du monde sous un 

triple aspect a été souvent traité par Alain, notamment dans 

le De Planctu (2) et nous ne serions pas surpris que ce titre 

ne couvrit autre chose qu'une reproduction de ce beau passage. 
Voici des œuvres d'une moindre étendue : 


. 


XLI De septem artibus seu de incarnatione Christi (3). 
De septem 
artibus.  [mprimée dans Buzelin et dans Duboulay; reproduite dans 


Éditions. Dé Visch et la Patrologie 4). 
Cette prose, car c'en est une, montre que le Trivium et le 
Quadrivium sont incapables d'expliquer le mystère de l’incar - 
nation. | 


XLIH De natura hominis fluxa (5). 
De natura 


hominis. Publié comme le précédent par Buzelin, Duboulay , De Visch, 
la Patrologie. | 


(4) De triplici mundo (expugnas hÿemem), mentionné par Fabricius, 1. ce. 
— Sanderus, 1, e.— Leyser le cite comme étant manuscrit au couvent de S. 
Martin (Martiniani) , de Louvain, 


+ (2) Natura Alano loquitur, p. 289 et suivantes de l'édition De Visch. 
(3) De septem artibus generalibus quomodo subserviant theologiæ seu 
de incarnatione ('hristi (exeeptivam actionem), citée par Buzelin et Dubou- 
lay, ci-après. 
(&) Buzelinus : Gallo-flandria sacra et profana. Duaci, 1625, lib. I, 
cap. 7, il l’avait trouvé dans un manuscrit de la Flandre. — Bulœus. hist. 
univers. Paris, 1. ce. | 


(5) De natura hominis fluxa (omnis mundi creatura). Elle a été citée 
et rapportée par Buzelin et Duboulay, comme la précédente. 


XLUT: 


Re 


C'est encore une prose, elle examine , comme son titre l'in- 
dique suffisamment , la fragilité de la nature humaine. 


De amore veneris seu virgines et non mulieres ad matri- 


De amore monium ducendas (1). 


veneris. 


XLIV. 
Hymni 
Magda- 


lenæ. 


Publiés par Leyser (2), ces vers ont été omis par les éditeurs 
de la Patrologie. 

C’est encore une prose, le sujet en est aussi suffisamment 
indiqué par le titre. Il avait déjà été traité par Alain à l’avant- 
dernier chapitre du De arte prædicatoria. 


Hymni in laudem sanctæ Magdalenæ (3). 


Ces hymnes qu'aucun historien n'a mentionnées , se trou- 
vent en manuscrit à la Bibliothèque impériale, où nous les 
avons vues. 

C'est toujours une versification remarquable , mais rien de 
particulier qui puisse retenir l'attention. La rime y est employée. 
On peut même se demander si cette poésie, qui n'est men- 
tionnée nulle part, est bien d’Alain, comme l'indique le ma- 
nuscrit par une simple rubrique mise au bas d'une page et por- 
cant la date de L218. Ce manuscrit pourrait peut-être offrir, 
grâce aux additions qui y ont été faites, quelques renseigne- 
ments sur l'époque de sa composition ; mais il est très-confus 
et n'ayant rien de philosophique, il ne nous a pas paru devoir 
arrêter longtemps notre attention. 


(1) De amore veneris seu carmen probans virgines et non mulieres ad 
matrimonium esse ducendas (vix nodosum valeo). 


(2) Leyserus. Historia poetarum medii œvi p. 4092, 4097. 


(3) Hymni in laudem sanctæ magdalenæ (O Maria). Manuscrit sur 
parchemin, provenant de S.Martial de Limoges, portantleno mMCCXX X VII, 
écriture du XIIIS et du XIVe siècles, car il contient plusieurs ouvrages outre 
celui-ci. 


Philomela. 


Rhythmi 


teutonici. 


XLV. 


Parabole. 


Éditions. 


— 127 — 


Philomela (1). 


Ouvrage inconnu, problématique même , que l’on ne peut que 
signaler sans aucune espèce de renseignement. 


Rhythmi teutonici (2). 


# 


Ces vers attribués à un Alain (Alain Porret) ne sont, comme 
nous le verrons, qu’une traduction allemande des Parabole. 


Parabolæ seu doctrinale minus (3). 


Les manuscrits de cet ouvrage fort estimé pendant longtemps 
sont très-nombreux. Les éditions le sont plus encore, mais les 
auteurs qui ont voulu les indiquer, y ont semé beaucoup de 
contradiction et de confusions. Nous allons , en note, relever 


mu me ee RP ee eee ve —m-- 


(4) Alani poete philomela cum cujusdam (ejusdem peut-être), epitaphio 
Manuscrit in-80 de la bibliothèque publique de Bâle. N. VIII, 16 , ainsi 
cité par Haenel. (Catalog. libror. manuscript.) Malgré cette désignation 
circonstanciée, l'indication d'Haenel est erronée. Il n'existe à Bâle aucun ou- 
vrage pareil. 


(2) Alani rhythmi teutonici, manuscrit de la bibliothèque de S. Gall, 
Haenel, p. 703. Voyez ce que nous en avons dit ci-devant page 60 not. et ce 
que nous en disons ci-après page 431. C’est encore une erreur d'Haenel. 


(3) Liber parabolarum seu doctrinale minus (a phæbo phæbe), cité par 
Tritheme, 1. ce. Un manuscrit du XIIIe siècle de la bibliothèque impériale, 
fonds Colbert, n0 IHMCCCLIX, 80, contient les Paraboles sous la désignation 
finale de Doctrina. Trithème donne les règles théologiques, au contraire, 
sous ce titre, Les regulæ celestis vitæ citées par Othon de S. Blaise sont, 
au dire de l'Histoire littéraire, le même ouvrage. Voyez ce que nous en avons 
dit plus haut, page 72, et aussi ce que nous avons dit d’un autre Doctrinale, 
page 89 et 92, en note, Mais nous verrons d’après les titres des éditions 
ci-dessus que ces paraboles elles-mêmes sont tantôt appelées doctrinale 
altum, tantôt doctrinale minus. : 


usé = 


leurs mentions, en les contrôlant par le répertoire de Hain, 
qui seul nous paraît sûr de ce qu'il avance (1). 


(4) Nous suivons ici Oudin, Fabricius, De Visch, l'Histoire littéraire de 
France et Hain (repertorium bibliographicum, T'ubingen, 1826). 


4. Doctrinale altum seu liber parabolarum, gothique, sans aucune dé- 
signation, cité par Hain. 

Chris. Heindric, dans les Pandectæ Brandeburgicæ, indique une édition 
de 4449 dont il ne désigne ni le lieu ni l’imprimeur, c'est sans donte la pré- 
cédente. 


2. Parabolæ philosophicæ seu doctrinale... Daventriæ, cirea scholas 
per Jacob de Bréda, 1492, in-40, Fabricius. Brunet (Manuel du libraire) 
regardait cette édition comme la première. 

3. Autre édition du même, 14494, in-4o, Hain. 


&k Doctrinale altum cum sententis. Daventriæ per Richardum, Paf- 
froet 14495, in-40 souvent citée, 


5. Doctrinale altum seu liber parabolarum, Coloniæ per H. Quentel, 
4497, citée par Fabricius. Est-ce une des deux éditions que Hain donne 
comme n'ayant pas de date, mais du même imprimeur ? Qu'est-ce encore 
qu'un Metricus Alanus in parabolis que cite Fabricius et que Leyser range 
dans les Octo morales ci-après. 


6. Doctrinale minus cum sententiis. Daventriæ, Rich. Paffroet, 1899, 
in-40, Hain. 


7. Doctrinale altum seu liber Parabolarum cum glosis et expositione. 
in-40, Hain. Ce sont ces commentaires que cite Colveneer dans son édition” 
du Bonum universale de apibus, de Thomas de Cantimpré. 

8. Leyser indique encore un Doctrinale de Cologne, 1502. 

9. De Leipsick, 1516, in-40, d’après l'Histoire littéraire de France. 

10. De Lyon en 1536, in-80. 

44. Enfin la bonne édition de Sentfleb : 4lani de Insulis parabolæ et 
ad ejusdem And. Sentflebi, jurisconsult. uratisl. notæ philologicæ 


epusculum posthumum , Uratislaviæ (Breslaw), typis Coleriani, 1663, 
in - 80. 


Si l’on en croit l'Histoire littéraire de France, il en existe encore d'autres 
éditions in-40, sans date, de Caen, de Rouen, de Paris. 


Nous avons dit que ce même ouvrage avait été souvent réimprimé dans un 
recueil intitulé : Octo Morales. Voici ce que nous avons pu en relever : 


Ld 


— 129 — 


Dans le nombre de ces éditions il en est plusieurs où les Pa- 
rabolæ sont réunies à d'autres œuvres analogues, sous ce 


4. Auctores octo morales, editoris Joannis Vicentii Metulini præfatio. 
In-40, sans autre désignation. Hain. | 


2. Idem cum glosa, Lugduni per Johannem de Prato, 1488, in-40, 
Hain. 


3. Idem. Lugduni. Fabri, 1490, in-40. Hain. 

&. Idem. Coloniæ per H. Quentell, 1490, in-40, Hain. 

. Idem. Lugduni, 1491, chezJ. Dupré. 

. Idem (auctores VIIT). Engolismæ, 1494, in-40, Hain. 


7. Octo morales. Lugduni, 1492 ou plutôt Sylvæ morales cum inter- 
* pretatione Ascensii. Hain ne mentionne pas cette édition citée par l'Histoire 
littéraire. 


Qi © 


8. Auctores octo morales cum glosa. Lugduni per Petrum Marescal- 
cum ét Barnab. Claussardum, 1496, in-40. 

9. Uctores (sic) octo. Sans désignation de lieu ni d’imprimeur, 1500. 
Hain. Ou sait malheureusement que le travail de cet auteur s'arrête à cette 
année, Peut-être est-ce l'édition de Cologne ‘que plusieurs biographes attri- 
buent à cette date. 

10, Morales octo. Lyon, 1504, pet. in-fol. Vie de l’auteur, commen- 
taire latin de Mathieu Bonhomme, citée par Fabricius et l'Histoire littéraire. 
De Visch semble, au contraire, croire que cette édition se borne aux para- 
boles d'Alain et ne contient pas les autres moralistes. 

41. Octo morales. Cologne, 1520, pet. in-40, chez M. Bouillon (avec 
commentaire latin) 

11. Enfin deux éditions de 1536, in-80, l’une de Lyon, l’autre de Paris. 
Fabricius. On ne sait pas non plus au juste ce qu’elles contiennent. 


Parmi les versions on cite, en allemand : 

4. Proverbia latine et germanice seu Alanus in proverbiis, sans com- 
mentaire. Hain, sans autre désignation. 

2. Une autre semblable, mais postérieure. Hain. 


3. Proverbia latine et germanice. Lyptzk per Melchior Lotter. anno 
salutis nonagesimo nono, in-80. Hainet Fabricius. 


En français : 
4. Une édition de Lyon, 1428, in-8v, si l'on en croit Leyser qui seul en 
parle. 


9 


Nature 
de 


l'ouvrace. 


Commen- 
taires 
et gloses. 


— 130 — 


titre : Auctores octo morales, compilation qui semble être due 
à un nommé Metulin (1). 

De Visch a reproduit cet ouvrage d'Alain dans son édition ; 
et d'après lui, la Patrologie qui s’est en outre aidée de nom- 
breuses variantes et corrections données par Leyser. Cet auteur 
avait revu en entier et imprimé l'ouvrage d'Alain dans son livre 
sur la Poésie du moyen âge (2). 

Les Paraboles forment un recueil de maximes morales en vers 
élégiaques. Le premier livre contient les pensées résumées en 
deux vers; le second celles qui en ont quatre et ainsi de suite, 
jusqu'au sixième livre qui contient les pensées exprimées en 
douze vers , six disliques. 

Ces paraboles se trouvent eommentées dans quelques ma- 
nuscrits et quelques anciennes éditions (3). La petite glose et la 
vie d'Alain qui y sont jointes paraissent anonymes, mais sont 
attribuées par Henriquez et D'Ionghelle à Mathieu Bonhomme, 
moine de Ctîteaux suivant les uns , imprimeur à Lyon, suivant 
les autres (4). Rien n'indique où ils ont puisé ce renseignement , 
fort acceptable, du reste. 

Ce commentaire tout moral, interprétation prosaïque des 


2. Les Paraboles de maître Alain. Paris, par Anth. Verard, 1499, pet. 
in-lol. goth., figures enluminées (contenant les vers d'Alain, la traduction en 
français, par un anonyme, et une glose du même). Fabricius, Hain et 
Brunet, | | 
3. Idem, Paris, Denis Janot, 1530-1536, pet. in-80 goth. fig. sur bois. 
Fäbricius. Brunet, 


(4) Voyez la note ci-dessus. 
‘2) Hist. poemat. et poet, medii ævi. 


(3) Voyez ci-dessus la liste des éditions, pages 128 et 129 dela note, Voyez, 
enoutre , le manuscrit sur parchemin vi MDCCVII, de la bibliothèque im- 
périale, fonds Colbert, du XVe siècle (iste liber communiter duobus solet 
dici}, où les Paraboles se trouvent réunies aux pièces les plus diverses. 


(4) Heuriquez. Menolog-Jongelinus Notitia abbator. ordinis Cisterciensis, 
Voyez notre note, page 46. 


Traductions 


francaises 
et 


traductions 


allemandes. 
Ehythmi 


teutonici, 


XELVI. 


Gnome. 


— 131 — 


symboles poétiques du texte: ne présente aucun intérêt particu- 
lier. Quant à la vie d'Alain, elle est aussi très-courte et ne 
contient guères que les légendes rapportées par nous dans la 
biographie. 

Sentfleb, dans son édition de 4663 {Breslaw; a joint au texte 
une biographie et des notes philologiques très-érudites. 

Ces paraboles latines ont été traduites en vers français à la 
demande de Charles VIII, dit-on. Elles ont été aussi traduites 
en allemand , et ces versions ont été imprimées (1). 

M. Jac. Wartmann, bibliothécaire de St. -Gall a bien voulu 
nous donner quelques renseignements sur les Rhythmiteutonici 
qu'Haenel avait cités comme étant dans la bibliothèque de cette 
ville. C’est une traduction interlinéaire métrique en un dialecte 
méridional du haut allemand moderne, avec de nombreuses 
gloses latines marginales. Mais elle n'embrasse pas tout l'ou- 
vrage, d'ailleurs mutilé dans cet exemplaire, et parfois elle 
abandonne les vers pour la prose. C'est sans doute l'ébauche 
d'une de ces traductions allemandes imprimées que nous avons 
citées en note d'après Hain (2). 

On peut juger par cette quantité d'éditions, traductions et 
gloses, de la célébrité de ce poème, dans lequel se trouvent 
en effet de fort jolis vers, de très-belles pensées très-bien 
énoncées, mais l’ensemble en est fort inégal. 


Gnomæ (3). 


Un extrait a été publié par Barthius d'après un manuscrit 
quil avait entre les mains {4}. Le reste est inconnu. 


(1) Conf. Duverdier. Bibliothèque de ceux qui ont écrit en français 
d'après la Bibliotheca de Conrad Gessner. — De Visch, Biblioth. script. 
ordinis cisterc. — Fabricius, 1. c. — Leyser, 1. c. 


(2) Ci-devant page129, la note. 
(3) Gnomarum lib. IX, cité par Barthius. 


(&) Barthius Adversariorum commentariorum libri sexaginta, lib. XX X] 


Resume. 


—.132 — 


Ce n'est qu'un choix fait par Alain des poésies gnomiques de 
divers auteurs relatives surtout aux Vertus et aux Vices. C'est 
donc un recueil sans originalité et sans intérêt, une sorte d'é- 
dilion faite par le docteur universel de poésies qui lui plai- 
saient , peut-être une préparation à ses Paraboles. Celles que 
Barthius a publiées sont extraites d’un poète inconnu appelé 
Othon, fort remarquable du reste. 

Voilà tout ce que nous avons pu relever d'ouvrages attribués 
à Alain en écartant ce qui revient à l'évêque d'Auxerre et à 
l'abbé de Tewkesbury (1). Nous en avons encore sans doute 
amis un certain nombre, car l'œuvre d'Alain paraît aussi con- 
sidérable que celle d’Albert-le-Grand ou de St. Thomas, fere 
innumera opera, disait Trithème (2). 


cap. 9. On a eu tort de croire que ces Gnomes d'Othon sont intitulées : 
Gnomæ virtutum et vitiorum. On a mal compris Barthius. C’est tout le re- 
cueil d'Alain suivant lui qui roule sur ce sujet : Gnomæ in novem libros dis- 
tinctos virtutum et vitiorum, dit-il. 


(1) Voyez pour les ouvrages de ceux-ci , ci-dessus , page 55, note 2 et 
page 58, note 2. 


(2) Trithème, de script, eccles. 

Les éditions générales sont donc loin de tout embrasser et ne comprennent 
même pas tout ce qui est connu. 

Celle de De Visch contient : /n cantica canticorum.—De arte prœædica- 
toria.— Sermones, — Liber sententiarum. — De sex alis Cherubim.— 
Pæœnitentiale. — De fide contra hæreticos — De planctu naturæ.— An- 
ticlaudianus.— Rhyÿthmus de incarnatione.— De natura hominis.— Pa- 
rabolæ, 

Celle de M. Migne a ajouté : De arte fidei, d'après B. Pez. — Regulæ 
theologicæ, d’après Mingarelli. — Zn distinctionibus verborum (summa 
quot modis), d’après l'édition gothique. 

On pourrait y Joindre les ouvrages suivants imprimés sous le nom d'Alain, 
mais au sujet desquels se sont élevés des doutes plus ou moins fondés. De 
naturis animalium (Bestiarium), d'après les œuvres d'Hugues de S. Victor. 
— De lapide philosophico d’après l'édttion de Leyde — De amore vene- 
ris, d'après Levser. — Gnomæ, d'après Barthins. —/n prophetias Merlini, 
d'après l'édition de Francfort, — De conflictu virtutum, d'après l'édition 


— 133 — 


Sans doute, dans ces titres il y a des doubles emplois ; le 
même ouvrage peut figurer deux fois sous des désignations dif- 
férentes; un chapitre, comme il est arrivé parfois , peut être 
compté séparément après l'ouvrage entier dont il fait partie (4) ; 
mais les quinze ou vingt ouvrages authentiques bien connus et 
imprimés sufiraient seuls à montrer l'importance de l’œuvre du 
docteur universel. Tel a été le but de notre travail. 


des œuvres de S. Augustin. — /n apocalypsim, d'après le recueil : De statu 
ecclesiæ corrupto. Les quatre premiers se trouveraient légitimement dans 
une édition d'Alain parce qu'ils ne lui sont pas irrécusablement contestés, 
les trois derniers parce qu'ils lui ont été si souvent attribués qu’il faut les con- 
naitre, 

On pourrait y joindre encore avec non moins de raison, après toutefois 
l'examen critique des manuscrits : le De Vitiis, — le Dictionarium theolo- 
gicum, — les Quæstiones naturales etles Hymni in laudem Magdalenæ, 
de la bibliothèque impériale. — De quatuor virtutibus. — In evangelia, de 
la bibliothèque de Strasbourg. — De penitentia ad Bituricenses, de Char- 
leville. — 7n pentateuchum, de Bruges. — Sermones de Toulouse. — De 
Simonia, de Troyes. | 

1] serait facile aussi de munir l’Anticlaudianus , le De Planctu et les 
Parabolæ d’un commentaire perpétuel au moyen des gloses manuscrites que 
nous avons signalées. 

Le reste des ouvrages d'Alain ne peut figurer quant à présent, que dans 
les Desiderata, mais en poursuivant les recherches dans les bibliothèques 
on en découvrirait sans doute bien encore. 


(1) Les analogies de titre sont surtout embarrassantes. Ne serait-on pas 
tenté de confondre malgré la différence des premiers mots : l'Oculus scrip- 
turæ et l'Oculus ecclesiæ, le Speculum scripturæ et le Speculum ecclesiæ, 
les Æquivoca mystica et les Æquivoca ad Ermengaldum , le De Diversis 
terminibus et de Diversis verborum significationibus, le De Mazximis theo- 
logiæ et le De Maximis generalibus ? cependant plusieurs de ces livres sont 
très bien distingués entre eux, comme nous l'avons montré, 


, 


M 


CE 


L'histoire de l’enseignement philosophique à Lille semble d’abord 
un sujet peu digne d'intérêt. Mais c'est précisément parce que cette 
ville n’a jamais été un centre d’études sérieuses, parce qu'elle a 
été sans cesse absorbée par des préoccupations pratiques et maté- 
rielles, qu’elle peut offrir un champ d'observations fort curieuses. 
En effet, si la philosophie n’est qu’un thème de discussions plus 
ou moins brillantes destinées à jeter l'éclat sur quelques capitales 
privilégiées , on se demandera comment elle a pu tenir une si 
grande place dans l’histoire de l'humanité. Si, au contraire, on la 
voit pénétrer successivement dans toutes les couches de la société, 
s'étendre jusqu'aux populations les moins adonnées à l'étude et 
leur imprimer lelle ou telle direction des actes et des mœurs, cette 
science acquerra dans les esprits une nouvelle considération. Or, 
pour résoudre ce problème, Lille peut mieux que toute autre ville 
offrir de nombreux éléments d’expérimentation. Purement indus- : 
trielle, assez éloignée, vu la difficulté des communications, de 
Paris et de Louvain, elle n’a dù éprouver que longtemps après 
les autres et d’une façon beaucoup moius complète l’action des 
grandes écoles qui se sont succédé dans le domaine philosophique. 
Elle l’a éprouvée cependant, et la trace en est restée dans son 
histoire , tant est grande la puissance de ces idées abstraites, même 
sur les hommes occupés des intérêts les plus positifs. 

Dès le xi° siècle, en effet, lorsque notre ville commence seule- 
ment à prendre une importance sérieuse, on y trouve une école 


TR 
philosophique très-dislinguée, luttant avec avantage contre la chaire 
plus ancienne de Tournai. C'est à la collégiale de Saint-Pierre, 
fondée depuis quelques années seulement, que l’enseignement avait 
lieu. Les chanoines lillois mettaient un zèle extrême à seconder 
ce mouvement nouveau qui tendait à réformer les études philoso- 
phiques, à faire une grande part à la raison à côté de la tradition 
et de l'autorité, à entrer dans celte voie de discussion claire, 
précise, et rationnelle surtout , à laquelle l'esprit de notre nation 
est resté fidèle depuis lors. Des écrivains superficiels se sont beaucoup 
moqués des études du moyen âge. Sans doute la scholastique comme 
toute chose humaine a eu ses abus, surtout vers son déclin. Malgré 
cela , il nous le semble, rechercher quelle est l’origine des idées de 
l'homme, quel est le caractère et la portée de.ses conceptions les plus 
générales , est un, objet au, moins aussi, digne d’absorber l’aitention 
publique que le cours du. trois pour cent, et des actions, de tel chemin 
de fer. L'esprit humain doit porter, on en convigendna , des. fruits. dif- 
férents selon qu'il croit au.sein des. premières préoccupations ou des 
secondes, ” | 

Lille, à l’époque que. nous étudions, en. offrait la. preuve. Elle 
prenait em deux siècles un tel: essor qu'elle laissait bien loin derrière 
elle. les plus anciennes cités de la Flandre wallonne, Son enceinte 
s'étendait rapidemgnt; sa population croissait., Son. commerce. ayail 
des relations nombreuges.et habilement garanties en Angleterre et, sur 
Le, Rhin, La;draperie. lilloise était partout recherchée. Les.arts n'étaient 
pas mains en progrès. Les poëles ahondaient. Les. uns écrivaient en 
latin dps: ouvrages. qui, atlejgnaient à une célébrité, européenne. 
(L'Alexandréide de. Gauthier de.Châlillon , l’Anticlaudien, d'Alain, de 
Lille). Les autres illustraient:le langage roman. (le.npuveau roman,du 
* Rengril, de. Gielée) el jouissaient d’un aussi grand,nenom. 

On sentait destoute part celle: sève de jeunesse. qui presse el qui 
fecondp. | 

En:lisant- l'histoire de ce temps:, nous:élions sans: cesse, ramené: à 
comparer Lille à. cette époque avec: les: États de l’Union tels que:naus 
les voyons de nos jours, Une.iniliative indusirielle.et commerciale que 
rien, n'arrête, des.finances. dans. une telle.praspérité que: les resettes 
dépassent sans cesse les dépenses, une, tandance: constante à intar- 


RE — / 

venir dans toutes les guerres qui se passent à leur portée, une har- 
diesse extrême de fait et de langage vis-à-vis de toutes. les puissances 
et surtout l’idée fixe de se défendre par soi-même en faisant appel le 
moins possible à l’autorité, ce sont là des traits saillants des deux 
peuples que nous comparons : les Lillois du xn° siècle et les Américains 
du xix°. L'arsin, lui-même, cette expédition dans laquelle les bour- 
geois de Lille allaient, magistrats en tête, incendier les biens de ceux 
qui avaient molesté un des leurs, l’arcin ne ressemble-t-il pas à ces 
exécutions populaires dont les villes des États-Unis sont souvent 
le théâtre. 

Nos historiens modernes, M. Derode entre autres, ont done tort 
de s'étonner en rencontrant lant de prospérité à côté de tant de 
troubles. Ils peignent d’abord nos bourgeois sans cesse en guerre 
contre les seigneurs voisins, contre les communes voisines ; ils mon- 
trent ensuite dans l’intérieur même des murs les rivalités de corpo- 
rations, les haines de famille se vidant journellement par les armes, 
puis ils se demandent comment dans de parcils désordres la cité pou- 
vait croître en richesses, en industrie, en développement intellectuel 
et artistique. Sans doute cela doit bien surprendre notre vieille bour- 
geoisie qui s’effraie de quelques rumeurs dans la rue, mais l'historien 
ne doit pas s'étonner d’un tel spectacle : Corinthe, Sicyone et Car- 
thage , dans l'antiquité; Amalfi, Venise et Gènes, dans les temps 
modernes, ont grandi au sein des luttes, des partis et des révolutions. 
Gand , Bruges, Liége , ont été les premières villes du nord de l'Europe 
pendant les six siècles qui ont vu leurs révoltes continuelles ; depuis 
deux siècles qu’elles jouissent du repos, à quel point ne sont-elles 
pas déchues ? 

Il n’en peut être autrement. Ce sont les grands caractères qui font 
les grands États. Quand pour fonder une industrie, pour étendre son 
action, pour défendre ses libertés, un citoyen sait qu'il ne doit trouver 
de ressources qu’en lui-même , il sent et reconnait sa valeur pcrson- 
nelle , il comprend comment il faut la faire respecter. Il n'hésite plus 
dès-lors à exposer chaque jour son établissement, sa personne ct sa 
vie. Rien d'étonnant que dans de telles conditions ses facultés croissent 
et se développent, et qu'il fasse prospérer l'œuvre à laquelle il les 
à vouées. 


Re 

Cette vigueur de caractère que nous trouvons aux premiers Lillois, 
ils la doivent en grande partie, nous pouvons le dire, à l’ensei- 
gnement philosophique de ces temps. Elevés dans un milieu d'idées 
larges et supérieures, habitués à rechercher avec indépendance la 
raison des choses, n’entendant dans les écoles et les sermons que 
de grandes pensées , les hommes s’habituèrent à considérer sérieuse- 
ment l'œuvre de la vie humaine, à mettre les sentiments au-dessus 
des intérêts, les satisfactions de l’âme au-dessus des jouissances du 
corps. C'est là le premier et le plus précieux résultat que l’on peut 
constater dans l’histoire de l’enseignement à Lille. Malheureusement 
les chanoines de Saint-Pierre paraissent être bientôt tombés dans 
l'indolence et le repos. D’autres instilutions en profitèrent pour leur 
susciter de puissantes rivalités. 

Les ordres mendiants, qui parurent ici dès le xin° siècle, agirent 
sur les hommes par leurs prédications et leurs instructions avant de 
songer à l'éducation de la jeunesse. Les dominicains eurent à Lille 
beaucoup plus d'influence que les franciscains, ils transformèrent les 
mœurs de la population, comme le dit un de nos historiens (Buzelin). 

Ce qui frappe dans leurs leçons, leurs ouvrages, leurs sermons, 
c'est une grande différence entre leurs préoccupations et celles de 
Ja période précédente. On trouvait dans les chanoines de la collégiale 
uo essor vigoureux de la raison humaine, le goùt des problèmes les 
plus élevés, les recherches originales ou bien l'étude des textes 
profonds de l’ancien et du nouveau Testament, ainsi que la discussion 
des hérésies sur le terrain philosophique. Désormais, plus d'œuvres 
nouvelles, mais des commentaires, souvent même, comme on le verra, 
des commentaires sur d’autres commentaires, puis contre les hérésies 
des dissertations de second ordre où les premiers principes ne sont 
pius franchement abordés. Enfin une masse innombrable de traités 
sur la dévotion pratique, un mysticisme restreint dans les limites de 
telle cérémonie. On ne saurait énumérer, par exemple, combien de 
livres le rosaire teur inspira. 

En même temps on voit apparaître le caractère propre de cet insti- 
tut. L'abbé Lacordaire, dans sa Vie de saint Dominique, s'élève 
avec indignation contre ceux qui ont osé représenter le fondateur de 
son ordre comme ayant été également le fondateur de l’inquisition. 


Re 
C'est en effet une matière historique fort sujette à contestation ; mais 
ce que ne remarque pas le grand orateur contemporhin, c’est que 
cette prétendue calomnie a été répandue dans le monde, surtout 
par les dominicains, en sorte que cet ordre revendiquait encore au 
dernier siècle comme un titre de gloire ce qu'il repousse aujourd'hui 
comme une imputation injurieuse. Dans une assez bonne histoire 
manuscrite du couvent de Lille, écrite au xvm‘ siècle par l’un de 
ses membres (le R. P. Cousin), et conservée dans la bibliothèque de 
notre ville, se trouvent ces mots: « Un des emplois qui a toujours 
« été considéré depuis le glorieux patriarche saint Dominique comme 
« le plus important à l'Eglise, et dont il a été l'auteur, est l'inqui- 
« sition de la foi. » | 

Toujours est-il que le nom des franciscains (cordeliers), et surtout 
celui des dominicains, se trouve mêlé activement à presque toutes les 
persécutions qui eurent lieu dans nos pays du xiv° au xvu° siècle. 

Les poursuites pour hérésie et sorcellerie remplissent cette. périnde. 
Quelques années à peine avant l'apparition des ouvrages de Descartes, 
un dominicain de ce couvent, docteur en théologie, le R. P. Domptius, 
faisait condamner des sorcières à la suite d’un procès qui est un 
monument d’ineptie. (Voyez ce récit dans les Archives du Nord de la 
France, 1"° série, tome I, p. 454: Exorcisme des Brigittines de Lille.) 

Il nous suffit aujourd'hui de comparer la grandeur du mouvement 
de 4789 à la petitesse du Directoire pour constater quel abaissement 
a amené en France une terreur de dix-huit mois concentrée dans 
quatre ou cinq villes. Nous pouvons par là nous imaginer ce qu'a dû 
produire une terreur de trois siècles, ayant la torture pour auxiliaire, 
et répandue sur toute la surface de l’Europe. 

Ainsi, tandis que l’enseignement de la collégiale tendait à pousser 
les intelligences dans la voie des recherches indépendantes et des 
études approfondies, les dominicains, mus par des tendances oppo- 
sées, semblaient ne chercher qu’à retenir l'essor des esprils: d’une 
part, en les pliant, ou à des pratiques étroites, ou à des commentaires 
de doctrines strictement déterminées; de l'autre, en les contraignant 
par la crainte des châtiments. 

Sous cette action, on vit les caractères s’amoindrir. Lille aussi 
perdit de sa puissance. Elle, qui promettait d’être la première cité du 


ff = 
Nerd, se laissa devancer par beaucoup d'autres. Quand elle vit déchoir 
son industrie prepre de la draperie, elle ne trouva pas en elle-même 
les ressources nécessaires pour se relever et ne dut son salut qu'àdes 
réfugiés, aux sayeteurs, qui dui arrivèrent d'Arras, aux bourgeteurs, 
qui lui-winrent de Bourges. 

Elle reçut bien les développements que le cours du temps et d'acti- 
vité industrieuse de :ses habitants devaient lui assurer ; mais elle ne 
ünt rien de cette grandeur que promettaient ses débuts. Toute fière 
d'être souvent le siége de la cour de Bourgogne, elle s’endelta pour 
de vaines solennités, des dons sans résultats, des satisfactions de 
vanité. Au lieu de faire ses propres affaires, elle prit l'habitude de se 
laisser diriger. Au lieu de prendre part dans toul ce qui s’agitait autour 
d'elle, comme elle le faisait dans la période précédente, elle ne songea 
plus qu’à se soustraire à l’action de ce qui l’environnait, à séparer 
ses intérêts de tous autres, prudence malheureuse du chacun chez 
soi, qui subsiste encore de nos jours. Enfin, elle ne comprit pas l’in- 
lérêt et la verlu qu'il y avait alors à se vouer à de grandes nalionalités. 

Aussi plus d'œuvresoriginales comme celles que nous avons signalées 
précédemment. Le seul auteur éminent de celte époque, Philippé de 
Comines, professe des.-principes que l'honnêteté réprouve. Tout le reste 
disparaît dans l'éclat de la cour de Bourgogne, où le duc avait, dit-on, 
à côté de son fou, un philosophe qui ne lui coûtait pas plus cher, 

M. Derode, qui a très-bien signalé les caractères de cette décadence, 
l’attribue aux droits fiscaux qui ont interdit l’usage du vin et amené 
l'abus de la bière. Ce serait une bien pelite cause pour un bien grand 
effet. Les idées que l'entendement reçoit ont, suivant nous, une action 
bien plus sérieuse que les aliments dont se nourrit le corps. 

Cependant un esprit nouveau régnait dans le monde. Depuis un 
siècle ou deux le retour vers l'antiquité, qu’on appelait si heureuse- 
ment la Renaissarice, avait fait connaître aux nouvelles générations 
les grands modèles de la Grèce et de Rome, avec leur fond si riche 
et leur forme si séduisante. L'étude des lettres anciennes avait été 
puissamment secondée à Lille. La collégiale avait fait des sacrifices 
considérables pour s'attacher des professeurs éminents, amis d'Erasme 
et de Despautère. Dans nos murs s'était élablie la société de Jésus, 
que décrièrent des coteries rivales, mais qui eut chez nous le grand 


LT 
mérite de ne point se mêler aux persécutions sanglantes et de substituer 
aux études scholastiques dégénérées les belles études classiques. 

L'enseignement des auteurs grecs et latins, qui, à première vue, 
semble purement grammatical et littéraire, eut une grande portée 
philosophique. La plupart des écrivains de l'antiquité sont pleins de 
pensées élevées, de réflexions profondes. Les intelligences se retrou- 
vaient donc dans un milieu intelligent et distingué. Il suffit de voir 
combien les plaidoyers, les traités scientifiques , les œuvres de toute 
nature, les moindres écrits du xvu et du xvin* siècle, sont remplis de 
citations, pour comprendre dans quelle familiarité vivaient nos pères 
avec les plus grands génies de l’antiquité. 

Ces éludes sérieuses, le mouvement de la Réforme, les querelles 
du jansénisme, les rêveries mêmes de nos mystiques, ramenèrent 
les esprits aux recherches indépendantes. La domination française 
multiplia les rapports de Lille avec Paris, et les progrès du temps les 
rendirent plus faciles. Dès-lors les nouvelles écoles firent de sen- 
sibles progrès. Le portrait de Descartes fut placé dans la bibliothèque 
de la collégiale de Saint-Pierre, et l’on ne pouvait honorer ainsi 
l'homme sans partager quelque peu ses doctrines. Les encyclopédistes 
eux-mêmes eurent ici de nombreux ct chauds défenseurs. 

Avec les esprits les caractères reprirent leur essor. L'industrie fit 
de notables progrès ; la ville reçut de grands accroissements, et les 
citoyens s’intéressèrent auxaffaires publiques. Si dansles lettres et dans 
les arts ils ne produisirent pas d'œuvres remarquables, ils accueillirent 
au moins avec empressement tout ce que la France produisait de grand. 

Vis-à-vis de la prudence modérée qui faisait depuis plusieurs 
siècles le caractère de nos compatriotes, on vit reparaitre l’ardeur de 
la vieille race lilloise. Ces deux éléments se trouvèrent directement 
en lutte lors du bombardement de 1742, comme on peut le voir par 
la correspondance et les inquiétudes du ministre Roland. L'énergie 
triompha pour la gloire de notre pays. 

Nous ne pousserons pas plus loin notre étude. Ce qui précède a dû 
suffire pour montrer quelle influence décisive les idées abstraites peu- 
vent exercer sur les mœurs. 


ALBERT DUPUIS. 


LILLK. — IMPRIMERIR VANACKERK. 


- La 
2 ee me mr us di 


HISTOIRE 


DE LA RIVALITÉ PHILOSOPHIQUE DE L'ÉCOLE DE LILLE ET DE 
L'ÉCOLE DE TOURNAI AU XI.° SIÈCLE. 


(Premier fragment d'une esquisse de l'histoire de l'enseignement 
philosophique à Lille.) 

La collégiale de St.Pierre | 4 } était à peine fondée de trente ans, 
qu'on y trouve un enseignement philosophique très-florissant , sous la 
direction d'un professeur remarquable , nommé Rainbert (2 ). 

L'histoire de Lille ne nous fournit à cet égard aucun renseignement. 
C'est l'histoire de Tournai qui, seule , nous offre quelque lumière. 

L'école de cette dernière ville était beaucoup plus ancienne que celle 
de la collégiale , car on sait que les libéralités de Chilpéric mirent 
l’église cathédrale de Tournai à même de se constituer fortement , et 
comme puissance cléricale et comme instruction. Elle avait donc déjà 
reçu bien des développements quand , en 1086 ou 4087, les chanoines 
appelèrent un professeur qui jeta sur elle le plus grand éclat. 

Bien qu'étranger à Lille, il mérite ici une ample mention , puisqu'il 
fut l'âme de la rivalité philosophique qui s'éleva entre la ville voisine 
et la nôtre. En outre, sa vie est curieuse à étudier ; elle nous est 
restée fort détaillée et peut donner mieux que toute autre la peinture 


(4) Voir pour cette institution , outre ce que les différents chroniqueurs ou écri- 
vains lillois en rapportent , une notice spéciale écrite avec beaucoup de goût, sous ce 
titre : Essai historique de la collégiale de Saint-Pierre. Lille, Lefort, 1850. 
in-8.° Dureste, une monographie complète , d’après les sources, est encore à 
faire. Conf. la notice de M. Le Glay dans ce présent volume. 

(2) Rambertus ou Rainbertus. Montlinot, Hist, de Lille, et l'Hist, litt. de 
France vol. VIE, p.131 et 437, lui donnent le titre d'écolitre, bieu que cette fonction 
paraisse n'avoir été créée que plus tard, 


= 9 — 


de ce qu'était à cette époque l'existence d'un homme dévoué aux 
études philosophiques. Les renseignements biographiques manquent 
au contraire pour les savants dont nous aurons à parler ensuite. 

Odon (1) était né à Orléans d'une famille noble. La poésie fut la pre- 


(4) Odo, magister Odo. 

ll existe une lettre d'Yves de Chartres , adressée à un Odon qui doit être celui-ci, 
car Yves n’est mort qu'en 4467. Du reste, elle est sans intérêt. Voyez : Ivonis 
carnutensis epistolæ , publiées plusieurs fois. 

Pour la biographie d'Odon, on peut consulter : Molanus , natales sancti Belgü. 
— Raisse, auctuarium ad natales, — Raisse, Belgica christiana. — Gallia 
christiana. Vol. NI. — Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, — Histoire 
litt. de France, vol. 9 , p. 583. Article attribué à Don Rivet.—Le Glay. Camerac. 
christ. Introduction, p. XX XI. | 

Tous ces auteurs ont puisé dans une lettre d'Amand d'Anchin, dont nous parle- 
rons ci-après , et plus encore dans la chronique intitulée : Varratio restaurationis 
abbatiæ s. Martini tornacensis ordin. s, Benedict. 

Cette chronique est due à un moine du nom d’Herimann, qui fut le troisième abbé 
de ce même couvent de St.-Martin, rétabli par Odon. C'était un homme de tête et de 
savoir, qui fut chargé de missions importantes. I] était né en 1094. On ne sait ce 
qu’il devint à partir de 1187, époque à laquelle il était parti pour la croisade. 11 
avait donné, en 4137, sa démission d’abbé de St.-Martin , pour cause de maladie et 
aussi d'incapacité, si l'on en croit le récit d'Hugues , abbé de Marchiennes, ancien 
prieur de St.-Martin. (Voyez anecdot. de Martenne et Durand. Tom. 3, p. 1720.) 

Dans la préface de sa chronique , Herimann nous apprend qu'il l'a composée pen- 
dant les loisirs d'un séjour à Rome. L'histoire contemporaine rapporte que c'était la 
seconde mission qu'il remplissait en cette ville. Elle avait pour objet d'obtenir du 
pape Innocent 11 (1130-1143), l’ordre de faire sacrer Absalon , abbé de St.-Amand, 
élu évêque de Tournai, ce que n'osait faire l'archevêque de Rheïms, craignant la 
vengeance du comte de Vermandois, parent de l’évêque de Noyon, auquel avait 
été attribué, par réunion, le siège de Tournai. 

La chronique d'Herimann est très-intéressante et bien écrite ; c'est, à notre avis , 
l'un des meilleurs tableaux de ce teinps agité. Elle avait été traduite en français par 
Ch. Leroy, prieur du même couvent (Sanderus bib. manusc, belg. part. I, p. 128). 
Le texte latin est inséré en partie dans les acta sanctorum des Bollandistes , à la 
suite de la vie de St.-Vaudru ; en totalité , dans le spicilegium sive collectio vete- 
rum aliquot scriptorum qui in Galliæ bibliothecis delituerant, de D. Luc d’A- 
chery. XII.C vol. de la première édition, p. 358 et II. de la seconde, p.888. Il 
la tenait d'un Carme déchaussé, nommé Ignace de Saint-Antoine , de la famille de 


Robec. 


Ds 


mière de ses préoccupations, il publia divers poèmes fort estimés. (1) 
Dans ses ouvrages les plus sérieux, il cite les Bucoliques, l'Art poétique. 
Ensuite il se voua à l'enseignement et passa plusieurs années à Toul (2) 
dans ces fonctions qu'il remplit avec tant d'éclat, qu'il se rendit cé- 
lèbre au loin sous le nom populaire de maître Oudart (3). Ge fut 
alors que les chanoines de Notre-Dame de Tournai (4 ) l'appelèrent 
à eux pour le mettre à la tête de leur école. Ils lui donnèrent le titre 
d'écolâtre , ce qui prouve que cette fonction exista beaucoup plus tôt 
à Tournai qu'à Lille (5). | 

Odon fit tellement prospérer cet établissement, que l'on y compta 
plus de deux cents élèves attirés par la réputation de son savoir et de 
son talent; quelques-uns même arrivaient de pays éloignés, tels 
que la Saxe et l'Italie. Il dirigea ainsi les études pendant cinq ans, 
enseigna les-sept arts libéraux (6), particulièrement l'astronomie , 
dans laquelle il était très-versé ; puis la dialectique , dont nous allons 
parler. 

Un jour , un de ses élèves lui procura lo traité du Libre arbitre de 
Saint-Augustin. (don le mit avec ses autres livres; mais peu après 
arrivé, dans ses cours, à l'explication de cette matière, sur le quatrième 
livre de Boëce, il voulut consulter l'ouvrage dont il se trouvait pro- 
priétaire. 11 fat d’abord frappé de la mâle et chaude éloquence du père 
de l'Eglise, puis, touché au dernier point des reproches adressés par 


(1) On en trouvera plus bas les titres. Godefroy , scholastique de Rheims , mert 
en 1095, a publié à la louange d'Odon, un poime : Somnium Odonis, dont Ma- 
billon, Ann. ord, sancti Ben., tome V, a reproduit quelques vers, chap. LX VIN, 
N.o LXIIT. 

(2) Mabillon, Ann. ord. sancti Ben.; chap. LXXI, N.o LXXXIX, dit tout-à- 
coup qu'Odon avait enseigné à Metz (mettensi schola). Est-ce une erreur | faut-il 
lire : tullensi ? 

(3) Magister Odoardus, Odoardus. Chronique d'Herimann. 

(&) Beatæ Mariæ tornacensis. 

(5) On trouve, en effet, cette signature : Odo scholasticus , sur nne lettre de 
l'évêque Radbod, insérée dans Mirœus, opera diplomatic., tome T1, supp. pars sec. 
p. 956. 

(6) Trivium : Grammaire, rhétorique, logique. = Quudrivium : Arithmétique, 
géométrie, musique, astronomie, 


sd — 


lui à ceux qui sacrifient leur salut aux préoccupations de ce monde. 


Odon se repentit d'avoir donné tant de temps aux études profanes ;,: 


négligea son enseignement pour se livrer à des prières, à des œuvres 
religieuses , à des macérations de toute nature, qui eurent bientôt 
réduit son corps à l'aspect le plus triste , ne mangeant en un jour que 


ce que sa main pouvait contenir de pain. Enfin, il résolut de se 


vouer tout entier à la vie monastique. Ces circonstances tout-à-fait 
caractéristiques se retrouvent assez souvent en ce temps. 

Il y avait eu jadis près de Tournai une abbave dédiée à St. Martin. 
Elle avait été détruite, disait-on, par les Vandales. 

Odon et quelques élèves qu'il avait entraînés dans sa conversion, 
résolurent de la relever. L'évêque et des particuliers leur renrirent 
quelques biens qui en restaient. Mais un plus grand nombre de terres 
avaient été distribuées par Ida , épouse de Théodore d'Avesnes, à ses 
serfs (1) quiles cultivaient. Son mari l'en avait repris , et Ida elle- 
même, nous dit le chroniqueur , sentit et pleura souvent , depuis, la 
faute qu'elle avait commise en disposant ainsi des biens du grand 
saint Martin. Car ce fut l'occasion de beaucoup de violences, lorsqu'il 
s'agit de déposséder ces pauvres paysans ! 

Le 7 mai 1092 , Odon et les siens furent processionnellement in- 
tallés dans ces ruines. Quelque temps après , ils adoptèrent l'ordre de 
Saint-Benoît. | 

Nommé abbé en 1095, l'ancien professeur tout en faisant régner 
l'ordre et en administrant sagement son couvent , s’attacha surtout à 
y faire copier tous les ouvrages pieux qu'il pouvait se procurer. La 
bibliothèque de Saint-Martin devint bientôt célèbre , et l'on tint ses 
manuscrits pour les plus corrects que l’on connût (2). | 


(4) Rusticis : Chronique d’Herimann. 


(2) A la fin de plusieurs de ses traités, notamment de son exposition du canon 
de la messe et dans tout son canon des évangiles , se trouvent des recommandations 
utiles pour les copistes et qui montrent les préoccupations ordinaires de l’auteur. 

Parmi les ouvrages faits sous sa direction, on cite surtont le T'etraple du pseautier 


Odon , cependant, ne s'était pas tellement voué à la retraite, qu'il 
n’acceptât { 1105), treize ans après son entrée à Saint-Martin, et 
non après avoir été treize ans abbé, comme le dit l'histoire littéraire 
de France, les fonctions d'évêque de Cambrai { 1}. Ce siége était 
occupé alors par un certain Gualcher , qui avait été nommé à prix 
d'argent, dit-on, par l'anti-pape Guibert appuyé de l'empereur 
d'Allemagne. C'était le moment des luttes entre Henri IV et le souve- 
rain pontife, Pascal IE. 

Odon fut plus d’un an avant de pouvoir entrer à Cambrai et remplir 
entièrement ses fonctions épiscopales. Enfin , le fils d'Henri IV ayant 
combattu etdétrôné son père à l’instigation du pape ( c'est du moins 


 — 
(1105), qui fut longtemps conservé, et d’après lequel Lindanus , évêque de Rure- 
monde, fit ses corrections estimées, 

Des momnes du nom de Siger, Aluffe, Godefroy , Gislebert compilèrent et transcri- 
virent également les ouvrages suivants, dont nous donuons la liste pour indiquer ce 
qu'était à celte époque la bibliothèque d’un savant : les Commentaires moraux de 
St.-Grégoire sur le livre de Job-(moralia beati Gregorii super Job); une histoire qui 
comprenait les paraboles de Salomon , les prophéties , les actes et les épitres (histo- 
ria optima, quæ a parabolis Salomonis incipiens , omnes prophetas ct apos- 
tolorum actus atque epistolas continet) ; un missel (missale) ; le texte des évangiles 
(textus evangeliorum) ; le traité de la cité de Dieu et le manuel de saint Augustin 
(Augustinus de civitate Dei et enchiridion ejus) : deux livres sur les lectures (lectiones) 
des fêtes et des dimanches ; tes commentaires de St. Jérôme sur les prophètes ; 
tout ce qu'on avait pu trouver de St. Grégoire, St, Augustin, St. Ambroise, Isi- 
dore de Séville , Beda, et enfin, parmi les plus récents , un seul de saint Anselme, 
Nous extraÿons ces renseignements de diverses sources , telles que Mirœus, d’après 
Bunderus ; Valère-André, dans sa Bibliotheca belgica ; G. Cave, dans sa Bibliotheca 
sancta. M. Lescouvet (de l'Instruction publique en Belgique, inséré dans le Messa- 
ger des Sciences historiques en Belgique. Gand, vol. XXIIT) rapporte que d’après 
la chronique de Gilles le Muisis, Vincent de Beauvais, quand il composa son célèbre 
et vaste speculum , obtint du roi l'autorisation de visiter toutes les bibliothèques et 
admira celle de St.-Martin. Elle resta célèbre jusqu’à la révolution. Les manuscrits 
paraissent avoir été achetés par l’ancien prieur, qui les vendit à M. Dinaux , et en 
partie par sir Ph. Philipps, qui les transporta à Middlehill. Voyez Haenel. , 875 , et 
Le Glay, Bibliothèques du département du Nord , dans ces mêmes Mémoires de la 
Société des sciences de Lille, Vol. 17 (1839, deuxième partie.) 

(4) Possevin (apparatus sacer) a prétendu faire deux hommes différents du savant 
oïléanais et de l'évêque de Cambrai. Labbe a réfuté cette erreur. (Bibliothèque eccle- 
siastique.) 


ET 


ee qu'avance le pieux abbé qui nous apprend ces faits (1), 
Gualcher se retira ct Odon le remplaça. Mais on sait qu'Henri V 
ne resta pas longtemps d'accord avec la cour de Rome. Il 


voulut , entr'autres actes d'hostilité , exiger d'Odon le renouvellement | 


de l’invesliture. Gelui-ci s'y refusa , vers 1110 suppose-t-on , et fut 
frappé d'exil ( 2 ). Il se retira dans la célèbre abbaye d'Anchin , avec 
laquelle il avait toujours eu de sympathiques relations. 

Enfin , 1l paraît être retourné à Cambrai, y avoir été bientôt at- 
teint de maladie grave et étre revenu mourir à Anchin, le 42 juillet 
1143, ou plutôt le 10 juin, comme le dit M. Le Glay (3). 

On connaît maintenant , autant qu'il est possible , avec les sources 
restreintes dont l’histoire peut disposer , les écoles ct les hommes 
“entre lesquels éclata la rivalité dont nous avons à rendre compte. Mais 
pour bien l'apprécier , il faut se rappeler quel était alors l'état de la 
philosophie. 

La décadence du monde romain et surtout les invasions des bar- 


- 


(1) Interea callidus papa Henricum adolescentem filium Henrici imperatoris 
litteris adversus patrem concitat, et, ut Ecclesiæ auxilietur, admonet; ille regni cupidus 
et gaudens se competentem occasionem ex apostolica auctoritate invenisse contra 
patrem ferociter armatur. 

(2) Voici comment il s'en explique lui-même dansle prologue d’un de ses livres : 
De blasphemia in Spiritu Sancto : quod virgam et annulum , quæ consecratus ab 
Ecclesia acceperam, dono imperatoris iterum accipere non acquiescebam. 

(3) Cameracum christianum. 

Un moine de l’abbaye d'Anchin , du nom d'Amand Duchâtel, qui était entré à 
St.-Martin en 1095, puis était passé à Anchin , dont il devint prieur, et plus tard à 
Marchiennes, dont il fut abbé (1120), ami d'Odon et auquel est dédié le De blas- 
phemia, fut chargé par son abbé d'annoncer la mort de l’évêque et de faire son 
éloge. 

Cette lettre encyclique, écrite avec talent, bien qu'avec emphase , nous a été 
conservée, Elle figure dans les anzecdota de Martenne et Durand. Adinonitio prævia , 
placée en tête de leur nouvelle édition de l'Homeélie du fermier infidèle et aussi dans 
la Belg. Christ. de Raisse , et enfin dans les Bollandistes, acta sanct, junii. Tome LUI, 
p- 310. | 

Francois La Barre , prieur d'Anchin , autenr d'une immense histoire manuscrite, 
dont parlent Les Bollandistes , considère Odon comme un saint, mais les autres hagio- 
graphes ne l'appellent que bicnheureux. 


2 me — és mms-vrioumn 


_ 


bares avaient presqu'anéanti les études. L'ignorance était devenue à 
peu près universelle , et c'est à peine si quelques couvents, préservés 
par leur position ou par les circonstances , avaient conservé des ves- 
tiges de l'instruction. Les efforts de Charlemagne et d'Alfred avaient 
été arrêtés par les événements politiques et par cette étrange stupeur 
qu'inspirait la venue de l’an mil, considéré comme devant être la 
fin du monde. Ce terme fatal passé, tout tend à renaître : lettres, 
sciences, architecture, philosophie et caractères. | 

Bérenger de Tours , Lanfranc, Pierre Damien , St. Anselme de 
Cantorbéry , Ilildebert de Tours annoncent ce mouvement grandiose 
d'où va sortir la scholastiquo. 

On sait que parmi tous ces grands esprits, Roscelin de Compiègne{1) 
prit un rôle à part, ou du moins vulgarisa et développa ce que peu 
d'hommes avaient osé dire et penser { 2). Il prétendit que nos idées 
générales (universaux, ainsi qu'on disait alors) ne correspondent point 
à des réalités extérieures, mais ne sont que de simples généralisations, 
propres à faciliter le langage, de purs mots {flatus vocis). Ainsi, pour 
lui, la couleur n'était rien par elle-même en dehors du corps co- 
loré. Il exposait ces idées avec simplicité , élégance, d'une allure dé- 
gagée , fort contraire à l'esprit dogmatique qui était alors en vigueur, 
et cherchait à consacrer cette discussion rapide, claire, animée, dont 
Abeilard donna bientôt de si beaux exemples. 

Les esprits furent éblouis et inclinèrent de ce côté. St. Anselme , 
lui-même , le profond philosophe , le pieux abbé du Bec, accueillit 
favorablement ces essais, ainsi que l'indique un résumé fait par lui 
des théories de Roscelin (1089). Plus tard, effrayé de voir jusqu'où 
les novateurs prétendaient pousser les conséquences de ce système , 


(4) Je ne sais pourquoi M, Derode (Hist. de Lille) et d’autres avant lui , ont fait 
* Roscelin chanoine de St-Pierre, et l'ont même fait naître à Lille. Cette erreur, 
qui provient saus doute d’une confusion avec Rainbert , n’est fondée sur aucun détail 
de Ja biographie de Roscelin. 

(3) Voir dans M. Taureau : de la philosophie scholastique , une excellente étude 
des origines du nominalisme, 


il s'en éloigna, J'accabla de ses critiques et prétendit qu'il n'avait en 
d'autre but, en résumant les idées de Roscelin, que d'en rendre la ré- 
futation plus facile. 

Rainbert, le professeur de la collégiale, partageait les doctrines du 
maître de Compiègne et enseignait à la mémeépoque. En effet Roscelin, 
comme l'a constaté M. Cousin { 1 }, a dû tenirécole vers 1089. Rainbert 
luttait avec Odon, qui fut écolâtre de Tournai, ainsi que nous l'avons 
dit, de 1087 à 14092. Ces deux nominalistes sont donc du même 
temps , et M. Rousselot { 2) a été trop affirmatif quand il a fait le 
second antérieur au premier. Au contraire , il a grande raison quand 
rectifiant une erreur de M. Cousin (3), il moutre l’antériorité du réaliste 
Odon sur le réaliste Guillaume de Champeaux. Ces rapprochements de 
date sont utiles pour montrer que nos deux villes voisines furent des 
premières dans le mouvement philosophique. 

Odon enseignait des doctrines toutes différentes qui durent encore 
se prononcer davantage après que St.-Anselme , pour lequel il té- 
moignait un grand respect , eut signalé l'hétérodoxie de Roscelin , et 
demandé qu'on l’exclüt du nombre des philosophes ( 4 ). 

Voici maintenant, d'après les chroniqueurs , les points qui divi- 
saient ces écoles voisines : 

D'abord la question des universaux , que nous venons d'indiquer. 
C'est à savoir si les idées générales répondent à des réalités exté- 
rieures. M. Cousin { 5) veut voir la filiation de cette difficulté dans un 


(4) Introduction aux ouvrages inédits d’Abcilard , dans les documents inédits de 
l'Histoire de France. 

(2) Etudes sur la philosophie au moyen-âge. 

(3) « Sous les auspices de St. Anselme et de Guillaume de Chantpeaux, le réalisme 
ne pouvait manquer de trouver de nombreux partisans. Parmi les plus remarquables , 
Odon, à la fin du XI.° siècle. » Introduction aux ouvrages inédits d'Abeilard , page 
CXXIV. 

(&) Anselimus cantuariensis archiepiscopus , in libro quem fecit de Verbi incar- 
natione , non dialecticos hujus clericos , sed dialecticæ appellat hæreticos , qui non 
nisi flatum, inquit, unirersales putant esse substantias , dicens eos de sapientium 
numero merito esse exsufflandos, (Chronique d'Herimann). 

(5 Introduction aux ouvrages inédits d'Abeilard. Lieu cité, Voyez aussi sur ce 
sujet cs ouvrages de MM, Rousselot ct Haureau, sur la philosophie scholastique. 


—9— 


texte altéré de Boèce ; il est plutôt à croire qu’elle sort tout naturelle- 
ment de l'esprit humain , et que chaque philosophe la trouve en lui- 
même, autant au moins que dans ses livres. Elle s’est placée au début 
de la scholastique entre Anselme et Roscelin ; comme au début de 
la philosophie grecque, sous une forme différente, il est vrai, entre les 
deux écoles d'Eke ; comme au début de la philosophie moderne, sous 
une forme nouvelle encore entre Locke et Leibnitz. Quoi qu'il en soit, 
elle était soulevée au XI. siècle. 

Des ouvrages de Rainbert aucun ne nous reste. Ceux d'Odon qui 
avaient trait à la philosophie sont perdus (4 ); dans ceux qui sub- 
sistent, et qui sont plutôt théologiques , nous ne trouvons rien qui ait 
rapport à la question des universaux , sauf un passage très-court du 
second livre du traité sur le péché originel. Là , au milieu de beaucoup 
de détails relatifs à l'individu , au singulier, au genre et à l'espèce, il 
attribue une réalité extérieure , objective, aux espèces ; il les met sous 
ce rapport au-dessus des genres et sur le même rang que les individus. 
Il v a, pour parler son langage , autant de substance dans l’homme , 
que dans Pierre (2). C’est, à peu de choses près, ce que Guillaume 


(1) On n’en a conservé que les titres accompagnés de brèves et insuffisantes indi- 
«cations. 

Le premier était intitulé : Le Sophiste (sophista) et avait pour objet d'enseigner à 
combattre les sophismes (ad cognoscenda evitandaque sophismata). 

Le second : Livre des conséquences (liber complexionum). L'Histoire littéraire de 
France pense qu'il devait avoir pour but d'apprendre à mettre les arguments en 
formes, et traduit en ce sens le mot complexiones, ce qui n’est pas bien exact, 

Le dernier traitait de Ja chose et de l'être (de re et ente). Il y était question de 
savoir si la chose diffère de l'être (iu quo libro solvit si unum idemque sit res et ens). 

Il est assez difficile aujourd’hui de savoir quel était le sens précis de ces deux mots 
en scholastique. Avicenne était d’avis de les confondre : res et ens convertuntur. Les 
réalistes faisaient généralement ainsi. Ils cherchaient à prouver que les universaux : le 
genre, l’espèce , la substance , la forme participent de l'être, pour en conclure que 
ce sont des choses positives. Vores cette démonstration dans un disciple de Duns 
Scot , Antoine Andréa, cité par M. Haureau, 

(2) Species plus habent substantialiter quam genera , nec sufficit ad specici sub- 
stantiam genus, quia substantialiter habet species differentiam præter genus ; plus 
enim homo quam animal, quia rationalis est homo, et non rationale animal. Jndi 
vidua vero nihil habent substantialiter plus quam species , nec aliud sunt substantis- 


liter, aliud Petrus quam homo. 


— 10 — 


de Champeaux répètera un siècle plus tard : La même espèce se trouve 
tout entière dans chacun des individus qui la composent {eamdem rem 
totam simul singulis suis inesse individuis), de sorte que ce qui carac- 
térise l'individu, ce qui le différencie de tout autre, ce n'est pas la 
substance , ce ne sont que de simples accidents. Odon ne tire pas en- 
core ces conséquences du principe qu'il à posé , mais elles doivent 
nécessairement en sortir, et la théorie de la non-différence substantiellé 
des individus d’une même espèce ne tombera que devant les critiques 
d'Abeilard. 

Bien que ce passage isolé ne soit pas définitivement concluant, nous 
savons à n'en pas douter, qu'Odon tranchait la question en faveur de 
la réalité des universaux, il était donc réaliste (4). 

Rainbert considérait les idées générales comme des étres de raison, 
des artifices de classification et de langage, de purs noms (2). 

Odon (3) tenait pour la tradition et pour les maîtres anciens, et 
Rainbert (4) inclinat vers les auteurs moins connus ou plus nouvelle- 
ment retrouvés, tels que Porphyre et Aristote {le faux Aristote de cette 
époque, bien entendu.) 

Odon était dogmatique , aimant les formules sèches, fortes et sé- 
vères. Ses ouvrages sont un tissu serré d'arguments en règle. Rainbert 
professait un grand dédain pour les formes vieillies , un grand désir de 
trouver des formes nouvelles , un goût tout particulier pour l'élégance, 
le charme de la parole, la liberté de l'expression et l'élégance du lan- 
gage. Îl paraît même n'avoir pas écrit. On ne connaît pas non plus de 
livres de Roscelin. Il semble que tout préoccupés de l'action, ces 


(1) More Boethii antiquorumque doctorum dialecticam in re discipulis [egebat. 
Chronique d’Herimann. | 

(2) Juxta quosdam modernos in voce legebat. Idem. On appelait, en effet, ce 
système nominaliste, sententia vocum. 

(3) Ab antiquorum doctrina discrepare non videbatur, .… More Boethii antiquorum- 
«que doctorum..…. Idem. 

(#) Nimia præsumptione nihil aliud quærentes nisi ut dicantur sapientes, in Por- 
phyrii Aristotelisque libris magis volunt legi suam adventiciam novitatem quai 
Boethii cæterorumque antiquorum expositionem, Idem. 


| 


hommes n’aient pas eu le loisir ou le désir de consigner leurs pensées. 
Parler, combattre, persuader , relever les ressources de la discussion , 
les enseigner, les développer jusqu'à l'abus : la faconde et la loquacité, 
voilà leur œuvre (1). | 

Comme conséquence de ces dispositions, chez Odon régnait la sévé- 
rité des mœurs et de toute la vie, l'austérité , qui, plus tard , tourna 
jusqu’à la macération et à la vie cénobitique. Ses élèves , nous dit la 
chronique, n’osaient, quand ils allaient à l'église , ni tourner les yeux, 
ni parler même à voix basse; les ornements (2), la société des femmes 
étaient interdits. L'entrée du cloître était fermée, même aux laïques 
les plus distingués. Chez Rainbert se trouvait certainement plus de 
goût pour les arts , pour les plaisirs, plus d'indépendance, en un mot. 
Les poètes nombreux et éminents qui sortirent bientôt de Lille, suffisent, 
en l'absence de renseignements précis, pour le prouver. 

Enfin, Odon voyait avec peine la tendance des novateurs à appli - 
quer l'argumentation philosophique aux matières théologiques, àopérer 
comme le disait bientôt après Abeilard : l'alliance de la raison et de 
la foi. La naissance de la théologie scholastique l'inquiétait et l'affi- 
geait. Lui-même cependant suivant en cela St. Anselme, en donnait 
l'exemple. Plusieurs de ses ouvrages font à des dogmes religieux 
l'application de la méthode philosophique la plus rationaliste. L'un 
d'eux, le Traité du péchéoriginel en est, d'un bout à l'autre, la preuve 
la plus frappante. Aussi, bien qu'il embrasse surtout des matières 
théologiques , croyons-nous devoir en donner l'analyse , afin de faire 
connaître la méthode de cet auteur, que nous ne retrouvons nulle part 
ailleurs si bien accusée, ses écrits purement philosophiques étant 
perdus (3). 


(1) Plus valebant eorum lectiones ad exercitium disputandi veleloquentiæ, imu 
loquacitatis et faeundiæ, Chronique d'Herimann. 

(2) Cependant un de ses élèves lui donna un anneau d’or, portant ce vers, digne 
du temps : 

Annulus Odonem decet aureus aureliensein . 

(3) Voici le catalogue des ouvrages d'Odon : 

Nous nous bornons à les énumérer , autant que possible , dans l’ordre chronolo- 
gique. Nous renvoyons, pour des indications plus complètes ; pour l'origine des ma- 


Quoique l'écriture sainte soit invoquée dans ce livre, c'ést par des 
raisonnements en forme et en faisant appel seulement à la raison, 


nuscrits et la suite des éditions, à Fabricius biblioth. med. et infim. latin., et à 

l'histoire littéraire de France. Lieu cité, 

L De bello trojano. Poème. Perdu. 

II. De opere sex dierum, Poème. Perdu, 

IT,  Sophista. Perdu. 

1V. Liber complexionum. Perdu. 

V  Dereetente. Perdu. 

VI.  Epistola carmine. Perdu. 

VII. Expositio in canonem missæ ou De altare. Cette exposition, imprimée dés 
1490 , et souvent reproduite depuis lors, est en prose. Qu'est-ce donc 
qu'une : Expositio canonis missæ versibus elegiacis, authore Odoue, 
episcopo cameracensi, que nous trouvons dans le catalogue des manuscrits 
de la bib. du roy, sous le N.° CDLIX ? 

VIT, De peccato originali, libritres. 

IX. Disputatio contra Judæum, Leonem nomine, de adventu Christi, fili Dei, seu 
de mysterio dominicæ incarnationis. 

X. De blasphemia in Spiritum Sanctum ou Quid sit blasphemia. 

XI. De canonibus evangeliorum ou De concordia evangelistarum. Libri duo. 

AI. Homelia de villico iniquitatis, ou Homelia in Lucæ XVI. 

Les six ouvrages qui précèdent, de VII à XII, figurent dans la bibliothique des 
pères de Cologne (1622) et dans celles qui l'ont suivie. 

Mais il existe une autre version de cette bomélie , toute différente. Elle fut 
découverte et imprimée par Martenne et Durand, dans leurs anecdot. , t V 
p. 854. La patrologie de M. Migne , vol. CLX , l’a reproduite avec les six 
numéros précédents , les lettres et les diplômes de l’évêque. 

XII. Homeliæ ; il en existe tout un recueil manuscrit. On en a souvent cité deux, 
l’une : sur la Cananéenne , l’autre sur la passion de Jésus-Christ. 

XIV. Parabolæ. Sans autre indication, 

XV. Epistolæ. Bien qu’il paraisse en avoir existé tout un recueil, on n’en connait 
que deux: l'une adressée à Guillaume , prince d’Afflighem ; l’autre à 
Lambert, évêque d'Arras. La dernière , publiée par Baluze, dans ses Miscel- 
lanea, tome V, p. 345 et 393, est reproduite dans la Patrologie. 

Quant à divers traités attribués à Odon , tels que : Deorigine animæ, de corpore 
et sanguine Christi, ce ne sont-sans doute que des extraits du De Peccato originali, 
et de l’Expositio missæ. Le De incarnatione, cité par quelques auteurs, est une 
compilation faite par Herimann de divers docteurs de l'Eglise, Odon ÿ compris. 

C'est encore plus légèrement qu'on attribue à notre docteur une Jntroductio in 
theologiam, contenant des textès hébreux ; une Expositio de numero ternario, des 
Commentaria in psalmos , dont les auteurs ne sont pas connus , et aussi quelques 
ouvrages, tels que : le Collationes, le De translatione sancti Martini, quisont 
d'Odon , abbé de Cluny , personnage tout distinet de celui qui nous occupe. 


+ — 


qu'Odon fait triompher ses idées, Aussi croit-il devoir s'en excuser 
profondément , car la foi n'a pas besoin de pareils aides. Il n'a voulu 
par là qu'éclaircir le sujet. Il n’a eu en vue qu'une méthode d'ensei- 
gnement et non de démonstration (1). 

Il examine d'abord comment il se fait que certain mal peut provenir 
de Dieu, ainsi qu’on le voit par l'écriture sainte et par la réflexion. Il 
faut distinguer le mal qui provient de l'injustice , celui-là ne peut être 
l'œuvre de la divinité. Mais le mal qui est une conséquence de la jus- 
tice, la peine qui frappe le pécheur, par exemple , vient de Dieu lui- 
même. | 

Sur le premier point de cette distinction , sur le mal qui provient 
de l'injustice , l'auteur suit la théorie de St.-Augustin, si brillamment 
reproduite par Leibnitz, que le mal n'est pasune réalité (2), que ce 
n'est qu’un caractère du fini, une privation du bien (3). Il combat sur 
ce point les Manichéens. Quand donc le pécheur est puni , il ne l'est 
pas à cause de l'injustice , qui n’est rien par elle-même , mais à cause 
de l'abandon de la justice, qui est une réalité (4). 

Il se demande ensuite pourquoi nous sommes punis de la faute d'A- 
dam. C'est que nous avons péché en lui. Comment cela ? Comment 
étions-nous en lui? En corps ? Il est évident que le nôtre vient du 
sien , mais ce n'est pas le corps quipèche, car la faute ne peut être 
que dans la volonté. En esprit ? Notre âme vicndrait-elle de la sienne, 
de la même manière ? 

Odon combat ici cette opinion, qui paraït avoir eu à cette époque des 
partisans assez sérieux pour que ce traité soit consacré en grande partie 
à les réfuter. On sait que cette hypothèse sur l'origine de la substance 
spirituelle venait d’Aristote, qui prétend que l’âme d'Achille provenait 
de l'âme de Pélée. Elle était opposée à l'hérésie d'Origène, qui croyait, 
avec Platon, à la préexistence de l'esprit et au dogme catholique qui 


ES 


(1) Non feciut muniren , sed ut docerem. De peccato originali. Infine. 
(2) Nihil est. ibid. | 
(3) Tantum privatio boni. ibid 

_{4) Pro justitia deserta. ibid. 


is ft 


proclame la création. Odon embrasse ce dernier avis que St.-Thomas. 
doit plus tard développer si complètement. Les partisans de la trans- 
mission héréditaire de l'âme (1}s’appuyaient surtout sur cet argument 
spécieux : Le corps, inerte de sa nature , ne peut engendrer par lui- 
même , si l'âme ne lui donne pas sa force productive (2). Cette puis- 
sance donc se sépare de la substance immatérielle, passe dans le corps, 
et de celui-ci dans la nouvelle créature. Or, en fait d'êtres incorporels. 
ce qui se dit de la partie se dit évidemment du tout, puisque l'absence 
de parties distinctes est précisément le caractère de l'incorporel. Donc 
l'âme tout entière passe dans la nouvelle créature. 

Odon répond que la semence répandue par la volupté tient , il est 
vrai, de l’âme sa force de propagation ; mais cette force n'en 
réside pas moins dans le corps, rien que dans le corps , seulement elle. 
y est inerte. Et ce n'est pas la substance même de l'âme qui vient y 
donner le mouvement , car rien ne peut émaner , se détacher d'une. 
substance simple (3), mais c’est seulement une action , une influence, 
un effet. 

Ainsi, nous étions en Adam, mais non pas en esprit, comme nous v 
étions en corps, car Dieu crée une âme pour chaque créature nais- 
sante. Nous y étions en tant que nature humaine, car celle-ci se trou- 
vait alors réduite à deux individus, lesquels ayant péché , toute. la 
nature humaine s’en est trouvée infectée, et naturellement est restée la 
même depuis lors (4). 

Voilà comment on trouvait moyen de baser une théorie du péché 
originel toute conforme aux dogmes sur des arguments dont nous n'a- 
vons pas à apprécier la valeur et dont nous ne voulons que signaler le 
caractère purement humain. C’est un des plus curieux spécimens que 
nous connaissions de la méthode de cetemps , telle que nous l'avons. 
signalée ci-dessus. 


(1) Propagatores animæ ex traduce. Id. 

(2) Vis vegetativa , vis propagativa. Id. 

(3) De simplici natura nihil potest emanare. Id. 

(4) Et, quia humana anima tota est in Adam obnoxia peccato , sine peccato non 
potest ad alias personas transferri. [d. 


= fra 


La rivalité de l'école de Lille et de l'école de Tournai paraît avoir 
été assez vive : les élèves se sentaient attirés de part et d'autre par 
le talent des professeurs. On en peut juger par une anecdote souvent 
racontée (1), mais qui peint trop bien l'esprit du temps pour être 
omise ici. Un chanoine de Tournai, du nom de Gualbert , qui fut plus 
tard religieux du couvent de St.-Martin, puis abbé dans le diocèse de 
Châlons, fatigué d'entendre tour à tour exalter l'un et l’autre de ces 
deux maîtres, alla trouver un devin (2), sourd et muet, mais fort esti- 
mé en ce pays. Celui-ci, lorsque l’objet de la consultation lui eut été 
exposé parsignes, montra d'abord l'école réaliste d'Odon et fit avec la 
main le simulacre d’une charruë qui fend la terre, sans doute pour dé- 
signer la fécondité de cette doctrine; puis, se tournant du côté de 
l'école de Lille, il se contentaæ de souffler sur son doigt, pour en ex- 
primer la vanité. 

Le chroniqueur qui nous renseigne ainsi est naturellement de l'avis 
du devin et exalte Odon , mais il ne nous cache pas quel tort lui cau- 
säit le voisinage de Rainbert. D'ailleurs , il ne faut ajouter qu'une 
demi-confiance à ces moines parlant de l'honneur de leur couvent. Ne 
voyons-nous pas, à la même époque à peu près, et dans un pays tout 
voisin, un religieux d'Anchin nous raconter les triomphes que rem 
porta un de ses abbés, aujourd’ hui presqu'oublié , saint Gossuin, sur 
l'immortet Abeilard. Il est vrai qu'ayant sous sa discipline, au mo- 
nastère de St.-Médard de Corbie, le grand philosophe, qui venait 
d'être condamné au concile de Soissons, Gossuin employa comme 
dernier moyen de persuasion la menace du fouet ( 3). Il ne faisait en 
cela qu'appliquer la doctrine d’un autre saint, plus célèbre, saint 


(4) Chronique d'Herimann. Buzelin , qui ne l'a pas fidèlement pren Derode 
et les autres historiens lillois. 


-(2) Pythonicum. Chronique d'Herimanu, 


(3) Vita sancti Gossuini , écrite par un contémporain , et publiée dans plusieurs 
recueils. 


— 6 — 


Bernard, qui ne trouvail pas injuste ce mode de réfufatioa {1 ; à l'égard 
de ce même Abeilard. | 

Au dernier siècle on s'est beaucoup raillé, même à Lille, de la 
scholastique et de ses discussions. Le chanoine Montlinot (2) s'est fait 
l'écho de ces reproches. 

Un autre religieux, Wartel (3), de l'abbaye de Gvsoing, a répondu à 
Montlinot que les efforts des philosophes les plus estimés parmi les 
modernes, n'ont pas été employés à autre chose qu'à chercher la so- 
lution de ces mêmes questions qu'agitait Rainbert ; les uns comme les 
autres se sont préôccupés de l'origine des idées et les travaux de nos 
contemporains n’ont pas plus mis fin aux discussions que ceux du pre- 
mier professeur de St.-Pierre. 

Wartel citait, à l'appui de ces observations, l'autorité de Gondillac 
(Essai sur l'origine des connaissances humaines), qui trouve la thèse 
des nominalistes très-bonne. Il est certainement fort curieux de voir 
alléguer une pareille autorité pour la défense du moyen-âge. 

Du reste, pour réfuter ce que l'on a dit de l'enseignement de cette 
époque , il suffit d’en constater les résultats. Des deux écoles rivales 
que nous venons d'étudier, sortirent de grands philosophes (4), des 


(4) An non justius os loquens talia fustibus tunderetur , quam rationibus refelle- 
retur, Sancti Bernardi Epistola CXC adInnocent. Pap. dicta tractatus de erroribus 
Abelardi. Tome 2, p. 1454 de l'édition de Mabillon. 

(2) Histoire de Lille, depuis sa fondation jusqu'en 1434, par M. C. D. G. P., etc. 
(Montlinot, chanoine de St.-Pierre}. Paris. Panckoucke, 1764 , in-42 , chap. 4 
de Raïnbert et de l'école de Lille, p. 77. On peut consulter sur Ja vie agitée de 
Montlinot , une notice de M. Silvy, mentionnée dans le second cahier des séances 
publiques (1807), de la Société d'amateurs des sciences et des arts de Lille, p. #3, 
au tome Î des présents mémoires. Et dans les Archives historiques et littéraires du 
nord de la France, première série, tome 11, p. 133. nouvelle série, tome JE, 
p. 394. 

(3) Etienne Wartel , Observations sur l'histoire de Lille , par M. W. 

(4) Ce sont évidemment les collégiales de nos deux villes qui ont formé Simon de 
Tournai, Alain de Lille, et Gauthier de Châtillon. Pour Alain de Lille, voy. Mém. 
de la Societé des sciences, tome TL, cahiers des séances publiques, cah. 1 , p. 54, 
cah. 2, p. 52, cah, &, p. 89, et notre notice, vol. 29 (1819) p. 709, à laquelle 


sf 2e 


hommes éminents, et on peut attribuer sans hésiter la quantité consi- 

« dérable de prélats(1\, desavants, de poètes et d'artistès distingués que 
Lille et Tournai produisirent au XIL.® et au XIIL.° siècles à l'élévation 
de l'enseignement dirigé par les maîtres dont nous venons de parler. 
Nous avons dit ailleurs quellegrandeur respiraient les caractères de ce 
temps. 


nous nous proposons de faire de considérables additions. Pour Gauthier de Châtillon, 
voyez l'Histoire littéraire de France , vol. XV, p. 190, et les Archives du nord de 
la France , série II, vol. 1I, un Mémoire de M. Darimon. Du reste , dans l’une et 
dans l'autre , sérieusement étudié comme poète , il n’est guère apprécié comme 


philosophe, 


(4) Voyez dans les ouvrages historiques qui concernent la collégiale : la vie d° 
Lambert de Guines, évèque d'Arras ; Jean de Warnêton , évêque de Thérouanne ; 
Foulques Van Hutten-Lhove, qui refusa de prècher la croisade contre les Albigeois ; 
Jean, fils de Guy , comte de Flandre , évêque de Metz, puis de Liège, où il lutta 
avec le peuple contre la noblesse, etc., etc. 


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